Stéphane Hazée : son côté premier de classe sert. © Danny Gys/Reporters

Hazée et Gilkinet, les snipers sauce Ecolo

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Deux députés Ecolo sont en même temps sous les feux de la rampe. Les dossiers du Kazakhgate et de Publifin poussent Georges Gilkinet et Stéphane Hazée dans le dos. Quel bénéfice pour leur parti, plutôt accro au collectif ?

C’est l’un de ces fruits surprises, amer et doux à la fois, que peut réserver la vie politique : deux députés écologistes, Stéphane Hazée et Georges Gilkinet, sont aujourd’hui au-devant de la scène, comme jamais ils ne l’ont été auparavant. Ces parlementaires, l’un régional, l’autre fédéral, sont tous deux attaqués en justice en raison du travail qu’ils ont abattu, et abattent encore, dans leur commission parlementaire respective. Georges Gilkinet fait l’objet d’une citation directe par le milliardaire belgo-ouzbèke Patokh Chodiev pour  » manque complet d’impartialité et de retenue « , dans le cadre de l’enquête sur le Kazakhgate. Il lui réclame un euro à titre provisionnel pour les dommages causés à son image, à réévaluer durant la procédure. Stéphane Hazée, à l’instar de quatre autres députés régionaux wallons, fait l’objet d’une plainte déposée par Nethys (groupe Publifin), devant le tribunal civil de Namur pour non- respect des droits de la défense.

Voilà pour le côté amer. Le côté doux se loge dans la reconnaissance évidente du travail de fond réalisé par ces deux députés.  » Ce sont des bosseurs, expérimentés, très en pointe sur des sujets qu’ils suivent de longue date, note Jean Faniel, directeur du Crisp (Centre de recherche et d’information socio-politiques). Leur manière de travailler est plus incisive et plus efficace que celle que déploient d’autres parlementaires.  » Stéphane Hazée était à la base de la constitution des mesures de bonne gouvernance prônées en Wallonie, entre autres dans le cadre des intercommunales. Il était donc logique qu’il soit membre de la commission. Georges Gilkinet, lui, planche depuis des années sur le Kazakhgate, à une époque où personne ne s’y intéressait. Hasard ou non, tous deux se partagent le même collaborateur parlementaire, Antoine Mariage.

 » Le fait de poser des questions très pointues est une pratique que l’on remarque chez beaucoup de députés Ecolo, souligne le politologue Pierre Verjans (ULg). Vincent Decroly, du temps de la commission Dutroux, n’agissait pas autrement. Cela ne relève pas d’une stratégie d’Ecolo mais comme ce parti a, beaucoup moins que d’autres, participé aux structures politiques de décision de l’Etat, il dispose d’une parole plus libre, plus pertinente et plus impertinente.  »

Ce n’est toutefois pas un hasard si tel ou telle parlementaire se retrouve dans une commission. Dès lors qu’il ou elle se porte candidat(e), c’est la réunion de groupe qui tranche et décide qui y siégera. Un choix qui est bel et bien stratégique.  » Georges et Stéphane disposent d’un énorme réseau et ont une impressionnante capacité à intégrer beaucoup d’informations en même temps « , affirme Jean-Marc Nollet, chef de groupe Ecolo à la Chambre. Ce sont, il est vrai, deux anciens cabinettards : Gilkinet a travaillé au cabinet Nollet, et Hazée a été chef cab’ de l’ex-ministre wallon José Daras.

Les mises en avant se multiplient

Pour autant, les deux hommes ne sont pas les plus charismatiques qui soient.  » Ils ont un côté très sérieux, scolaire, genre premiers de classe, observe Benoit Hellings, député fédéral Ecolo. Dans les circonstances actuelles, ce sont incontestablement des éléments de force. Ce grand sérieux fait qu’ils sont reconnus comme fiables par le monde politique, les médias et les citoyens.  »

La mise en valeur d’individualités n’est pourtant pas ce qui caractérise les verts.  » Ecolo n’a jamais complètement dédaigné d’avoir des grandes figures qui incarnent le parti, comme Jacky Morael ou Jean-Michel Javaux, rappelle toutefois Jean Faniel. La question est de combiner cela avec une dimension collective, chère aux écologistes. On observe aujourd’hui, chez Ecolo, que les personnalités qui sont mises en valeur se multiplient, comme, au fédéral, Jean-Marc Nollet, sur le dossier énergie, Gilles Vanden Burre, sur les dossiers sécurité, Benoit Hellings, sur le dossier Galant ou l’Arabie saoudite. Tous s’appuient sur un solide travail parlementaire. On l’a vu dans une récente enquête du Vif/L’Express (du 7 avril 2017) : en termes de qualité du travail parlementaire, ce parti sort du lot. Il dispose de plus d’élus au-dessus de la moyenne que d’autres formations politiques. « 

Ce côté très premiers de classe est actuellement un élément de force »

Un constat qui s’explique notamment par les circonstances. Ecolo dispose de peu d’élus : 6 à la Chambre et 4 au parlement wallon. Le PS et le MR en comptent beaucoup plus. Il leur est donc plus difficile de valoriser leur travail car ils se marchent un peu sur les pieds. Il n’empêche que la réflexion sur la mise en exergue de personnalités, au sein d’Ecolo, a progressé au fil du temps.  » Je pense qu’on a évolué là-dessus, confirme Michel Genet, directeur politique d’Ecolo. Le collectif n’est plus suffisant. Il nous faut des gens pour porter notre voix « .

Georges Gilkinet : le député fédéral porte le dossier Kazakhgate depuis des années.
Georges Gilkinet : le député fédéral porte le dossier Kazakhgate depuis des années.© Danny Gys/Reporters

Valorisation payante ?

Mais quand un vert est mis en lumière, les autres sont derrière lui. Ils se répartissent le boulot qu’il ne peut plus assumer, travaillent pour lui, s’il en a besoin. Et la base militante d’Ecolo très résistante au vedettariat ?  » C’est le collectif qui fait la spécificité du parti, pas les individualités, signale Pierre Verjans. Dans la mesure où Ecolo a nettement moins occupé le pouvoir que les autres partis, la composante militante y est plus importante qu’ailleurs. Dans les partis traditionnels que sont le MR, le PS et le CDH, les « professionnels de la politique » peuvent plus facilement justifier la carte individuelle.  »

Le dernier sondage RTBF-La Libre, en mars, indique en tout cas une sensible remontée d’Ecolo dans les intentions de vote. Selon une autre enquête (RTL-Le Soir), centrée sur Liège et publiée quelques jours plus tard, Ecolo y deviendrait le deuxième parti, à 21 % (+ 8,2) derrière le PS en sévère recul mais devant le PTB, à 16,8 %.  » La mise en évidence du travail des parlementaires Ecolo peut avoir un impact sur les prochaines élections, avance Pierre Verjans. Le succès des verts en 1999 n’était pas lié qu’à la crise de la dioxine mais aussi à l’effet Decroly.  »

Mais même si la valorisation de leurs snipers ne devait pas payer dans les urnes, au moins les verts ont-ils la satisfaction de voir leur programme se concrétiser, par la force des choses et la puissance des événements. Un fruit doux-amer, en quelque sorte.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire