Olivier Mouton

Gouvernement suédois : la « rupture de droite » reste superficielle

Olivier Mouton Journaliste

Le gouvernement Michel Ier marque la différence par rapport à vingt-cinq ans de socialistes au pouvoir. Il brise des tabous, fâche les syndicats, mise sur les entreprises en prévoyant des corrections sociales. Mais au-delà des symboles, la Suédoise doit encore prouver sa capacité à réformer en profondeur le pays.

Le gouvernement Charles Michel Ier entre en piste, pour révolutionner le paysage belge. Pour la première fois depuis vingt-cinq ans, le PS ne sera pas au pouvoir fédéral. L’attelage N-VA, CD&V, Open VLD et MR y voit un symbole d’envergure. Il a désormais cinq années, si tout va bien, pour aller au-delà de ce cliché…

« Un gouvernement sans le PS, c’est déjà une réforme de l’État en soi », insiste le MR Didier Reynders. « C’est la coalition que je voulais », fanfaronne Bart De Wever : la même qu’à Anvers et au gouvernement flamand, avec un seul partenaire francophone, minoritaire, de centre-droit. « Je pense que nous avons réussi à donner à ce gouvernement des accents sociaux, souligne Kris Peeters, coformateur CD&V, même si je sais que tout le monde ne l’accueillera pas avec des applaudissements. » L’opposition socialiste fustige déjà le « gouvernement des patrons » et dénonce des « attaques frontales contre les travailleurs ». Au-delà des slogans et des positionnements politiques, que penser de son programme ?

Conformément à ce que Charles Michel évoquait au début de sa mission de formation, ce gouvernement mènera-t-il une politique « de centre-droit raisonnable » ? Ou doit-on plutôt s’attendre à un « bain de sang social » de la part d’une « droite décomplexée » ? La réalité se situe sans doute entre les deux, au-delà des images caricaturales utilisées par le PS. Par contre, il reste un doute réel sur la capacité de cette équipe à « remettre la Belgique sur les rails socio-économiques », comme elle s’engage à le faire, avec des recettes éculées.

Le premier indice du caractère somme toute « raisonnable » de la suédoise, ce sont les perspectives budgétaires. En reportant le retour à l’équilibre en 2018, la coalition se donne un peu de mou pour la relance. Le montant d’économies à réaliser, quelque 11 milliards d’euros, représente seulement la moitié de l’effort réalisé par le gouvernement Di Rupo. Si l’exercice sera incontestablement rude pour le citoyen – on atteint l’os et la sécurité sociale voit sa norme de croissance réduite en-dessous de son taux de croissance réel ! -, il ne s’agit pas a priori d’une cure d’austérité brutale.

Il y a bien sûr, ces mesures qui frappent immédiatement les esprits : le saut d’index généralisé en 2015 (mais « intelligent », corrigé socialement), l’augmentation de l’âge légal de départ à la pension (66 ans en 2025, 67 ans en 2030) ou encore les deux demi-jours de services à la communauté que devront prester les chômeurs de longue durée. S’il s’agit bel et bien de ruptures, elles ne résoudront rien en soi.

Le saut d’index est un « cadeau » fait aux entreprises pour doper leur force concurrentielle, rien ne dit toutefois que cela se convertira en emplois ni qu’il s’agit d’une mesure judicieuse alors que la déflation menace. En outre, c’est un « one shot », pas une réforme structurelle.

Charles Michel et les siens ouvrent une nouvelle ère du fédéralisme belge sur le ton d’une ambition mesurée.

L’augmentation de l’âge de la pension n’est qu’une ligne d’horizon, effective si tout va bien dans… trois législatures. Il reste tout le travail à mener sur la durée effective de carrière pour relever le taux d’emploi des plus âgés, comme l’a préconisé par le groupe d’experts chargé de plancher sur ce dossier. Le patronat flamand (Voka), pourtant proche de la N-VA, a déjà estimé que ses effets viendraient « bien trop tard ».

Les travaux d’intérêts généraux pour les chômeurs induiront peut-être un changement d’état d’esprit, mais ce ne sont là que des rustines face au chômage de masse. C’est avant tout un geste symbolique, un message à « ceux qui se lèvent tôt ».

D’autres mesures affecteront le portefeuille des citoyens à géométrie variable : ceux qui consomment du tabac, de l’alcool ou roulent au diesel payeront des accises supplémentaires, ceux qui « jouent en bourse » verront leurs opérations davantage taxées, ceux qui achètent sur internet ou pratiquent la chirurgie esthétique payeront une TVA plus importante… Et les banques, taxées, ne manqueront pas de répercuter ces frais supplémentaires sur leurs clients. Ce sera dur, oui, mais cela s’inscrit somme toute dans le cadre des politiques menées en Belgique ces dernières années. Une politique par petites touches. Parler de « cauchemar social » comme le fait Elio Di Rupo, Premier ministre sortant retourné à ses combats du boulevard de l’Empereur, est peut-être forcé sur la dose.

La « suédoise » sera-t-elle le « gouvernement des patrons » ? Il est évident que l’appel des fédérations patronales a été entendu, mais partiellement, seulement. Au-delà du saut d’index, un « cadeau » de 2,4 milliards d’euros qui profitera aussi… aux Régions et Communautés dirigées par le PS, de nouvelles réductions de charges sociales sont promises aux entreprises. Mais le gouvernement Michel Ier a visiblement botté en touche pour la grande réforme fiscale annoncée durant la campagne. Le contexte budgétaire et socio-économique difficile empêche les grands chantiers de cette nature. La mise à plat nécessaire de notre système de contribution sociale attendra… Tout juste annonce-t-on que l’on amorcera durant cette législature cette réflexion que l’on sait extrêmement délicate. Pourtant, le MR avait mis fortement en avant une politique ambitieuse dans ce domaine durant la campagne.

La politique socio-économique du gouvernement mise sur un redressement porté par le secteur privé, mais reste corsetée par le contexte budgétaire et suspendu au retour d’une croissance soutenable. Surtout, elle n’initie pas le changement de modèle que requiert notre époque de crises perpétuelles.

Entre rupture et résistance annoncée du côté francophone, Charles Michel et les siens ouvrent donc une nouvelle ère du fédéralisme belge sur le ton d’une ambition mesurée. On sait les chausse-trappes qui sont devant lui : une concertation délicate avec les partenaires sociaux, une coopération nécessaire, mais épineuse avec les entités fédérées, surtout du côté francophone, une N-VA qui n’a pas renoncé à ses rêves confédéralistes dans la perspective de 2019, une conjoncture internationale à risques… Pour ne pas parler d’une majorité à quatre dont les équilibres restent fragiles, comme en ont témoigné les longues discussions menant à l’accord d’hier.

Une rupture, cette Suédoise ? Oui, si l’on considère le virage politique qu’elle représente et les accents nouveaux qu’elle initie. Non, si l’on attendait d’elle d’emblée une réforme profonde et durable de notre système socio-économique. La Belgique, comme toujours, s’adaptera par petits pas aux temps nouveaux…

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire