Carte blanche

Face à l’extrême droite xénophobe, remettons les inégalités sociales au centre du débat politique

À peine élu au Parlement fédéral, l’ancien Secrétaire d’État à l’asile et aux migrations, Theo Francken, a redéposé le 20 juin son projet de loi sur les visites domiciliaires autorisant des perquisitions policières chez des personnes soupçonnées d’héberger gratuitement des femmes et des hommes  » sans-papier « .

Ce texte criminalisant la solidarité avec les migrant.e.s, qui avait été retiré en 2018 suite à la mobilisation citoyenne, refait donc surface dans un contexte politique où l’extrême droite est renforcée en Belgique et dans la majorité des autres pays européens.

On observe dans tous ces pays une dynamique commune, celle du creusement des inégalités économiques et sociales, dont les partis politiques xénophobes savent tirer profit. En Belgique, 1 % des ménages les plus riches détiennent à eux seuls entre 18 et 20 % des richesses matérielles tandis que plus de 20% de la population est, selon les chiffres officiels, menacée de pauvreté.

Le creusement des inégalités n’est pas accidentel. Il est la conséquence de l’absence de volonté politique à oeuvrer pour la justice sociale. Abandonnant cette question fondamentale de la répartition des richesses et de leur mode de production, de nombreux dirigeant.e.s politiques font le choix d’utiliser certains migrant.e.s comme bouc-émissaires de la crise, créant ainsi les conditions pour un retour du fascisme en Europe.

Sur deux points essentiels, la situation que nous vivons actuellement en Belgique se rapproche de celle qui prévalait à la fin des années 1930, même si l’Histoire ne se répète jamais à l’identique. Dans ces deux époques, la stigmatisation des migrant.e.s dans les discours politiques s’accompagne d’une offensive globale contre les droits humains. En Belgique, on a vu au cours de la dernière législature des attaques incessantes contre le droit d’asile mais aussi les droits sociaux, les droits des enfants (avec la possibilité de les détenir dans des centres fermés) jusqu’à la remise en cause explicite de l’État de droit avec le refus du gouvernement d’exécuter des décisions de justice octroyant un visa à une famille syrienne. Soulignons également que c’est dans ce contexte de chasse aux migrant.e.s qualifiés de « clandestins » ou « illégaux » qu’est survenu le décès d’une enfant de deux ans, Mawda Shawri, tuée par la balle d’un policier. Comme à la fin des années 1930, les défenseurs.e.s des droits humains (dont les syndicats et certaines associations) font aujourd’hui l’objet d’attaques régulières de la part de gouvernements européens pour qui la solidarité entre êtres humains pourrait même constituer un délit. La proposition de loi sur les « visites domiciliaires », que Theo Francken vient de redéposer au Parlement fédéral, en est un exemple.

La seconde analogie frappante entre la période actuelle et la fin des années 1930 est l’absence quasi totale de l’évocation des crises du capitalisme qui ont eu lieu dix ans plus tôt (la crise de 1929 et la crise de 2008) dans le discours politique et médiatique dominant. Les politiques socialement violentes, pudiquement appelées « mesures d’austérité » à l’oeuvre aujourd’hui, trouvent pourtant leur origine dans la crise financière de 2008 et sa gestion par les pouvoirs publics. Les sauvetages bancaires à répétition ont, rappelons-le, creusé la dette publique. Le niveau élevé de cette dette est ensuite devenu l’argument privilégié des gouvernements, qui se sont succédés depuis presque une décennie en Belgique, pour couper dans les services publics comme les hôpitaux (dont plusieurs à Bruxelles et en Wallonie sont en grève) et réduire les budgets sociaux (entraînant des milliers d’exclu.e.s, privés d’allocations chômage). Les victimes de cette énième crise du capitalisme sont donc les populations déjà fragilisées socialement en Belgique, dont une partie vote aujourd’hui en faveur du Vlaams Belang.

L’aide publique au développement a aussi subi de plein fouet les effets de cette crise puisqu’elle a été réduite de 30% depuis 2010. Pire, une partie de cette « aide » est détournée de son objectif puisque sont comprises dedans des sommes qui n’ont rien à voir avec le « développement » comme les frais d’accueil des demandeur.euses d’asile. Une autre part de cette « aide » serait même utilisée comme un outil de lutte contre les migrations. Le ministre de la Coopération au développement Alexander De Croo avait notamment déposé en 2018 un projet de loi faisant de la lutte contre la migration un critère de sélection des pays partenaires de la coopération gouvernementale.

Pour Entraide et Fraternité – Vivre ensemble, qui combat depuis des décennies l’exclusion sociale en Belgique et les mécanismes néocoloniaux paupérisant les populations du Sud de la planète, la lutte contre l’extrême droite et le retour du fascisme en Europe ne sera efficace que si elle s’articule avec une dénonciation politique des mécanismes générant la pauvreté et les inégalités aussi bien à l’intérieur de la Belgique qu’entre le Sud et le Nord de la planète.

Face aux discours haineux et mensongers qui assimilent les allocataires sociaux et les réfugié.e.s à des « parasites », nous devons, en tant qu’association, leur opposer la solidarité entre êtres humains comme une valeur fondamentale et donc non négociable. À ce titre, nous continuerons à nous opposer à tout projet de loi visant à criminaliser l’aide aux migrant.e.s. Nous redoublerons également d’efforts pour rétablir la vérité sur les causes structurelles de la détresse sociale en pointant notamment l’accaparement des richesses par une minorité d’individus, qui forment une classe sociale dont la poursuite des intérêts va à l’encontre de ceux du plus grand nombre et du bien commun, en premier lieu l’environnement.

Renaud Vivien (Chargé de recherche et de plaidoyer chez Entraide et Fraternité) et

Axelle Fischer (Secrétaire générale d’Entraide et Fraternité – Vivre Ensemble)

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