Hendrik Vuye, un « Dreyfus » à la flamande?

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Constitutionnaliste aux facultés de Namur le jour, flamingant engagé le soir. La double vie d’Hendrik Vuye dérape. Son dernier appel à piétiner la Constitution au nom de la Flandre indigne ses confrères francophones. Cette fois, son employeur s’interroge sur son avenir à Namur.

Il a démarré l’année en fanfare. Une fois encore, les oreilles de la Belgique ont bien sifflé. Hendrik Vuye connaît la musique. Et ce soir-là à Gand, il se produisait devant un public conquis d’avance. Quand le Vlaamse Volksbeweging invite, c’est rarement pour se féliciter de la survie du pays.

Pour une réception de Nouvel An, l’orateur pouvait bien se lâcher un peu. Abandonner la réserve que lui impose sa charge d’enseignant de droit constitutionnel et des libertés publiques aux Facultés universitaires de Namur. Point besoin de forcer le professeur Vuye. Quand il ouvre la bouche, c’est généralement pour en rajouter une couche. Et enfoncer un clou de plus dans le cercueil du modèle belge de pacification.

L’auditoire a été comblé. Au point que le périodique flamingant Doorbraak, sur son site web, invite à consommer sans modération l’élixir du docteur Vuye pour en finir avec le « mal belge. » Effets secondaires garantis en 2014. Le diagnostic établit la mort clinique de la Belgique. L’actuelle réforme de l’Etat, énième opération de verrouillage du système belge, n’est qu’un « beau mensonge » de plus. Une manoeuvre « unilatérale, déséquilibrée et malhonnête », qui n’a d’autre effet que de maintenir les Flamands sous la coupe des francophones. La preuve par Vuye : le BHV scindé. Il ne réserve aux Flamands rien de mieux que le sort subi par les mineurs du Borinage, dans les années 1910… « Les francophones exigent aujourd’hui des droits en Flandre qu’ils ont eux-mêmes historiquement refusés. »

Voilà la Flandre bien avancée. Elle n’a que trop misé sur cette loyauté fédérale qui n’a jamais mené nulle part. Hendrik Vuye en a fait son deuil : « Le fameux modèle belge de pacification est en fin de compte un modèle de conflit. Pas de pacification, pas de consensus. »

Un Flamand averti en vaut deux. S’il veut venir à bout des résistances francophones quand la Belgique jouera sa tête aux élections fédérales et régionales de mai 2014, il devra sortir des sentiers institutionnellement battus. Hendrik Vuye indique la voie à suivre : agir en dehors de la Constitution. Et que les partis traditionnels, c’est-à-dire autres que la N-VA, ne jouent pas aux vierges effarouchées ! A tous les moments-clés de l’histoire de Belgique, ils n’ont jamais hésité à snober la Loi fondamentale.

Le constitutionnaliste connaît son histoire. Il a collationné toutes les étapes où le pays a manqué de respect à la Constitution : la séparation d’avec les Pays-Bas en 1830 ; l’admission de troupes étrangères alliées sur le territoire national, en 1914-1918 ; l’introduction du suffrage universel en 1919 ; l’adhésion à la Communauté européenne et à l’OTAN dans les années 1950 ; la mise en oeuvre des communautés et régions dans les années 1970. Pas plus tard que sous Di Rupo Ier, l’article 195 de la Constitution a été mis sur la touche pour ne pas contrarier les avancées institutionnelles.

CQFD : la Flandre serait bien sotte de se gêner, lors de la grosse explication institutionnelle prévue en 2014. Hendrik Vuye lui délivre son sauf-conduit : la Flandre a la légitimité démocratique pour passer à l’action en passant outre à la Constitution belge. Son Parlement, élu directement, lui offre cette légitimité sur un plateau d’argent. « Il n’est pas hiérarchiquement inférieur au Parlement fédéral. Il a donc la même légitimité démocratique pour déverrouiller le système belge. » Un vrai plan V, comme Vlaanderen.

Sur ces bons conseils, après avoir exhorté la Flandre à franchir le Rubicon en 2014, le professeur Vuye peut retourner à ses chères études de droit constitutionnel à Namur, capitale de la Wallonie.

Wallon flamingant autoproclamé, et fier de l’être, Hendrik Vuye a marié l’eau et le feu sans s’être grillé jusqu’ici. Une performance, alors que le cumul des genres est régulièrement pris sous le feu des médias francophones . Le professeur de droit constitutionnel y a gagné ses galons de « consultant » de la N-VA, d’homme qui a l’oreille de Bart De Wever. Avenir du pays ou de sa monarchie : entre « la doctrine Vuye » et les thèses de la N-VA, il n’y a pas l’épaisseur d’une feuille de cigarette.

Sauf que le recteur de l’Université de Namur ne passe plus l’éponge: Yves Poullet invite désormais son remuant professeur à s’interroger sur son avenir au sein d’une institution universitaire francophone. « Il est clair que ses interventions multiples dans les médias, si elles sont l’expression de la liberté académique, nuisent à la fois à notre université, son employeur – et cette remarque lui a déjà été adressée – mais également aux intérêts de la Fédération Wallonie-Bruxelles qui, indirectement, le paie. » Le recteur de l’Université a pris le temps de peser ses mots avant de réagir à la demande du Vif L’Express. Les termes sont choisis, d’une prudence extrême.

On ne s’en prend pas sans mettre des gants à « un chercheur de renom. » Qui plus est, insiste le recteur, à un professeur dont « l’enseignement est apprécié par ses étudiants et, à notre connaissance, neutre dans son contenu. En d’autres termes, le cours n’est pas une tribune pour ses idées politiques. »

L’affaire n’en est que plus embarrassante. Sans bavures, le parcours académique d’Hendrik Vuye ne justifie aucune mesure. A moins d’aller au-devant d’un gros litige contractuel. Reste le cheminement flamingant. Terrain hautement miné : il relève de la liberté d’expression, du droit sacré à l’opinion. Tout devient affaire de conscience. « De cohérence », souligne lourdement le recteur des facultés namuroises à propos d’Hendrik Vuye. : « Il est légitime de s’interroger sur la cohérence de son choix de rester dans une université francophone, tout en professant des opinions politiques aussi marquées. »

L’appel du pied est lancé. L’Université de Namur ne retiendra pas son agent de plus en plus provocateur, s’il lui prenait l’envie de prendre spontanément la porte de sortie. Impossible d’aller plus loin, sous peine d’aggraver l’affaire.

Quoiqu’il arrive à Hendrik Vuye, le mouvement flamingant, Bart De Wever en tête, aura son martyr. Sa victime de l’intolérance francophone. Son « Dreyfus » à la flamande.

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