Carte blanche

Face au parti ISLAM: Du courage pour notre démocratie!

Ces derniers mois, le parti ISLAM aura décidément fait couler énormément d’encre. Sa simple existence, mais aussi sa présence croissante au sein des communes belges en vue de la prochaine échéance électorale ou encore l’attitude déplorable de son président sur les plateaux de télévision… autant de faits ayant suscité une tonne de réactions plus ou moins médiatisées, souvent outragées, rarement constructives. La Fédération des Étudiants Libéraux souhaite revenir sur la polémique et se prononcer contre l’interdiction dudit parti.

Rentrons immédiatement dans le vif du sujet. Certains nous reprocheront sans doute notre manque de volonté, voire notre couardise pour ne pas daigner prendre une position ferme à l’égard du parti ISLAM. D’abord, il est évident que la FEL n’étant pas un parti politique, nous n’avons pas de sensibilité partisane à assumer. D’autre part, nous envisageons cette position-ci comme autrement plus courageuse que l’on puisse le penser à première vue. Il s’agit de faire confiance à notre démocratie, ou en tout cas ce que nous désignons comme tel.

Ne vous méprenez pas. Il est évident que l’existence du parti ISLAM est problématique, aussi bien quant à la place que le parti attribue à la religion vis-à-vis du pouvoir politique qu’aux idées qu’il véhicule. Ceci dit, le parti nous administre par la même occasion une vertueuse piqure de rappel : les valeurs qui sous-tendent notre démocratie ne sont pas aussi immuables que l’on aimerait pourtant le croire. Il nous prouve en prime qu’il existe bel et bien un malaise au sein de notre société. Un malaise si difficile à identifier, si compliqué à nommer, que pour certaines communautés, la seule réponse à portée de main réside dans une forme de repli identitaire. Attention toutefois à ne pas galvauder l’idée du repli identitaire, et à en comprendre les tenants et les aboutissants afin de ne pas erronément labelliser un phénomène social aux conséquences politiques et de le vider dès lors de toute substance. Parce que le repli identitaire ne sera jamais une stratégie propre à une seule communauté, et tous les replis identitaires possèdent de potentiels travers sociétaux.

Liberté quand tu nous fuis

Quoi qu’il en soit, l’existence du parti ISLAM et les propos qu’il tient publiquement nécessitent une réponse qui soit sensée et construite. Autrement dit, une réponse qui ne soit pas bêtement une interdiction. L’interdiction d’un parti dans l’absolu est tout sauf une mesure libérale, quel que soit le parti, quelle que soit l’idéologie. L’interdiction, quand en plus celle-ci est revendiquée publiquement à coup de communication politique court-termiste, n’a d’autre effet que d’offrir une publicité gratuite, de permettre à ce parti (et donc aux franges de la population qu’il dit représenter) de se poser en victimes. ISLAM, le Parti populaire, le Vlaams Belang… ces partis sont des tambours. Ce sont des formations d’une vacuité sans nom. Des caisses de résonance, sans plus. Au plus nous les cognerons, au plus leur bruit sourd nous enveloppera et nous détournera des véritables oppositions à leur fournir.

Interdire un parti revient qui plus est à enfuir les problèmes que ledit parti dit vouloir soulever et prétend (parfois légitimement d’ailleurs) vouloir discuter. Interdire la formation n’empêchera donc jamais ses membres de mener le débat. C’est donc leur laisser le monopole clandestin d’un échange thématique d’idées potentiellement liberticides qui rongeront sur le long terme les fondements de la démocratie que nous devons nous efforcer de perfectionner à l’aide de débats publics et démocratiques.

Être libéral dans une démocratie libérale Une définition minimaliste de la démocratie veut que la légitimité du pouvoir politique revienne au peuple. Le parti ISLAM et ses électeurs sont ce même peuple, n’en déplaise à quiconque se poserait en faveur de leur interdiction, en ce compris ces mandataires qui se revendiquent du libéralisme (philosophique) mais qui semblent effrayés par ses implications. Le vertige de la liberté des idées les étourdit-il ?

Parce que la démocratie, la vraie, suppose effectivement la liberté des idées. La liberté, en ce compris celle des ennemis de la démocratie. D’aucuns se fendront donc de cette désormais prévisible et stéréotypée citation de Saint-Just beuglant « pas de liberté pour les ennemis de la liberté ». A ceux-là nous aimerions lancer le défi de combattre une idée sans l’avoir écouté au préalable, sans l’avoir entendue. Nous aimerions aussi qu’ils nous expliquent l’émergence du Jobbik en Hongrie ou d’Aube dorée en Grèce (pour ne citer qu’eux). Nous aimerions qu’ils nous démontrent, en nous regardant droit dans les yeux, que leur interdiction aurait été efficace.

Alors, bien évidemment, nous le répétons, ISLAM, tout en illustrant pour une part la relative santé politique de notre démocratie, représente un danger pour cette même santé politique en ce qu’il menace les valeurs que nous retrouvons à ses fondements. Cela va de la séparation de l’Église et de l’État à l’égalité des sexes en passant par les droits des LGBT. Soit dit en passant, il s’agit bien sûr d’un danger à relativiser, parce qu’il ne faudrait pas oublier qu’à titre d’exemple, l’égalité des sexes n’a pas attendu ledit parti pour être égratignée. Prétendre que la condition de la femme en Belgique est actuellement idéale serait d’une hypocrisie dégoutante. Cela n’en reste pas moins un danger qu’il revient aux démocrates parmi nous d’écarter avec la plus grande sagesse.

Force et Honneur

Défendre efficacement la démocratie n’est possible qu’avec les armes (certes imparfaites) qu’elle nous procure. Le débat, la rencontre, l’échange. Mais aussi l’éducation chargée d’instruire notre jeunesse quant au religieux, quant aux religions, quant au droit de croire, et sa réciproque, le droit de ne pas croire. Défendre la démocratie se fait aussi en son for intérieur. Il s’agit de s’indigner et s’insurger face à de tels partis, bien sûr. Mais il s’agit surtout d’agir de la sorte de façon à construire et consolider notre démocratie et ses valeurs.

Sans doute est-il aussi venu le temps de s’adonner à un peu d’introspection. La pérennité d’une société démocratique repose intégralement sur ses citoyens. Si l’on admet que le parti ISLAM tel qu’il existe aujourd’hui exemplifie une faille dans cette démocratie que nous ne cessons de désirer, il est de notre devoir de la colmater. Or, vous comme nous sommes membres de cette société apparemment troublée. Que faisons-nous pour y remédier ? Et n’osez pas vous dédouaner en expliquant que seuls, nous n’avons aucun pouvoir. « Chacun est responsable de tout devant tous » dirait Dostoïevski. Votre prétendu manque d’emprise n’y changera rien.

La dernière chose dont nous ayons besoin aujourd’hui, c’est d’avoir peur. Ce qui nous manque cruellement par contre, c’est du courage. Du courage politique. Du courage en politique. Du courage qui puisse nous aider à démonter des idées potentiellement destructrices sans pour autant détruire le lien entre communautés. Parce que c’est précisément de ce lien dont nous aurons besoin pour construire notre démocratie future, une démocratie en phase avec la mosaïque sociale, culturelle et confessionnelle qu’est devenue notre Belgique. Une démocratie qui soit plus parfaite que l’actuelle.

Par Laurent Costas, Président de la FEL et John De Coster, Délégué aux relations internationales

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