Belgacom : l'effet boomerang d'un fonds de pension repris par l'Etat. © Belgaimage

Fonds de pension Belgacom: note salée pour le gouvernement

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

En 2003, Verhofstadt II met le grappin sur la réserve des pensions de l’opérateur télécoms. Torpillé par l’Europe, ce subterfuge budgétaire à cinq milliards laisse à l’Etat la charge des retraites. Près de 500 millions par an. A verser pour longtemps.

Hendrik Bogaert, député fédéral CD&V, aime fouiner dans la cuisine budgétaire avec la quasi-certitude de ressortir des fourneaux de vieux plats bien faisandés. Récemment, le curieux a soumis à l’odorat de l’actuelle ministre du Budget, Sophie Wilmès (MR), le fruit d’une recette qui remonte à 2003, sous l’ère Verhofstadt, et qui n’a pas fini d’empester les caisses de l’Etat. Rien n’est jamais trop beau pour enjoliver un budget. Cette année-là, la coalition socialiste-libérale dirigée par Guy Verhofstadt (Open VLD) flaire l’occasion en or. Un pactole logé chez Belgacom, détenteur du plus grand fonds de pension du pays et l’un des plus réputés d’Europe par sa qualité. Cinq milliards d’euros à portée de main : comment résister à la tentation ? Fin 2003, l’affaire est conclue et couplée à l’introduction en Bourse de l’opérateur télécom. L’Etat fait main basse sur ce bas de laine, à charge, c’est la moindre des choses, d’assumer les obligations qui y sont liées, le paiement des retraites des agents statutaires de l’entreprise. Bon débarras, jubilent les actionnaires aux anges.

La migration de l’argent vers les caisses de l’Etat est un modèle de transparence, comme l’explique à un parlementaire désorienté l’homme à la manoeuvre, Johan Vande Lanotte (SP.A), ministre du Budget.  » Le paiement se passe concrètement par l’attribution de ces recettes non fiscales à un fonds de budget organique sur le budget de la dette publique qui nourrit le Fonds de vieillissement « , cette autre trouvaille dudit ministre du Budget censée financer les pensions du futur. Comme l’observera par la suite non sans perplexité Paul Palsterman, secrétaire régional de la CSC,  » on y a mis en recette la reprise du fonds de pension de Belgacom, alors que cette reprise est bien entendu assortie de l’obligation pour l’Etat de payer ces pensions…  » (1)

Qu’à cela ne tienne, l’exercice de haute voltige financière a pour vertu d’assurer l’équilibre du budget fédéral en 2003 et 2004 au lieu de lui infliger un vilain déficit. Malin, non ? La majorité le prétend autant que le conteste l’opposition, CD&V en tête, hurlant au saut dans l’inconnu et au subterfuge comptable qui se paiera cher tôt ou tard. Mais puisque l’Europe et ses règles comptables SEC-95 ne voient pas d’objection au transfert, à quoi bon s’énerver ? Et tant qu’à faire, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? L’équipe Verhofstadt récidivera donc avec les fonds de pension de la SNCB (environ 300 millions), de Belgocontrol et de Biac, la société qui gérait l’aéroport de Zaventem (130 millions), et du port d’Anvers (236 millions), pour des montants nettement plus modestes et comptabilisés dans le budget 2005.

Hendrik Bogaert, député CD&V :
Hendrik Bogaert, député CD&V : « Etonnant que ce tour de passe-passe n’émeuve pas plus l’opinion publique. »© BAS BOGAERTS/ID PHOTO AGENCY

Sévère correction

Oui mais voilà, l’Europe a aussi ses humeurs. Tout bien réfléchi, elle finit par trouver que cette astuce n’est pas très orthodoxe. Au diable le SEC- 95, place au SEC-2010, nettement moins indulgent. Il est décrété que cette manne providentielle n’était finalement qu’une avance financière. L’enregistrement en recette publique ne devra donc se faire qu’en proportion et seulement au moment où les pensions sont réellement versées, jusqu’à épuisement du montant avancé.

Changer ainsi les règles du jeu n’est peut-être pas très sympa. Toujours est-il que l’application du SEC-2010 dans les comptes nationaux des Etats membres de l’Union européenne, à partir du 1er septembre 2014,  » a réduit à néant l’intérêt de l’opération  » montée en 2003, constate aujourd’hui la ministre Sophie Wilmès. Et la correction est plutôt sévère. Le solde de financement de l’Etat, excédentaire en 2003, est reconverti onze ans plus tard en un déficit de 4,9 milliards d’euros.

Coup dur mais pas grave. Le gouvernement Verhofstadt n’est plus aux affaires depuis longtemps pour avoir à rendre des comptes, et il est dit que les apparences resteront sauves puisque cette rectification restera neutre sur le plan budgétaire. Pouf-pouf, on annule tout ? Pas pour l’Etat, qui doit s’en tenir à son devoir.  » Cette année, nous payons quelque 400 millions aux travailleurs pensionnés pour le fonds de pensions de Belgacom-Proximus « , relève la ministre du Budget. Rien encore de douloureusement palpable pour le budget, puisqu' » il est tenu compte de l’amortissement du capital obtenu du rachat du fonds de pension « . Mais plus pour longtemps :  » L’amortissement prendra fin entre 2021 et 2022. A ce moment, il ne s’agira plus d’une opération neutre.  » Le capital de cinq milliards aura été épuisé, bas les masques et bonjour le coût-vérité. Pour un joli bout de temps.

Proximus qui rapporte, Belgacom qui coûte

Lors de sa conclusion, il a été dit que le montage financier portait sur 30 000 travailleurs et devrait courir sur une période de quarante ans. Les projections livrées à l’époque chiffraient l’ardoise annuelle prévisible jusque 2024 : à la hausse toute ! 433 millions en 2019, 456 en 2020, 460 en 2021, 470 en 2022, 475 en 2023, 476 en 2024, année où l’opération devrait encore concerner 20 420 personnes dont 18 540 non-actifs et 1 880 toujours actifs.

Bon à savoir pour le futur grand argentier de l’équipe qui succèdera à Michel I : il ne devra jamais oublier d’intégrer ce cadeau empoisonné à chaque épure budgétaire.  » Si une telle opération peut être utilisée pour réduire artificiellement un déficit budgétaire, l’actualisation des règles européennes a rendu ce procédé nettement moins profitable. Nous voyons aussi que cela mènera à des coûts supplémentaires qui auront un impact sur les trajectoires budgétaires d’ici à quelques années « , observe Sophie Wilmès, en tirant de cette histoire une morale qui se garde d’accabler les concepteurs de ce montage, notamment libéraux.

Hendrik Bogaert, autrement plus à l’aise sur le sujet, en rajoute :  » Ce qui se passe est tout bonnement fabuleux, d’un cynisme incroyable. Je m’étonne que ce tour de passe-passe n’émeuve pas plus l’opinion publique.  » Parce qu’on se garde évidemment de le clamer sur tous les toits.  » Le secret qui entoure toujours ce type d’opération est très inquiétant. Ma conclusion serait : messieurs les politiques, penser le long terme est une urgence de court terme « , commente l’économiste et spécialiste en pensions Jean Hindriks (UCL).

Impitoyable, l’élu CD&V appuie encore là où ça peut faire aussi mal : tout bien pesé, Proximus, qui devrait verser en 2018 271,331 millions en dividendes à son principal actionnaire, l’Etat (53,5 %), rapporte moins que les 400 millions que Belgacom coûte en pensions à ce même Etat. A malin, malin et demi.

(1) Le Financement des pensions, CH Crisp 2088-2089, 2011.

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