Markus Lüpertz, Hadès, 2014. C Markus Lüpertz. Courtesy of the Artist and Almine Rech Gallery. © DR

« Hadès », l’oeuvre de la semaine

Guy Gilsoul Journaliste

Sur fond d’un paysage sans vie aux verts gorgés d’eau et de froid, le peintre pose trois figures.

Les deux premières sont soudées l’une à l’autre : un crâne animal menaçant et un casque allemand de la seconde guerre mondiale. A droite, ignorant leur présence, un nu dont la pose n’est pas sans rappeler celle prise dans la peinture classique, paraît indifférent. L’écriture est emportée mais jamais fiévreuse. Les gestes farouches sont, comme les tracés au pinceau et jusqu’aux coulures, d’une maîtrise totale. Le côté sourd du chromatisme accentue encore le choc produit par l’oeuvre, entre malaise et jouissance. Malaise parce qu’on sait que la peinture est signée Markus Lüpertz qui, en 1962 (il a à peine vingt ans), rejoint K.H Hödicke et Bernd Koberling à Berlin et fonde avec eux ce qu’on appellera dans les années 1980, la « Heftige Malerei » (la peinture violente), noyau des futurs « Nouveaux Fauves ». Après Paris, Londres ou New-York, le centre de gravité de l’art passait alors dans la ville allemande qui, quelques décennies plus tôt avait été le lieu de l’expressionnisme de « Die Brücke » et le théâtre des révoltes dadaïstes les plus violemment politiques. Chez Lüpertz, on trouve bien des traces et symboles d’une Germanie profonde avec laquelle il pourrait régler ses comptes. Dans cette toile intitulée « Hadès » et réalisée en 2014, on pourrait, suivant cette approche, souligner le rapport entre le casque et l’image de mort ou encore le rapport entre la soldatesque aveugle et le corps du jeune Aryen. Mais voilà, le crâne rappelle celui inclus dans « Nature morte au crâne de taureau » peinte par Picasso en…1939. Même violence, identique façon de ramener au cube l’ossature allongée de l’animal, semblable ivresse du « faire » : « Je suis né peintre, déclare Markus Lüpertz, je ne me souviens d’aucune autre envie ». Voilà une autre clé de lecture, plus judicieuse. Du coup, au malaise succède le seul et déraisonnable plaisir. Ainsi, si, l’artiste révèle bel et bien, et peut-être malgré lui, cette culpabilité identitaire allemande, il l’intègre dans le corpus de mythes plus universels et projette avant tout sa propre ivresse de peindre en revisitant, celle de tous les peintres vrais, de Picasso à Matisse en passant par Poussin et tant d’autres. L’exposition au caractère muséal, associe des toiles anciennes (1974) aux toutes récentes entre lesquelles se dressent l’une ou l’autre sculpture en bronze peint.

Bruxelles, Almine Rech Gallery. 20 rue de l’Abbaye. Jusqu’au 21 décembre. Du mardi au samedi de 11h à 19h. www.alminerech.com

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