© Debyy Termonia

FGTB-métal :  » Le bilan de Di Rupo est catastrophique « 

François Brabant
François Brabant Journaliste politique au Vif/L'Express

Le secrétaire général de la FGTB Métal veut du changement à la tête de son organisation. La proximité affichée entre Anne Demelenne et le PS nuit à la crédibilité du syndicat, dénonce-t-il.

C’est le dilemme que vivent tous les syndicalistes du pays, qu’ils soient socialistes ou chrétiens. Côté pile : ils perdent bataille sur bataille. Jamais le rapport de force, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, ne leur a semblé aussi défavorable. Côté face : ils résistent. Jusqu’à présent, leurs citadelles tiennent bon. Les traits qui caractérisent le « modèle belge », et qui le rendent si anachronique aux yeux de nombreux observateurs, restent d’application – à commencer par l’indexation automatique des salaires et les allocations de chômage illimitées dans le temps.

D’où le dilemme syndical. Jouer en défense pour préserver les acquis ? Ou repartir à l’offensive, au risque de tout perdre ? Nico Cué, le secrétaire général de la centrale des métallos, l’une des plus puissantes de la FGTB, appelle son organisation à choisir la seconde option. Il plaide pour une indépendance totale vis-à-vis des partis politiques. « Mon père, syndicaliste dans les Asturies, a atterri à Liège après avoir fui la dictature franquiste, raconte-t-il. Je suis entré à la FN de Herstal en 1976. A l’époque, je militais aux Jeunesses communistes espagnoles. Quand le président de la délégation FGTB m’a proposé d’entrer au conseil d’entreprise, il m’a dit : si tu veux devenir syndicaliste, tu dois arrêter la politique. Depuis, je n’ai plus jamais eu de carte de parti. »

A trois mois des élections, l’interview que Nico Cué nous a accordée résonne comme un mitraillage en règle de la stratégie actuelle du Parti socialiste. Lorsqu’il évoque l’action d’Elio Di Rupo, en particulier, ses mots claquent comme des rafales de FN Minimi.

Le Vif/L’Express : « Quand j’ai commencé ma vie de travailleur, nous pensions tous que 10 % de chômage dans le pays déclencherait la révolution », écrivez-vous dans le bimensuel des métallos FGTB. Ce seuil est largement dépassé, mais aucune vague de contestation ne secoue la Belgique. Vous comprenez pourquoi ?

Nico Cué : Non, je ne comprends pas. Avec nos lectures anciennes, on savait que, dans l’Histoire, le gonflement du chômage provoquait toujours des mouvements importants. Les gens n’attendaient pas les organisations syndicales, ils bougeaient. Aujourd’hui, il y a une apathie générale. Voyez la Grèce, l’Espagne. En Andalousie, le chômage atteint 50 % de la population. Pourtant, on n’assiste pas à des explosions de colère. Les gouvernants ont réussi à nous endormir.

Les syndicats paraissent incapables de provoquer l’étincelle que vous souhaiteriez. Votre message, vos modes d’action sont-ils encore en adéquation avec la société d’aujourd’hui ?

La FGTB est face à une question existentielle. Cette évolution de l’économie qu’on dénonce, en tant que syndicalistes, on l’a accompagnée, puisqu’on a signé des accords. Doit-on continuer à accompagner, ou doit-on entrer en rupture avec un système qui est en train de nous ramener un siècle et demi en arrière ? C’est la question centrale.

Quand vous dites « accompagner », vous voulez dire : jouer le jeu de la concertation sociale, dialoguer avec les responsables politiques, en particulier ceux du PS, pour tenter de limiter la casse ?

Voilà. Jusqu’à présent, les dirigeants syndicaux se sont dit : les réformes restent à la marge, le gros des troupes n’est pas touché. Donc, on accompagne et on essaie de corriger ce qu’on peut. Est-ce encore la réponse adéquate ? Nous, les métallos, on pense que non. Si ça continue de cette manière, les gouvernants rétabliront l’esclavage et les syndicats s’occuperont de négocier le poids des chaînes.

Que devrait faire la FGTB ?

Quand il y a une tempête, on doit rester sur ses racines. Je pense qu’on doit revenir à la déclaration de principe de la FGTB, rédigée en 1945. Celle-ci pose les bases d’une société plus égale, une société sans classes, avec une redistribution correcte des richesses, en toute indépendance avec les partis politiques. Aujourd’hui, je crains fort qu’on s’en écarte.

Lors de la grève générale du 30 janvier 2012, la CSC et la FGTB ont opté pour un coup de semonce radical : mettre le pays à l’arrêt. En même temps, on a senti dans le chef des états-majors syndicaux une forme de retenue, une volonté de ne pas trop déstabiliser le gouvernement. N’est-ce pas une attitude paradoxale ?

Il y a une ambigüité, c’est clair. La base pousse, la structure fédérale freine. Ce n’est pas nouveau, elle a toujours freiné. Sauf que là, elle freine un peu trop. Nos militants sentent de plus en plus la complicité avec le PS et le SP.A, qui n’est pas nouvelle non plus, mais qui devient de plus en plus problématique au fur et à mesure que le quotidien de nos affiliés s’abîme.

Le mandat d’Anne Demelenne, secrétaire générale de la FGTB, arrive bientôt à échéance. Le congrès qui se tiendra en octobre doit-il servir à redéfinir la ligne stratégique de votre organisation ?
Oui, la FGTB doit se ressaisir. Il faut fondamentalement réorienter nos positions. Je ne suis pas satisfait d’Anne Demelenne et de l’équipe en place.

Que lui reprochez-vous ?

D’abord de ne pas être à l’écoute de sa base. Ensuite, concernant l’organisation de la contestation, ça ne va pas. En 2012, la FGTB a adopté cinq points de rupture par rapport aux mesures du gouvernement fédéral. Au fil des mois, ces points de rupture sont devenus des feux orange, puis des feux verts. Mettez-vous à la place de nos gars qui sont à l’usine. Ils disent à leurs collègues : ne vous tracassez pas, sur ces cinq points-là, la FGTB ne cèdera pas. Et puis, ils entendent Anne Demelenne sur les plateaux télé amenuiser ces cinq points, pour les ramener à rien du tout.

Les syndicalistes ont la cote dans les partis politiques. Le CDH a débauché le numéro 2 de la CSC, Claude Rolin. Le PS a attiré Robert Rouzeeuw, délégué chez ArcelorMittal. Et le PTB a confié à un sidérurgiste, Frédéric Gillot, sa tête de liste pour les élections régionales à Liège. Cela vous réjouit-il ?

J’apprécie que les partis prennent enfin conscience qu’il y a des ouvriers et que ceux-ci sont dignes de figurer sur leurs listes électorales. Ce n’est pas une garantie, mais on peut supposer que le monde du travail sera mieux pris en compte que lors des scrutins précédents. Cela dit, je rappelle l’article 3 de notre déclaration de principe : « Indépendance absolue vis-à-vis de tous les partis politiques ».

Jean-Pascal Labille, ministre fédéral des Entreprises publiques, chante les louanges de l’Action commune, c’est-à-dire l’union du PS, des mutualités Solidaris et de la FGTB. C’est un concept dans lequel vous ne vous retrouvez pas ?

Non. Je refuse que la FGTB soit perçue comme l’arrière-cour du PS. Et je reste convaincu que ce n’est pas le cas. Marc Goblet, le président de la FGTB liégeoise, en est le plus bel exemple. C’est un grand défenseur des socialistes, mais en même temps, il leur met des gifles à tout bout de champ. Chacun peut avoir des convictions à titre individuel, mais il n’est pas question de se soumettre en tant qu’organisation. Or aujourd’hui, certains sont prêts à franchir ce pas.

Il n’y a aucun lien privilégié entre la FGTB et le PS ?
Aucun. On est historiquement invités au bureau du PS, mais on y va pour défendre le point de vue de l’organisation. Je sais que quand Thierry Bodson y va, en tant que responsable de l’interrégionale wallonne, il tape du poing sur la table. Je doute qu’Anne Demelenne agisse de même.

La FGTB est-elle infiltrée par l’extrême gauche, comme on l’entend parfois ?
Ce qui est vrai, c’est que la mauvaise humeur augmente le nombre de militants sensibles aux partis d’extrême gauche. Mais l’organisation n’est pas infiltrée… Parmi les dirigeants de la FGTB, le seul qui pourrait être qualifié d’extrême gauche, c’est moi. (Rires)

Certains se plaignent des méthodes du PTB, qui noyauterait les assemblées du personnel.

Vu de l’extérieur, cela pourrait donner cette impression. Mais nous, on les connaît, les gens du PTB… Les autres travailleurs les connaissent. On connaît leur discours pratiquement par coeur, on sait quoi répondre. Globalement, ils restent à la marge. Par contre, je ne nie pas qu’il y a une présence du PTB sur le terrain, aux piquets de grève, que le PS n’a plus.

Pour les élections du 25 mai, donnerez-vous une consigne de vote ?

On dira à nos affiliés de voter à gauche, rien de plus. On est content que l’offre de gauche s’étoffe, qu’elle devienne plus crédible, pour une partie d’entre elle, mais on ne va pas se mouiller avec Pierre, Paul ou Jacques. A titre individuel, certains partis peuvent m’être sympathiques, mais je pense que j’ai beaucoup plus de force quand je m’appuie sur les milliers de travailleurs que je représente pour parler d’égal à égal avec le PS, le PTB, Vega, le CDH ou Ecolo.

Vous excluez le MR ?

Non. J’ai beaucoup discuté avec Serge Kubla quand il était ministre wallon de l’Economie. On a trouvé chez lui un écho qu’on n’espérait pas. A l’époque, la multinationale Colt voulait racheter la FN. On a dit à Kubla : voilà les dangers, les risques de délocalisation. Et il a suivi nos positions.

Certains libéraux disent : on tend la main aux syndicats, mais ils ne nous invitent même pas à leurs débats.

On a déjà invité Louis Michel à l’un de nos congrès. A l’époque, il était plus à gauche que Di Rupo aujourd’hui. Il a prononcé un discours flamboyant sur le libéralisme social. C’est devenu plus compliqué quand Didier Reynders est arrivé à la tête du MR, à cause de son mépris…

La législature touche à sa fin. Quel bilan tirez-vous du gouvernement Di Rupo ?

Catastrophique. De toute ma vie de militant, je n’ai jamais vu ça. J’ai vécu les restructurations de la FN, de la sidérurgie, des milliers d’emplois perdus. Mais c’est la première fois, comme citoyen, que je me sens touché en profondeur dans ma qualité de vie. Par le passé, les combats étaient difficiles, mais on rebondissait. Je me rappelle les neuf semaines de grève à la FN contre le blocage des salaires, en 1986. Ici, j’ai l’impression qu’on ne renégociera plus les salaires. Ils vont nous les bloquer pour dix ans. On va vers un appauvrissement généralisé.

Avec l’index et le chômage illimité dans le temps, l’essentiel n’a-t-il pas été maintenu ?

Non, le modèle est cassé… Les réformes sont trop profondes, trop brutales. Ce qui m’attriste, c’est qu’on a sacrifié notre modèle social pour maintenir un pays qui risque de toute façon de ne pas tenir la route. Si au moins la scission des allocations familiales avait permis de liquider la N-VA… Mais on en est loin. Je ne suis pas devin, j’ignore ce qui va se passer après le 25 mai. Tout le monde pense que Di Rupo a gagné. Moi, je pense qu’il est battu.

S’agissant de ce que vous appelez la « casse » du modèle belge, estimez-vous que le Premier ministre porte une responsabilité personnelle ?
Totale ! Il s’accroche à des symboles : avoir sauvé la Belgique, avoir un Premier ministre socialiste. Mais qu’est-ce que ça apporte concrètement au citoyen ?

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire