Olivier Mouton

Il faut en finir avec cette politique consanguine

Olivier Mouton Journaliste

Paul Furlan démissionne et Paul Magnette annonce une « révolution éthique » en Wallonie. A contre-coeur. L’affaire Publifin et ses ramifications illustrent pourtant l’urgence de mettre fin à l’entre-soi de nos dirigeants.

Certaines crises politiques sont davantage révélatrices que d’autres du climat délétère ambiant. Ainsi en est-il de l’emballement de ce jeudi matin avec la démission de Paul Furlan (PS), ministre wallon des Pouvoirs locaux, le départ de tout les membres PS du conseil d’administration de Publifin, l’intercommunale visée depuis un mois par des révélations en cascade, et l’annonce d’une « révolution éthique » par le ministre-président wallon Paul Magnette (PS). « Nous sommes conscients de la gravité du moment », a souligné le Premier wallon qui doit regretter le temps pas si lointain où il était le héros de la fronde contre l’accord économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada, le Ceta. « Nous vivons une époque de profonde défiance et des événements comme ceux-ci ne font qu’aggraver les choses », dit-il. Pour le moins. Et enfin, les politiques en ont pris une certaine mesure. Insuffisante, faut-il le dire !

Depuis plusieurs semaines, à la lisière de la légalité, profitant du flou dans les législations ou d’une scandaleuse absence de contrôle, certains mandataires ont donné par leurs agissements une bien triste image de la politique à des citoyens légitimement dégoûtés. Comment accepter que des élus touchent des sommes démesurées pour des métiers qu’ils n’exercent même pas (un scandale qui rejoint celui qui touche désormais le candidat « propre » François Fillon en France avec l’emploi fictif de son épouse) ? Comment comprendre que des apparatchiks cumulent les rémunérations au point de gagner davantage que le Premier ministre ? Qu’ils exercent parfois plusieurs temps-plein à l’heure où l’on se plaint amèrement de la difficulté de créer de l’emploi ? Comment ne pas se poser des questions quand les conflits d’intérêts potentiels se multiplient, quand ceux qui décident sont les (très) proches de ceux qui profitent ?

Jusqu’à l’écoeurement, les électeurs assistent une nouvelle fois au grand déballage d’une classe politique qui vit, comme la noblesse d’antan, dans une forme de consanguinité malsaine

Un grand nombre de membres du cabinet du ministre démissionnaire sont des proches et viennent pour la plupart de la commune dont il est bourgmestre. Un chef de cabinet tenait tous les leviers de la décision pour un investissement immobilier d’envergure à Namur, multipliait les mandats et dispose de deux voitures de fonction utilisées à l’envi par ses collaborateurs. Le rapport sur ces agissements problématiques est rédigé par l’ancien chef de cabinet du ministre. Les exemples sont légion. Si ces actes pas toujours illégaux, s’il n’y pas (toujours) d’enrichissement personnel, cette confusion des genres permanente pose question. Bien sûr, le super-ministre CDH Maxime Prévot le rappelait ce jeudi matin, une majorité de nos élus travaillent sans relâche pour le bien commun. Mais les agissements répréhensibles de certains et l’aveuglement de beaucoup cachent cela.

Nous voici donc à une ère où l’idée de « tous pourris » se répand dans la population – avec des arguments pour le prétendre. Une époque grave, donc, où le ministre-président wallon présente une série de mesures radicales afin de (tenter de) mettre fin à l’hémorragie démocratique. Pêle-mêle, il est question de simplifier drastiquement les structures supracommunales en Wallonie (à un train forcé, avec propositions dans les 45 jours), de veiller à une transparence totale des mandats et des rémunérations avec un encadrement strict, de renforcer les incompatibilités entre mandats ou de renforcer les contrôles. D’une part, on se demande pourquoi certaines de ces décisions n’avaient pas été prises ou à tout le moins appliquées. D’autre part, on s’interroge déjà sur l’ingénierie que les « profiteurs » mettront en place pour contourner ces nouvelles règles. C’est dire l’absence de confiance, désormais. Mais acceptons-en l’augure : Magnette affirme que la Wallonie rejoint le degré d’exigence supérieur en matière d’éthique qui prévaut, par exemple, dans les pays scandinaves. Soit.

L’annonce de mesures wallonnes et la détermination soudaine affichée par les partis constituent la moindre des réponses. Il s’agit d’appuyer sur la pédale d’accélérateur pour mettre ce chantier en route et, cette fois, le faire appliquer. Par tous : comment interpréter le fait qu’un Stéphane Moreau continue à cumuler les fonctions de patron de Nethys et de bourgmestre de Ans (indisponible, c’est vrai), si ce n’est comme un geste de défiance à l’égard du boulevard de l’Empereur ?

D’ailleurs, que du bout des lèvres tout cela est annoncé… Paul Furlan démissionne suite à un faisceau de révélations accablantes sur sa gestion du dossier Publifin, sans parler d’autres indices inquiétants en matière de conflits d’intérêts, mais dans la majorité, on le pleure, on le remercie pour tout ce qu’il a fait, on affirme qu’il n’a pas commis de fautes et on laisse pratiquement entendre qu’il n’aurait pas dû démissionner. Le gouvernement wallon promet la transparence sur les rémunérations, avec un publication « nominative » à la clé, mais semble déplorer qu’en cette ère nouvelle, cette transparence prenne le pas sur la protection de la vie privée. Le souci est peut-être légitime, mais comment oser l’exprimer quand certains en ont allègrement profité ! N’est-il pas venu le moment de faire amende honorable et de retrouver une indispensable humilité ?

Car nous ne sommes certainement pas au bout du chemin. On n’empêchera pas le mouvement en cours et la légitime colère citoyenne d’obtenir davantage encore. Il faut en finir avec cette politique consanguine, cet entre-soi malsain, et vite. Cela signifie aussi, par exemple, une réglementation effective de la nomination des conseillers ministériels pour empêcher que cela ne reste, comme aujourd’hui, le fait du prince. Sans doute n’évitera-t-on pas non plus que l’on tourne certaines pages du passé. Comment un Elio Di Rupo, qui avait fait de la croisade contre les « parvenus » un combat personnel, peut-il aujourd’hui continuer à prétendre qu’il est l’homme de la situation ? Même au sein de son parti, on se pose la question.

« Le danger de tout ce qui se passe, c’est le rejet de la politique et la montée des populisme », peste Stéphane Hazée, chef de file Ecolo, dans les colonnes du Vif/ L’Express cette semaine. Pour le moins. En Wallonie, le PTB ne dit rien, il engrange. En France, Marine Le Pen se tait, elle profite des divisions et des errements. Comment en-t-il possible que l’on en soit arrivé là… ?

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