© Image Globe

Guy Spitaels, le cardinal

Vincent Genot
Vincent Genot Rédacteur en chef adjoint Newsroom

Guy Spitaels est décédé cette nuit. Il aurait fêté ses 81 ans les 3 septembre prochain. Portrait d’un homme doté d’un ego surdimensionné capable, à l’occasion, de manier l’autodérision.

Portrait réalisé à partir d’un article de septembre 1997

Doté d’un ego surdimensionné, Spitaels n’a jamais laissé indifférent. Avec lui, les imitateurs et les caricaturistes buvaient du petit lait. Le premier regard, souvent, le classe parmi ces hommes politiques austères, glacials. « Quand il apparaît à la télé, le Belge, machinalement, remonte son chauffage », a un jour écrit un journaliste. C’est vrai que ce n’est pas l’homme des grandes démonstrations. A la tribune, par exemple, il n’a jamais aimé lever le poing dans un théâtral geste de ralliement. Mais, derrière le masque qu’il s’était construit — et qu’à force de jouer son propre double, il n’a pu plus ôter –, les plus chanceux ont pu découvrir une personnalité sensible et affective. Qui aimait rire et connaissait tout le répertoire des chants estudiantins.

Homme de réseau, Spitaels était d’un naturel méfiant. Le propre de ces gens chez qui la confiance, chèrement acquise, construit lentement la fidélité. Exigeant, il testait toujours son interlocuteur. Les ambassadeurs belges en savaient quelque chose : à l’étranger, le premier commis wallon avait l’habitude de les bombarder de questions. Ses collaborateurs, eux, n’ignoraient pas qu’une revue de presse devait être réalisée avec le plus grand sérieux. Sous peine de subir un affront : « Et ceci, vous ne l’aviez pas vu ? »

Impérial, il l’était assurément. Tout est dans la stature, la démarche, l’élocution. Ce n’est pas pour rien si on a baptisé « Elysette » le cabinet du ministre-président wallon. Cela n’empêchait pas cet intellectuel, grand admirateur de François Mitterrand, de manier à l’occasion l’autodérision. Notamment lorsqu’à la troisième personne il évoquait les mésaventures de « Spitouls »…

Et puis, il y a le côté vieille France, ces petites manières précieuses et cet air guindé qui trahissaient parfois l’image du politicien dur, implacable, calculateur. Ses proches collaborateurs laissent percer un petit sourire quand ils le décrivent levant les mains au ciel, les doigts sales, après avoir consulté la presse du jour. Il devait même être franchement comique lorsque, muni de gants de jardinier et les manches retroussées, il découpait précieusement une grappe de raisins dans la serre de sa maison de Bouvignies (Ath). Ou quand, dans un bouge enfumé, il commandait un « cardinal » (un mélange de vin rouge et de crème de cassis) et provoquait l’étonnement d’une brave serveuse qui n’a jamais vu ça.

Guy Spitaels rejetait tout ce qui pouvait lui donner l’allure d’un aristocrate. Ses racines de fils de paysan, « qui n’est pas né avec une cuillère dorée dans la bouche », il y tenait comme à la prunelle de ses yeux. Proche des Athois, il n’avait toutefois jamais pu éviter une certaine distance avec le militant de base du PS.

Dans l’opposition ou au pouvoir, il n’a jamais prôné le grand écart. Fin stratège politique, disent les uns. Homme de conviction, rétorquent les autres.

Plus technocrate que socialiste ? Trop pragmatique pour croire à une politique de gauche ? L’ancien patron du PS secouait la tête. L’Europe, il y croyait. Et il « sentait » trop bien les rapports de forces sociaux pour minimiser la place de l’entreprise. Socialiste modéré ou du possible : il acceptait donc l’étiquette. Mais pas celle de social-démocrate : « La démocratie économique est incomplète », observait-il.

Levif.be

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire