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F-16: le vrai problème, ce sont les armes nucléaires

Muriel Lefevre

Si le gouvernement n’arrive pas à trancher sur le dossier des F-16, c’est parce qu’il ne parvient pas à déterminer exactement sa position vis-à-vis des armes nucléaires stockées à Kleine-Brogel. Des discussions d’autant plus opaques que celles-ci relèvent du secret d’État. Un dossier qui, par essence, ne sera donc jamais complètement transparent ou démocratique, selon De Standaard.

Il y a trois semaines, un C-17A américain a été vu sur la base aérienne de Kleine-Brogel dans le Limburg. Cet avion appartient à la seule unité autorisée à transporter du matériel nucléaire. S’il se trouve là, c’est parce que la base stocke également des bombes atomiques américaines de type B61. L’avion aurait été aperçu 8 fois en 2017, toujours selon De Standaard. Or, comme le précise le quotidien flamand, ces bombes nucléaires pourraient bien avoir l’effet d’un éléphant dans un magasin de porcelaine dans ce dossier qui plombe régulièrement le gouvernement.

Rien d’un détail

Détail non négligeable, la tâche des F-16 de la 10e escadrille de Kleine-Brogel est en effet de larguer, si nécessaire, les bombes américaines. Mais voilà: ces bombes relèvent du secret d’État et ne peuvent donc pas apparaître dans le débat. Officiellement donc, ces bombes n’existent pas, et ni parlement et ni hommes politiques ne sont censés ni confirmer ni infirmer leur existence.

Si le sujet est tu, on ne peut pourtant le qualifier de broutille. D’autant plus qu’il ne s’agit pas d’un engagement envers l’Otan mais bien d’un traité bilatéral secret entre Bruxelles et Washington, toujours selon le quotidien flamand. Ce traité, nom de code Pine Cone, aurait été signé au début des années 1960 (les bombes sont stockées depuis novembre 1963 à Kleine-Brogel). La Belgique n’est cependant pas le seul pays à avoir signé un tel accord. Si le Canada, la Grèce et la Grande-Bretagne ont depuis mis fin à cet accord, il y aurait encore des bombes de cette nature dans notre pays, mais aussi aux Pays-Bas, en Allemagne, en Italie et en Turquie.

On précisera tout de même que ces bombes n’ont qu’un but politique et serviraient uniquement de signal dissuasif vers la Russie. Moins symbolique, par contre, serait le poids de ces bombes sur la politique en Europe et les ventes que cela garantit à l’industrie militaire américaine.

Si en théorie, d’autres appareils peuvent remplir la mission de largage de ces bombes américaines, il est en effet peu probable que le Pentagone autorise que l’on construise le mécanisme nécessaire à ces bombes dans un appareil non américain. De quoi faire sérieusement pencher la balance.

Une position floue

La position de la Belgique sur les armes nucléaires est floue. Pourtant, un rapport datant de 2015 et réalisé par d’éminents membres de l’armée, comme le suppute le quotidien qui l’a divulgué la semaine dernière, révèle que « c’est une évidence que la Belgique doit participer à l’effort nucléaire de l’OTAN ». Et ce avec prestige. Dans cette optique, on ne pouvait qu’envisager un remplacement par un appareil de la cinquième génération, soit le F-35 américain. Cet appareil serait ce qui se fait de mieux, si l’on en croit son constructeur, et permettrait d’accomplir ces fameuses missions nucléaires qui ouvriraient à la Belgique les portes d’un groupe très fermé à l’OTAN.

On serait donc en droit de se demander ce qu’on vise exactement avec ce dossier dit encore le quotidien: renforcer sa défense ou s’acheter un rang à l’international ?

Le sceau du secret d’État rend toute supervision parlementaire ou publique impossible sur ce sujet. Et complique d’autant la décision du remplacement du F-16. Il laisse le gouvernement lui-même quelque peu désarmé, puisque le « savoir » sur ce dossier se trouve dans les mains des officiers, diplomates ou fonctionnaires.

Pas une première

Lorsqu’en 2010, le Premier ministre Yves Leterme (CD & V) avait fait montre d’un peu trop d’enthousiasme lorsqu’il abordait le retrait de ces bombes, ceux-ci auraient en effet, avec l’aide des Américains, agi en coulisse pour tempérer ses ardeurs, selon des documents qui ont fuité via WikiLeaks. Un autre exemple est lorsque la Belgique a validé, en 2007 et en 2010, le fait de moderniser la bombe américaine B61 en une bombe téléguidée. La décision émanant des diplomates et les militaires, aucun politique n’a, semble-t-il, été consulté à l’époque. Pour ne pas créer de nouvelles tempêtes inutiles ?

Quoi qu’il en soit, les hésitations actuelles du gouvernement risquent d’établir une situation de « fait accompli ». Car le temps passant la modernisation des bombes B61 se poursuit discrètement. De quoi de facto lier la Belgique pour de bon au F-35.

Pas de complot, mais une grave erreur de jugement

L’Inspection générale de la Défense a présenté la semaine dernière les résultats préliminaires de son rapport concernant la procédure de remplacement des F-16 au ministre Steven Vandeput (N-VA). « Il ressort de l’audition des colonels et généraux impliqués une grave erreur de jugement dans l’armée, à la limite de la manipulation. Mais cela va trop loin d’évoquer une conspiration », affirme une source proche de l’enquête, selon De Morgen. Il y a deux semaines, un rapport a mis en lumière que le constructeur d’avions Lockheed Martin estimait que les F-16 belges – ou du moins leur carrosserie – pouvaient voler plus longtemps que prévu. Le ministre Vandeput a alors affirmé qu’il n’était pas ou courant d’une telle possibilité de prolongation de la durée de vie des F-16 et a commandé deux enquêtes. Une enquête externe du comité d’audit fédéral est encore attendue, mais l’audit interne à l’armée est lui en phase de finalisation. Selon De Morgen, le cabinet du ministre n’avait pas été informé des calculs de Lockheed Martin. Le nom de Claude Van de Voorde, l’ancien chef de cabinet du ministre, ne figure d’ailleurs pas parmi les personnes au courant de l’étude du constructeur américain. « On a cru (au sein de l’armée, ndlr) qu’il valait mieux ne pas partager ces informations, par crainte que les politiques ne comprennent pas la finesse des calculs et que cela débouche sur du tapage », résume une source. « Mais cette décision n’appartient pas à l’armée ».

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