Bruxelles © Getty

Google Maps sépare les Flamands et les francophones à Bruxelles

Saskia Naafs
Saskia Naafs Journaliste

À Bruxelles, les utilisateurs néerlandophones de Google Maps ont accès à des suggestions de restaurants et de cafés différentes de celles des utilisateurs francophones. Telle est la conclusion d’une étude menée par la VUB.

La VUB a consulté plus d’un millier de conseils culturels, d’hôtels et de suggestions de restaurants à Bruxelles sur Google Maps. « Si vous êtes un utilisateur néerlandophone du populaire service de navigation et que vous cherchez un restaurant dans la capitale, il ne vous proposera presque que des adresses dans le centre-ville. Si vous êtes francophone, vous obtiendrez des suggestions dans toute la ville. Pour les restaurants, nous avons constaté une différence de 70 % entre les résultats de recherche en français et en néerlandais « , explique Annelien Smets, auteure de la recherche. « C’est surprenant. »

Smets n’a pas d’explication satisfaisante. L’algorithme de Google s’apparente à une recette secrète, les non-initiés ne peuvent pas comprendre. C’est peut-être lié, par exemple, à la langue des critiques des restaurants ou aux annonces payantes.

Cela n’a rien à voir avec les paramètres de l’ordinateur: l’ordinateur de Smets était nouveau, et l’historique de recherche a chaque fois été effacé. Et les résultats ne sont que partiellement influencés par sa géolocalisation.

La chercheuse a réitéré les recherches depuis Molenbeek et Woluwe-Saint-Pierre, deux communes bruxelloises aux niveaux de revenus respectivement très bas et très élevés. Dans ces deux communes, Smets a constaté une différence de 20% dans les résultats de recherche au sein du même groupe linguistique. Les habitants riches et pauvres voient donc des suggestions légèrement différentes sur Google Maps. Cette différence s’ajoute à la séparation entre les groupes linguistiques.

Une bulle de filtres dans la ville

Smets est affiliée à l’imec-SMIT, un institut de recherche sur la ville intelligente. Sa thèse de doctorat porte sur la façon dont les algorithmes influencent notre perception de la ville. Smets : « L’étude donne une première indication que la technologie élargit et renforce les ‘bulles’ existantes – dans le cas présent, la bulle linguistique. Je pense que nous devrions nous demander si c’est ce que l’on veut. Et sinon, comment la réglementer et la contrôler. »

Jusqu’à présent, la « bulle de filtres » était un phénomène qui se produisait uniquement en ligne. Le terme a été inventé en 2011 par l’activiste Internet américain Eli Pariser dans son livre du même nom. Pariser a averti que nous voyons de plus en plus la même chose sur Internet à cause d’algorithmes qui savent que nous aimons les théories de conspiration ou les politiques progressistes, par exemple. De cette façon, nous sommes toujours confortés dans nos idées et nos préférences. Ce qui est nouveau dans la recherche de la VUB, c’est qu’elle montre que de telles bulles de filtres existent aussi dans le monde hors ligne.

« Les algorithmes et la technologie influencent de plus en plus la façon dont nous utilisons la ville », dit Smets. Google Maps fournit des suggestions personnalisées – où nous pouvons manger, boire ou faire des achats. « Le moteur de recherche nous indique non seulement comment nous déplacer dans la ville, mais aussi où aller et où dépenser notre argent. Cela entraîne des conséquences sociales et économiques. »

Depuis peu, le moteur de recherche a introduit une nouvelle fonctionnalité, Google Maps for You, qui vous permet de vous abonner à des suggestions dans votre quartier ou ville, en fonction de votre profil personnel. Par exemple, si vous cherchez souvent des restaurants vietnamiens, ou si vous préférez les moules frites, Google connaît les meilleurs endroits pour vous. Ainsi, le plan de la ville en papier que nous utilisions dans le passé fait place à une carte en ligne hautement personnalisée qui ne vous montre que ce qui correspond à vos intérêts. Le danger, c’est que la ville – traditionnellement un endroit où de nombreuses personnes se rassemblent et où des choses inattendues se produisent – devienne insipide et sur mesure.

Espace au hasard

Les réseaux sociaux influencent également notre utilisation de la ville, dit Smets. Pensez à Instagram et aux influenceurs qui aiment être photographiés sur un fond reconnaissable, que ce soit la tour Eiffel à Paris, la Grand-Place à Bruxelles ou Times Square à New York. Les plateformes de location comme Booking.com ou le site d’avis touristiques Tripadvisor nous envoient aux endroits les plus populaires. De mauvaises critiques peuvent être fatales. Les hôtels et les restaurants se plaignent du pouvoir croissant de ces géants en ligne.

L’application de trafic Waze, souvent utilisée en Belgique, peut transformer des rues résidentielles tranquilles en raccourcis populaires. Il y a aussi des effets positifs : Waze peut vous conseiller de prendre la route la plus longue, mais pittoresque, dès qu’il sait que vous aimez ça. Smets : « Les gens adaptent leur comportement, même s’ils ne savent souvent pas exactement comment l’algorithme fonctionne. Nous devons en être conscients. »

La prise de conscience est une chose. La question suivante est de savoir ce que vous pouvez faire avec ces connaissances. Smets a une suggestion : « Quand j’étais à Madrid récemment, j’ai cherché ma destination par GPS, mais j’ai remis mon smartphone en poche. En déviant de mon itinéraire, j’ai fini par assister à une représentation dans une école de flamenco. Je l’ai fait moi-même, mais une application peut aussi vous faire flâner, ou vous notifier que votre train est en retard pour que vous puissiez prendre un verre en terrasse. C’est ainsi que la technologie peut stimuler les découvertes fortuites. »

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