« Faute d’anticipation, l’initiative de Benoît Lutgen tient de l’aventure ou du suicide »

La recomposition politique est assurément la tendance 2017 de nos démocraties. En un peu plus d’un an, Emmanuel Macron s’est bâti un pouvoir à sa main, condition de l’adoption de réformes qui puisent leurs fondements tantôt à gauche, tantôt à droite. Chez nous, Benoît Lutgen s’est profilé à son tour cette semaine comme l’instigateur-surprise d’une recomposition politique à la belge…

Emmanuel Macron s’est d’autant plus aisément ouvert un espace politique central que son ambition a répondu à une lassitude citoyenne de la confrontation stérile gauche-droite et que Les Républicains et le Parti socialiste ont échoué à se renouveler. Le jeune président français n’est pas pour autant immunisé contre les déboires politiciens. Porteur d’une ambition de moralisation de la vie publique, il a été confronté, dès les premiers jours de son mandat, aux pratiques présumées répréhensibles de proches ou d’alliés. Jusqu’à présent, il a toujours paru disposer d’un coup d’avance ou faire montre d’une réactivité opportune. En témoignent la préparation des récentes élections ou l’exfiltration du gouvernement des ministres fragilisés par les affaires…

Chez nous, Benoît Lutgen s’est profilé à son tour cette semaine comme l’instigateur-surprise d’une recomposition politique à la belge, forcément contrainte par le cadre institutionnel et le système électoral proportionnel. Mais rien n’est venu accréditer l’hypothèse qu’il ait prévu le coup suivant. L’absence de concertation préalable, jusqu’à preuve du contraire, avec les partis susceptibles de former une majorité alternative, indique l’inverse. Son initiative de débrancher la prise des gouvernements wallon, bruxellois et de la Fédération Wallonie-Bruxelles tient donc à ce stade de l’aventure ou du suicide. Le patron du CDH ne peut pas pour autant être l’objet d’un procès en déni de démocratie. Si on lui a reproché en 2014 de préférer au vainqueur des élections ? le MR ? le parti encore le plus puissant à Bruxelles et en Wallonie ? le PS ? , difficile de le clouer au pilori aujourd’hui sous prétexte de privilégier le MR au détriment d’un PS dont le rôle primordial dans les affaires récentes a fini par miner l’activité des gouvernements régionaux.

Un étonnant renversement des responsabilités dans le déclin démocratique est observé pareillement en France. Désigné responsable de l’abstention record aux législatives, La République en marche voit la légitimité de sa majorité à l’Assemblée nationale mise en cause par les partis extrêmes. « L’abstention écrasante (…) a une signification politique offensive. La majorité boursouflée (…) n’a pas la légitimité pour perpétrer le coup d’Etat social qui était en prévision » , a osé le leader de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon. En vertu de quelle analyse, le mauvais perdant de la présidentielle s’autorise-t-il ainsi à désigner les abstentionnistes comme majoritairement opposés à la réforme ? qui n’a pas encore été détaillée ? du Code du travail ? En présumant l’existence d’une majorité alternative qui se substituerait à celle démocratiquement élue, l’extrême gauche française s’affranchit des règles de la démocratie dans ce qui sera sans doute, par la rue, la plus grave menace immédiate pour le gouvernement français.

La Belgique, où tout est plus compliqué mais où la concertation sociale demeure une exigence partagée, est encore à l’abri de semblable dérive. Il faudra néanmoins de l’intelligence et de la subtilité aux éventuels partenaires d’un gouvernement qui renverrait légitimement le PS dans l’opposition après trente ans de pouvoir pour convaincre les syndicats de leurs bonnes intentions et pour résister au mécontentement qu’une longue crise ne manquerait pas de provoquer, y compris au sein du patronat. Autant dire que le pari de Benoît Lutgen n’est pas gagné. Et autant souligner qu’un minimum d’anticipation eut été bienvenu. Mais n’est pas Macron qui veut…