François De Smet, président de Défi. © Belga

François De Smet: « la brutalité de la fin de mission du duo Bouchez-Coens est inédite »

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Le président de DéFI estime que la coalition-miroir proposée par le CD&V illustre sa « fébrilité ».

Le Roi Philippe a mis un terme au mandat d’informateurs de Georges-Louis Bouchez (MR) et Joachim Coens (CD&V), pour confier les clés de la crise fédérale à Koen Geens (CD&V). François De Smet, jeune président de DéFI, se demande : « devrons-nous encore supplier longtemps le CD&V ? ».

Il sortait du théâtre du Vaudeville, dans les Galeries royales, où il donne ces temps-ci, une matinée toutes les deux semaines, une série de six conférences, à l’invitation des « Matins philos ». Le thème général de ces sessions matinales : le peuple. Il s’y était engagé, dit-il, avant d’entrer en politique, il y a tout juste un an. Ce mardi 4 février, François De Smet, philosophe depuis deux décennies (ce 5 février sort son dernier ouvrage, sur le pastafarisme), député fédéral depuis le 26 mai et président de DéFI depuis le 1er décembre dernier, avait intitulé sa conférence « la Nation comme ombre ». Sortir dans une galerie royale sous l’ombre menaçante du nationalisme : la position du philosophe est, plus que jamais, celle d’un président de parti dans une Belgique en crise.

« Bienvenue au club » répondiez-vous, le 29 janvier sur Twitter, à Maxime Prévot, président du CDH, qui « attendait toujours » que le l’informateur MR Georges-Louis Bouchez le rappelle pour entrer dans une phase décisive de négociations, comme il s’y était engagé le 7 janvier. Est-ce que vous en voulez à Georges-Louis Bouchez, ou bien vous comprenez que sa mission avec Joachim Coens ait suivi des inflexions différentes selon les attitudes des uns et des autres ?

C’est une question de relation à établir avec des nouveaux présidents. Il nous reçoit, avec la députée fédérale Sophie Rohonyi. Il nous présente une note, que l’on ne peut conserver ni copier. On travaille dessus, on lui donne des commentaires, et à la fin, Georges-Louis Bouchez se fait un point d’honneur de tenir, dit-il, tous les partenaires à un même degré d’information. Et il nous dit qu’il appellera tout le monde, le jeudi ou le vendredi, même ceux qui ne seront pas partie à la coalition qu’il envisagera. Alors, non seulement il ne me rappelle pas, mais en plus j’apprends qu’il trouve le temps de passer négocier à Schaerbeek pour essayer de voir si le MR ne peut pas entrer dans une majorité communale…que nous dirigeons. J’avoue que, les deux pris ensemble, on se dit : « Allo ? Je suis président, si tu veux discuter d’une majorité dans une commune, c’est gentil de me prévenir. Et puis comme informateur tu ne trouves pas non plus le temps de me passer un coup de fil ? » Je trouve ça dommage. Je ne lui en veux pas, je sais qu’informateur ce n’est pas une mission facile, mais il faut essayer de garder de bonnes relations avec tout le monde, non ?

Il y a certes la politesse, mais il y a aussi la réalité arithmétique. Quand on a deux sièges et qu’il faut en rassembler 75, c’est normal qu’on n’obsède pas des informateurs…

Attendez, à partir du moment où le gars vous dit qu’il va vous rappeler, on s’attend à un principe de correction… Alors, bien sûr qu’on n’a que deux sièges, mais on essaie d’être positifs. On nourrit les notes autant qu’on le peut, on répond à toutes les invitations, et puis, il y a quand même une ou deux hypothèses où deux sièges peuvent compter.

Le CD&V semble plus déterminé que jamais à ne pas gouverner sans la N-VA. Avez-vous senti des ouvertures venant de Joachim Coens pendant sa mission d’information ?

J’ai senti une grande fébrilité et une grande incertitude, que tout le monde ressent depuis la fin de la mission Magnette. Le CD&V n’a toujours pas choisi, et c’est en ça que la mission d’information Bouchez-Coens est un échec. Cette mission avait deux objectifs. Un, essayer pour la douze millième fois de voir s’il y avait moyen d’associer PS et N-VA. Et deux, surtout, faire que le CD&V parvienne à convaincre le CD&V choisir entre la Vivaldi et autre chose. On en est toujours là, et il est assez singulier d’observer que le CD&V a toujours la balle. Parfois le Palais reprend la balle, puis la lui rend, et on continue ce petit jeu où le CD&V doit essayer de se convaincre lui-même. Il est comme un empire qui sait qu’il n’est plus un empire. Il a le fantôme de son ancienne taille, il y a son identité flamande profonde, et il y a aussi un certain bon sens social chrétien, de sens de l’Etat. Tout ça se déchire. Et puis il aime bien se faire supplier, comme en 2010-2011, le CD&V. Peut-être que nous tous, tous les autres, nous n’avons pas encore fait assez pénitence, pour le supplier de bien vouloir venir, et de supplier monsieur Geens de bien vouloir devenir Premier ministre. Mais peut-être serait-il aussi utile de leur rappeler qu’il existe des majorités possibles sans eux.

Le Roi Philippe a fait le choix de Koen Geens, dont le chef de cabinet du Roi a été…chef de cabinet. Le président du CD&V et ex-informateur, Joachim Coens, n’en avait même pas été prévenu : il s’attendait, comme beaucoup, à la désignation de Bart De Wever. La souverain a-t-il été trop loin ?

Je note comme tout le monde la congruence entre l’ex-chef de cabinet de Koen Geens et le chef de cabinet du Roi… Mais, sans langue de bois, c’est très difficile à dire. La brutalité de cette fin de mission est inédite, même si Georges-Louis Bouchez a passé un temps fou, sur Twitter et ailleurs, à frénétiquement tenté de convaincre du contraire. Non, cette mission a été un échec, et pour anticiper une période de dramatisation, on a voulu donner la balle à l’homme le plus fort du CD&V, le calcul étant peut-être que si Koen Geens ne parvient pas à convaincre son parti de choisir, personne n’y arrivera et que ça fermera des portes. C’est donc peut-être purement tactique, venant du Palais, mais il est possible que ça marche… Les récentes déclarations de M. Coens sur une coalition « miroir » montrent en outre de la fébrilité. Cela rappelle que les premiers à avoir amené l’idée du confédéralisme, c’est le CD&V en 2001. Essayer de nous la ramener par la fenêtre, alors que la N-VA, au moins, le fait par la porte de devant, est une manoeuvre un peu curieuse: cela nie Bruxelles, cela nie aussi la logique fédérale, et cela démontre combien le CD&V n’a toujours pas de position claire et unie sur la crise sans précédent que nous vivons, et dont il est pourtant un acteur majeur.

Est-ce que votre soutien déclaré à l’arc-en-ciel élargi, rebaptisé Vivaldi, n’aura pas été contre-productif ? En Flandre, le FDF et DéFI sont volontiers taxés d’extrémisme, tout autant que la N-VA peut l’être en Belgique francophone…

Cette comparaison avec la N-VA, je la trouve insupportable. D’abord, nous, on ne veut pas la fin du pays. On ne défend pas les francophones parce qu’on pense qu’il y aurait une nationalité francophone, avec une langue française qui serait plus noble qu’une autre. Non, on défend les francophones parce qu’ils sont une minorité, et qu’on défend toutes les autres minorités, ici ou ailleurs, et en ce compris lorsqu’elles sont flamandes. C’est une question de valeurs, par une question de culture. Ensuite, c’est vrai qu’on a l’image de l’ancien FDF, francophonissime. Mais le « F » de DéFI ne veut pas dire francophone, mais « fédéraliste ». Nous n’avons rien d’anti-flamand. Moi-même je parle néerlandais, pas parfaitement mais suffisamment pour débattre avec mes collègues au parlement ou avec des journalistes. Autant que possible, j’essaie de parler aux médias flamands, pour leur expliquer que non, DeFI ne mange pas les petits enfants flamands en périphérie, et que pour nous, le meilleur moyen de défendre les francophones aussi bien que les Flamands, c’est d’avoir un Etat fédéral qui fonctionne. Ce qui n’est pas l’objectif de la N-VA. Mon parti est un parti fédéraliste crédible, et qui, avec ses deux petits sièges, essaie d’animer les projets de coalition avec du contenu, même si on sait qu’on n’en sera finalement pas. Les grands partis sont paralysés par leurs querelles, y compris d’égos, et nous, on arrive avec des propositions. Je suis sûr que le prochain gouvernement n’atteindra un accord que sur trois points, qui correspondent à la position de DéFI. D’abord la migration, qui a fait exploser le dernier gouvernement, mais pour laquelle on n’a jamais apporté de vraie solution, qui se trouve quelque part entre la position d’Ecolo-Groen ! et celle du VLD. Ensuite la question sociale, où il y a un quasi-consensus déjà sur la pension à 1500 euros. Et enfin une réforme de l’Etat, où désormais et à notre suite tout le monde côté francophone, et même quelques voix côté flamand, accepte l’idée qu’il ne faut pas de réforme de l’Etat pour former ce gouvernement, mais qu’il en faut une en 2024, qui soit préparée, et qui si possible associera la société civile.

Si ce n’est pas le cas, on devra organiser des élections qui pourraient mettre la Belgique en danger. Menaceraient-elles l’existence de votre parti aussi ?

Tous les partis seraient en danger, singulièrement dans cette situation inédite, où nous irions aux élections parce que nous n’aurions pas pu former un gouvernement. Aucun parti n’est à l’aise. Nous, on n’en a pas peur. S’il faut vraiment y aller, on ira. Dans un contexte pareil, les débats porteront sur l’avenir du pays. Il se trouve que ce sont des thématiques sur lesquelles nous avons beaucoup travaillé et sur lesquelles nous avons une ligne extrêmement lisible, que nous avions essayé de porter au cours de la dernière campagne, et que d’autres enjeux, climatique notamment, avaient phagocytée. Là, nous pourrions proposer aux francophones, mais aussi à nos amis flamands, un pacte générationnel. Faisons une réforme de l’Etat pour une génération : on maintient la Belgique, on corrige ce qui ne va pas, on accepte certaines refédéralisations, on termine certaines régionalisations là où ça peut être utile, et on ne touche plus à l’Etat pendant vingt-cinq ans. Cela permettrait aux Flamands de choisir entre les nationalistes pur jus, qui comme Theo Francken font carrière sur ces aspirations, et les autres. Et ça permettrait aux francophones, qui d’habitude subissent les réformes, d’en être partie prenante.

Aujourd’hui, dans votre travail quotidien de président, il y a les préparatifs de ces élections anticipées ?

Oui. On fera tout pour qu’elles n’interviennent pas, mais il y a des préparatifs, oui.

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