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Gouvernement Michel : un gigantesque Stratego caché

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Secrètement, chaque parti espère profiter de l’instabilité redoutée pour tirer les marrons du feu. Comme au jeu de stratégie militaire ultra-populaire créé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Une gigantesque partie de Stratego s’est ouverte le 7 octobre, avec l’annonce de la formation du gouvernement Michel. Depuis, chacun parti place ses pions pour tenter de tirer les marrons du feu lors de cette législature historique, dont nul n’ose jurer qu’elle ira à son terme, en 2019. Tour d’horizon des « pièces », pour comprendre le nouvel agenda des partis.

MR : le démineur

En arrivant à la tête du pays, face aux majorités emmenées par les socialistes en Wallonie et à Bruxelles, le MR veut bipolariser la vie politique et fédérer tout le centre-droit francophone, une frange estimée à quelque 30% de l’électorat, avec une marge de progression importante. Objectif ? Rester au pouvoir fédéral au-delà de cette législature – avec un accord de principe déjà conclu en ce sens ? – et devenir suffisamment fort pour renverser le PS en Wallonie.

Au Stratego, le MR endosse pourtant le rôle du « démineur », celui qui doit intervenir pour éliminer les bombes. Celles posées par la N-VA, volontairement ou non, et celles enfouies dans ses propres rangs. Ainsi, dans le camp de Didier Reynders, certes « heureux » d’être vice-Premier mais dont la rivalité ancestrale avec les Michel ne s’est pas éteinte du jour au lendemain, on persifle déjà. « Charles Michel sera en première ligne pour faire face aux difficultés, c’est lui qui sera exposé. Il l’a voulu, il l’a eu. Si cela se passe bien, on partagera ses succès. Sinon… »

PS : la bombe

Elio Di Rupo précise avoir « fait passer à tout le monde un mot d’ordre absolu : l’opposition au fédéral s’exercera depuis le parlement fédéral, pas depuis les Régions. » Autrement dit : pas question de bloquer le système belge en multipliant les procédures en conflit d’intérêt ou l’usage de la sonnette d’alarme. « Notre force, souligne-t-on au groupe PS de la Chambre, c’est l’Institut Emile Vandervelde. Lors des négociations de 2010, la N-VA était jalouse de notre centre d’études et a d’ailleurs appris de ses erreurs depuis. Au MR, ils ne sont nulle part. Nous serons capables d’analyser très rapidement les impacts à court, moyen et long termes d’une mesure pour les intérêts francophones. C’est par le sérieux que nous embêterons le plus le MR ! »

N-VA : le maréchal

Au Stratego, la N-VA est l’incontestable maréchal, la pièce la plus forte. Son désir caché ? La thérapie de choc socio-économique initiée au fédéral sera à ce point imbuvable pour le PS qu’il demandera lui-même grâce et exigera de nouveaux transferts de compétences vers les Régions et Communautés. La N-VA, parie-t-on dans les rangs libéraux francophones, pourrait au contraire se diluer dans le système belge et perdre de son intransigeance communautaire en engrangeant des réformes. Mais le politologue Bart Maddens (KUL) et l’ancien journaliste Jean-Pierre Rondas affirment qu’un plan existe bien au sein de la N-VA pour forcer le confédéralisme, dans cinq ans au plus tard, connu d’un cercle très limité auprès de De Wever.

CD&V et Open VLD : le lieutenant et le capitaine

Secrètement, les deux « petits » partis flamands de la coalition espèrent que la N-VA perdra de sa superbe au contact de ce pouvoir fédéral qu’elle vilipendait, raison pour laquelle tant les chrétiens-démocrates que les libéraux n’envisageaient à aucun prix de gouverner à nouveau sans elle dans une tripartite classique. « Dans le cas du CD&V, il y a aussi une question de conviction, persifle-t-on chez les socialistes. Le président du CD&V, Wouter Beke, est un flamingant convaincu. Il voulait ce mariage avec la N-VA. »

CDH : le sergent

Benoît Lutgen, président du CDH, a choisi, au risque de confirmer la caricature d’un petit parti « scotché au PS » : il a rapidement dit oui à un mariage avec les socialistes dans les Régions et non à une coalition de centre-droit au fédéral. Dans le jeu de Stratego, c’est le sergent, docile, qui applique à la lettre les ordres de son supérieur (qui serait ici le PS). Même si tous deux contestent catégoriquement ces liens de subordination.

Le dossier dans Le Vif/L’Express de cette semaine. Avec l’opinion de Pascal Delwit (politologue), Elio Di Rupo, Benoît Lutgen, Corentin de Salle (membre du Centre d’études Jean Gol et conseiller de Charles Michel), l’entourage de Didier Reynders, Marc Swingedauw (directeur de l’Institut d’enquête social et politique de la KUL)…

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