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Guerre de la frite à Frameries

Muriel Lefevre

Les habitants de Frameries, dans la province de Hainaut, se battent contre un géant de l’alimentaire flamand qui veut construire une immense usine à frites. Malgré la promesse hypothétique de 500 emplois, les riverains n’en veulent pas et les tensions s’accumulent.

En bordure de l’ancienne cité minière et non loin de quartiers résidentiels devrait apparaître une usine s’étalant sur 20 hectares et capable de produire 2800 tonnes de frites et de croquettes chaque jour. C’est le groupe Clarebout Potatoes qui est derrière ce projet. Cette entreprise familiale flamande est le quatrième producteur de frites au monde. Elle fabrique annuellement 700.000 tonnes de frites surgelées. Dans ses installations de Nieuwkerke-Heuvelland et Warneton, elle emploient actuellement 1.600 personnes.

Une immense usine au fond de leur jardin

Mais le projet connaît quelques ratés, car dès qu’il a été rendu public, à la mi-janvier 2019, les riverains sont entrés en résistance contre ce qu’ils appellent le « monstre ». Actions et soirées d’informations ont fleuri de toute part, un comité baptisé « Les amis du Crachet » a vu le jour et le groupe Facebook  » La nature sans friture  » compte désormais près de 2 200 membres.

Les riverains ne veulent pas de cette immense usine bruyante et polluante en bordure de zone résidentielle. L’un raconte au Standaard qu’il a fait expertiser sa maison et qu’elle a déjà perdu 20% de sa valeur. Mais comme on le fait remarquer chez IDEA, l’intercommunale propriétaire du terrain et qui a donné à Clarebout un droit de préférence, soit une option sur le terrain, les riverains savaient depuis le début qu’il s’agissait d’un terrain industriel. Un argument qui fait bondir les habitants qui arguent: « l’histoire est plus compliquée que ça… La zone industrielle ne l’est devenue qu’en 1997. Avant cela, c’était des terres agricoles. Il y avait donc déjà un grand nombre d’habitations autour. Devant le peu d’enthousiasme des industriels à venir s’installer dans la région, IDEA décide alors de changer l’attribution pour en faire une zone mixte, afin d’attirer des petites PME et entreprises familiales sur ces terrains. Ils (commune et IDEA) ont donc commencé les longues démarches. L’IDEA a anticipé la décision officielle en l’affichant l’information sur leur site public afin d’attirer les PME induisant du même coup en erreur les nouveaux riverains. Ces derniers pensant la zone devenue mixte n’ont jamais cru que ce terrain pourrait accueillir une si grosse industrie. Encore plus absurde, en 2015 on a accepté qu’un nouveau projet résidentiel de plus de 60 maisons soit construit au pied d’un terrain industriel. », nous précise Florence Defourny des amis du Crachet.

Pour eux ce type d’industrie ne doit pas être implanté à côté des zones résidentielles, car cela pollue l’air et les eaux. « Le site choisi n’est pas adapté. Où va-t-on déverser les eaux polluées ? Nous n’avons pas de cours d’eau capable d’absorber autant d’eau rejetée de l’usine. Les produits nocifs utilisés comme les antigerminatifs utilisés pour le stockage des pommes de terres sont par ailleurs hautement cancérigènes. Stocké de l’ammoniac aussi près des habitations est aussi effrayant. Le passage de 800 camions par jour va encombrer et détruire nos routes, mais également polluer la région en augmentant le CO2 dans l’air. »

L’argument de la création de 300 à 500 emplois est lui aussi mis en doute par les riverains. « Les embauches s’étalerait sur 12 à 15 ans ! Et puis pour quel type d’emplois ? Des intérimaires, des CDD ? Cela amènera surtout de l’insécurité. Nous ne sommes pas contre la création d’emploi, mais plus avec ce genre d’usine qui détruit la santé, l’environnement et le climat. D’autres alternatives respectueuses peuvent être développées. »

IDEA est une Intercommunale de Développement Économique et d’Aménagement du Coeur du Hainaut. Elle assure des missions d’études, de planification et de valorisation du territoire. Mais aussi la production/distribution d’eau aux industriels et l’assainissement des eaux usées.

Guerre de la frite à Frameries
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Les tensions ont même pris un tour franchement hostile quand on a deversé de la graisse de friture dans la boîte aux lettres de ce qu’on pensait être le domicile de Caroline Decamps, directrice d’IDEA. Malheureusement pour les voisins, les vandales se sont trompés sur la cible et ont couvert de graisse la mauvaise maison. Plusieurs employés d’IDEA auraient également été menacés, au point, qu’à l’intercommunale, on envisage sérieusement de porter plainte.

Les membres du groupe la Nature sans Friture précisent qu’ils ne sont en rien responsables de ces actes qu’ils condamnent et que leurs actions ont toujours été exemplaires et respectueuses.

Visite contreproductive

Le 24 mars, le groupe Clarebout a ouvert son site de Warneton aux riverains de son usine dans une optique de transparence. Des habitants du Crachet vont s’y rendre et cela va finir de les convaincre qu’implémenter une telle usine est inenvisageable. « Il y a un bruit sourd incessant, mais aussi des effluves qui mélangent odeurs de graisse, de soufre et de pommes de terre pourries qui s’étalent jusqu’à 5 à 7 kilomètres à la ronde et qui vont potentiellement incommoder 50.000 personnes. Il y a aussi un défilé de 1 000, peut-être 1 600 camions par jour », dit un des riverains dans De Standaard. Même les emplois promis leur semblent bidon. « Sur les autres sites, 75 % du travail est effectué par les Français, qui sont beaucoup moins chers. Pourquoi pensez-vous que Clarebout installe ses usines si près de la frontière ? C’est un travail pénible et sale que les gens ne peuvent généralement pas supporter pendant plus de trois ans » raconte encore un riverain au De Standaard.

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Jan Poté, porte-parole de Clarebout, tente cependant d’éteindre l’incendie. Il précise que la région d’implémentation des usines est choisie en fonction des sols et du climat propices à la culture de la pomme de terre. Mais aussi parce qu’il y a beaucoup d’agriculteurs dans la région prêts à leur en fournir. La proximité de la France n’aurait, toujours selon le porte-parole, pas grand-chose à voir avec ça. Il ajoute aussi qu’il s’agit d’un investissement important de 300 à 500 millions d’euros qui amènera de 300 à 500 emplois, et ça dans une région où le chômage est à 17% et où les investisseurs ne se bousculent pas au portillon.

C’est d’ailleurs la perspective de centaines d’emplois et de nombreux emplois indirects dans le Borinage qui compte 17.000 demandeurs d’emploi qui a effectivement poussé, dans un premier temps, le bourgmestre Jean-Marc Dupont (PS) à se joindre au projet avec un certain nombre de personnalités régionales.

Mais maintenant que la protestation enfle, le projet a perdu de son lustre et c’est la défection généralisée. Les revendications et démonstrations des riverains ont permis à de nombreux politiques de changer d’avis et les autorités communales prennent désormais la défense des riverains. Jean-Marc Dupont, tente aujourd’hui, dans l’urgence de faire changer l’attribution de zone industrielle à « zone d’activités économiques mixtes » ce qui interdirait de facto l’implémentation de l’usine.

« Nous n’avons pas été assez prudents, je l’admets. Dans ma région, j’ai d’abord vu les emplois créés », se défend-il dans Le Soir. Mais nul ne sait s’il en a bien le droit et si Clarebout va laisser passer ça. La commune, comme l’intercommunale, risque d’écoper de lourdes pénalités judiciaires.

Car comme le précise encore le porte-parole de Clarebout dans De Standaard, « on ne change pas les règles du jeu pendant le match. C’est un mauvais signal pour tous ceux qui veulent investir dans cette région à l’avenir. Des centaines d’agriculteurs sont avec nous et plus de 500 personnes ont déjà envoyé leur CV. Et la nouvelle usine sera pourvue des dernières techniques qui devraient considérablement diminuer l’odeur et le bruit. » Avant de trancher, l’entreprise précise néanmoins qu’elle attend « les résultats de l’étude de faisabilité menée à leurs frais par un bureau indépendant ». Une étude dont les résultats devraient tomber vers mai juin et qui ne serait, toujours selon le porte-parole, qu’une première étape dans ce qui est une longue procédure.

Du côté de l’intercommunale montoise IDEA, on cherche aujourd’hui fébrilement un nouveau site pour tenter de sortir de la crise. Pas une évidence puisqu’il faut que le site soit grand et avec des accommodations spécifiques avec notamment approvisionnement en gaz, eau et électricité ». Un argument là aussi nuancé par Florence Defourny : « Ici aussi tout est encore à installer et à prévoir. Depuis 2016, Clarebout fonctionne avec des groupes électrogènes pour apporter l’électricité dans ses hangars de stockage. Rien que par sa définition, le terrain n’est pas adapté. En effet, un zoning industriel doit être isolé des habitations, ici, à 30 mètres, nous avons déjà des maisons. Cherchez l’erreur… »

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