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Harcelée au travail? « 30% des victimes sont licenciées »

Michel Vandersmissen
Michel Vandersmissen Journaliste pour Knack

Un an après le début du mouvement #MeToo, le nombre de dépositions liées à un comportement sexuellement transgressif a considérablement augmenté. Pourtant, la réticence des victimes à s’exprimer est encore très forte, révèle une enquête de notre confrère de Knack.

Tout a commencé il y a un an par un simple appel sur Twitter : « Femmes, si vous êtes victimes de harcèlement sexuel ou d’intimidation, signalez-le. Utilisez le hashtag MeToo et le monde découvrira l’ampleur du problème. »

Les conséquences se sont rapidement fait sentir. Partout dans le monde, des hommes célèbres et puissants, et une femme, se sont vus accuser e comportement sexuellement transgressif. Certains ont perdu leur emploi, beaucoup ont perdu leur prestige et #MeToo est devenu un mouvement qui a remis à plat les relations entre les hommes et les femmes.

Pour bien comprendre: le comportement sexuel transgressif comprend, bien sûr, les agressions et les viols, mais aussi le fait de pincer les fesses ou les seins, de raconter des blagues sexuellement déplacées et d’envoyer des courriels et des messages salaces. L’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA) a mené sa première étude à grande échelle sur la violence contre les femmes dans les 28 États membres de l’Union européenne. Environ 40 000 femmes y ont participé. L’étude fait état de onze catégories de violence à l’égard des femmes, notamment la violence physique, émotionnelle et sexuelle. L’une des catégories concerne les questions intrusives ou oppressantes. Le phénomène peut sembler innocent, jusqu’à ce qu’on découvre de quoi il s’agit « , explique Liesbet Stevens, de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes. « Un homme qui demande à une jeune collègue si elle se masturbe sous la douche, et avant même qu’elle soit remise de la question, lui répond : ‘Moi oui, et je pense à toi’, par exemple. Je trouve cela intimidant et je comprends parfaitement que cela mette mal à l’aise au travail. »

Un an plus tard

Qu’est-ce qui a changé, un an après le début de #MeToo ? « Beaucoup trop peu », estime la sexologue Goedele Liekens. Les médias se concentrent trop sur quelques célébrités et travaillent trop peu en profondeur ». Geert Vermeir, du centre de connaissances juridiques de SD Worx, observe que #MeToo n’a entraîné aucun changement dans la réglementation. « Le nombre de signalements de comportements sexuels transgressifs n’est toujours pas géré de manière centralisée et aucune mesure supplémentaire n’a été prise dans la législation générale ou au niveau sectoriel. Bien entendu, il existe déjà des réglementations strictes, notamment la loi de 2007 sur l’égalité des sexes pour lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes et l’obligation pour les employeurs de prêter attention à la prévention et à la protection contre la violence, les vexations et le harcèlement sexuel. »

Liesbet Stevens note une plus grande sensibilité et une plus grande attention pour le thème. « Le sujet est devenu beaucoup moins tabou. Il y a cinq ans, je doute qu’un grand groupe de danseurs comme la compagnie Troubleyn de Fabre se soit adressé aux médias. Je pense que c’est le résultat de cette prise de conscience. »

La performance Mount Olympus de Jan Fabre
La performance Mount Olympus de Jan Fabre © Isopix

L’avocate Elke Cloots, qui défend les victimes de discrimination et enseigne le droit des médias à l’Université d’Anvers, est entièrement d’accord avec Stevens. « Il y a dix ans, en tant que femme, vous ne deviez pas vous plaindre si vous avez été traitée de façon irrespectueuse par un collègue masculin ou par le patron. C’est déjà un grand pas en avant que ce ne soit plus balayé d’un revers de la main ». Selon Cloots, les jeunes hommes sont plus conscients des comportements inacceptables. « Les hommes plus âgés en font moins de cas. ‘De quoi vous plaignez-vous ?’, disent-ils, ou ‘Si vous ne supportez pas une petite blague…’. Ce genre de clichés. »

Selon Cloots, le problème fondamental demeure l’inégalité de traitement entre les hommes et les femmes. L’intimidation sexuelle perpétue cette inégalité. Cela joue un rôle dans de nombreux domaines de leur vie quotidienne. Les femmes évitent certains quartiers, ne parlent pas librement dans les médias, adaptent leur apparence, n’entrent pas rapidement en politique, elles sont plus critiquées que les hommes, etc. Tout cela a été scientifiquement étudié et prouvé. Eh bien, perpétuer de telles inégalités est préjudiciable à l’ensemble de la société. À ce niveau-là, nous n’y sommes pas du tout ».

Honte de la part des entreprises

Pour se faire une idée de l’ampleur du problème, Knack a demandé à quelques dizaines de grandes et petites entreprises en Flandre les chiffres de plaintes liés à un comportement sexuel transgressif. Aucune entreprise n’a souhaité les divulguer. C’est beaucoup trop sensible, » dit-on. Ou :  » Nous ne voulons blesser personne. La vraie raison est probablement que les entreprises concernées craignent de nuire à leur réputation. Liesbet Stevens regrette cette pudeur. Ne serait-ce pas un signal fort que de dire clairement que de tels comportements sont inacceptables dans une entreprise? Si un manager laisse entendre que cela ne le dérange pas, le sexisme dans l’entreprise ne fera qu’augmenter. »

L’an dernier, une étude du Service externe de Prévention et de Protection au Travail Mensura révélait qu’un employé sur trois (34 %) avait déjà subi un comportement indésirable au travail. Les employés de moins de 25 ans sont ceux qui en souffrent le moins (27 %) et les femmes le plus (37 %).

À la demande de Knack, Mensura a également examiné la fréquence des comportements sexuels transgressifs. L’enquête a été menée à deux périodes. La première fois, 10 206 employés ont été interviewés entre juillet 2016 et novembre 2017. Une deuxième fois, entre novembre 2017 et juillet 2018, il s’agissait d’un groupe de 5444 employés. Bon à savoir : #MeToo a éclaté en novembre 2017.

Au cours de la première période, 1,9% des femmes ont répondu qu’elles avaient été victimes d’un comportement sexuel transgressif au moins une fois au cours de l’année précédente. Au cours de la deuxième période, ce pourcentage est passé à 2,2 %. 0,5 % des femmes interrogées ont déclaré avoir été harcelées à plusieurs reprises au cours de la première période. Ce pourcentage est passé à 0,8 % l’an dernier.

Koen Van Hulst, responsable du département psychosocial de Mensura, se dit choqué par ces pourcentages. À première vue, ce sont de petits nombres, mais chaque année, 200 à 300 employés sont victimes d’agressions sexuelles. En outre, le nombre réel sera beaucoup plus élevé, étant donné le grand embarras que suscite ce sujet ».

Mensura a également effectué une analyse par secteur. Cela montre que le comportement transgressif est le plus important dans l’hôtellerie et la restauration (2% du personnel, y compris les hommes), le secteur des services (1,5%) et les soins de santé (2,12%). Van Hulst : « On nous signale que les comportements sexuellement transgressifs sont un problème dans les soins à domicile. Les infirmières à domicile et les aides familiales sont généralement très empathiques, ce qui peut amener certains agresseurs à avoir de mauvaises pensées. De plus, le contact physique est très fréquent dans ce secteur. »

Les membres du personnel peuvent demander un entretien confidentiel aux agents de prévention de Mensura. En 2016, cela s’est produit 49 fois. Ce chiffre est passé à 61 fois l’année dernière, et cette année, à la fin du mois d’août il y avait déjà eu 51 entretiens confidentiels.

Ce n’est plus tabou

Hilde De Man, du Service externe de prévention au travail Idewe évoque la crainte suscitée par le dépôt d’une plainte, même informelle. « La carrière des victimes dépend généralement très fort de l’agresseur. C’est pourquoi il est bon que depuis 2014 le législateur ait créé la possibilité de porter plainte de manière anonyme et collective s’il y a plusieurs victimes au sein d’une même entreprise. Malheureusement, cette nouvelle procédure est encore relativement peu connue au sein des entreprises. De Man est en faveur de la voie informelle pour traiter une plainte. « Après une plainte formelle, il est parfois très difficile de rétablir la situation et de faire cesser le comportement indésirable. La situation devient encore plus polarisée, et il arrive régulièrement que la victime soit renvoyée, car le harcèlement sexuel est souvent le résultat d’un abus de pouvoir. L’auteur est un cadre qui exerce une fonction plus importante que la victime. C’est pourquoi les dirigeants d’entreprise prennent encore souvent parti pour l’agresseur. »

Ne pas être cru est particulièrement douloureux pour les victimes. Hilde De Man d’Idewe entend même que les conseillers confidentiels ne prennent pas toujours les plaintes au sérieux. « Souvent, c’est lié aussi à la position dominante des auteurs de ces actes. Les confidents ont parfois peur de s’en prendre à un homme puissant. Les chiffres d’Idewe montrent que dans près de 30 % des cas, le comportement indésirable se termine par le licenciement de la victime.

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