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Evaluer les investissements verts

Investir dans des solutions durables, certes, mais avec quel argent et pour quel résultat ? Pour faciliter le travail des banquiers et l’accès aux financements « verts », la FEB, Febelfin et Agoria ont développé un outil d’analyse, qui permet d’évaluer le rendement de tels investissements. En place depuis plus d’un an, il reste encore sous-utilisé.

Les besoins de financements verts sont bien réels : une étude réalisée en 2009 par McKinsey constatait le retard de la Belgique en matière d’efficacité énergétique et chiffrait à 30 milliards d’euros les investissements nécessaires dans les bâtiments et l’industrie, à l’horizon 2030, pour que la Belgique atteigne les objectifs européens dans le domaine climatique. Les bâtiments représentent au total 35 % de la consommation d’énergie dans notre pays, et l’industrie 36 %. Selon l’étude en question, des investissements appropriés permettraient de réduire cette consommation de 48 % dans les bâtiments (25 Mt de CO2 épargnées en 2030) et de 22 % dans l’industrie (11 Mt de CO2). Toutefois, cette « mise à niveau » énergétique exige des investissements lourds dans des systèmes de chauffage et de climatisation, en isolation, en éclairage, etc., ce qui suppose un recours au crédit bancaire.

Pour les entreprises et les collectivités, l’obtention de ces crédits peut se révéler problématique : où trouver l’argent pour investir dans des systèmes et des solutions qui ne relèvent ni des outils de production, ni du core business ? Pour les banquiers, le problème est tout aussi aigu : comment s’assurer que les crédits accordés ne grèveront pas la capacité financière du client ? En d’autres mots, comment faire pour que l’investissement durable ne se fasse pas au détriment de l’investissement productif ?
« Dans le contexte de la crise financière, il existait en outre à l’époque une crainte que le secteur bancaire ne soit pas en mesure d’apporter les financements nécessaires. Entre-temps, les chiffres ont prouvé le contraire, souligne Anne-Mie Ooghe, manager corporate banking de Febelfin. C’est pourquoi la FEB a demandé à l’ancien banquier Karel De Boeck d’étudier la création d’une banque « verte », en collaboration avec divers partenaires dont Febelfin, Agoria, les fédérations d’entreprises des trois régions, etc. »

Un à deux milliards d’euros par an

Le groupe de travail a conclu qu’il n’était pas nécessaire de créer une telle banque, qui devrait assurer son propre financement sur le marché interbancaire, mettre sur pied un appareil administratif avec son propre personnel, développer son propre réseau commercial, etc. Les 30 milliards d’euros cités par l’étude McKinsey peuvent être parfaitement financés par le marché bancaire belge. A titre de comparaison, le volume des crédits aux entreprises actuellement en cours représente 116 milliards d’euros et les nouveaux crédits atteignent environ 30 milliards d’euros par an. Le financement des crédits verts réclame, quant à lui, 1 à 2 milliards d’euros supplémentaires par an ; rien d’insurmontable, d’autant que ces investissements s’avèrent presque systématiquement rentables.

« Le problème n’est pas de trouver l’argent, mais plutôt de l’utiliser à bon escient, poursuit Anne-Mie Ooghe. Le financier n’est pas un technicien. Il est difficile pour lui d’évaluer le potentiel d’économies offert par l’une ou l’autre solution et de le traduire en termes de crédit. C’est pourquoi, avec Agoria et la FEB, nous avons développé le « plan vert », dont le volet principal est un outil d’évaluation des investissements verts. »

L’outil de référence a été conçu sur la base d’études techniques et scientifiques et de l’expérience pratique des entreprises technologiques. Il s’agit d’une liste de référence des technologies économes en énergie, avec leur potentiel de réduction de la consommation. On y trouve par exemple les équipements de cogénération (20 à 25 % d’économie), les pompes à chaleur (15 à 35 %), les ballasts électroniques pour l’éclairage (20 à 50 %), etc. Outre cet outil de référence (qui doit être remis à jour tous les six mois), les fédérations mettent aussi à disposition un contrat de performance énergétique garantie : le contrat-modèle Esco (Energy Service Company) d’Agoria, qui permet aux fournisseurs et prestataires de services de garantir contractuellement l’économie d’énergie.

« Les données de l’outil de référence représentent des ordres de grandeur, précise Freddy Vandaele, manager électrotechnique d’Agoria. Ils sont fondés sur des technologies standard et matures, ce qui donne aussi une garantie de résultat ; pas sur des technologies de pointe qui doivent encore faire leurs preuves. Bien sûr, ce sont des chiffres qu’il faut interpréter, mais ils permettent de donner une orientation. » La grille d’analyse s’applique aux investissements courants. Elle n’est pas destinée aux opérations les plus lourdes, telle que la rénovation complète d’un bâtiment. « Dans un tel cas, on fera plutôt appel à un bureau d’études pour une analyse approfondie. »

« C’est un instrument mis à disposition des banques, reprend Anne-Mie Ooghe. Pour chaque crédit, il y a encore d’autres éléments qui entrent en ligne de compte, telle que la solvabilité de l’entreprise, et puis il y a aussi la politique de chaque banque. »

Un outil à faire connaître

Un deuxième volet du « plan vert » prévoyait de faire appel à la garantie publique, permettant aux banques d’accorder des tarifs un peu plus bas. « Cela fait partie d’une relation win/win/win entre toutes les parties, estime Anne-Mie Ooghe. Tout le monde a intérêt à stimuler le marché des crédits verts : les pouvoirs publics pour abaisser les émissions de CO2 et répondre à leurs engagements internationaux, les entreprises pour réduire leur consommation d’énergie et réaliser des économies, et enfin les banquiers pour pouvoir accorder des crédits. » La garantie publique, en la matière, est de la compétence des Régions : « en Flandre, le cadre réglementaire est prêt et le premier appel est prévu au mois d’avril. A Bruxelles, ce n’est pas encore prêt. En Wallonie, la Sowalfin a déjà réservé une enveloppe. »

Le « plan vert » a été officiellement lancé en décembre 2010. Un an plus tard, quel bilan peut-on en tirer ? « Nous ne disposons pas de chiffres, répond Anne-Mie Ooghe. Les données sont difficiles à rassembler parce que les banques ne rapportent pas de manière spécifique les investissements verts, qui peuvent aussi entrer dans d’autres catégories, par exemple l’immobilier. Ce que l’on peut dire, c’est que l’outil est encore trop peu connu et trop peu utilisé. On n’a pas encore atteint la masse critique. C’est dû, à mon avis, au fait que le « plan vert » est un peu en avance sur la demande du marché. »

Agoria, partenaire de l’initiative, souhaite organiser un road show qui passerait par les principales villes du pays pour la promouvoir. Le signal de départ devrait être donné avant l’été. « L’efficacité énergétique demande un changement de mentalité, souligne Freddy Vandaele. Avant tout, les entrepreneurs doivent comprendre que l’investissement dans les économies d’énergie, c’est du résultat net. Un euro épargné, c’est un euro de bénéfice ; un euro qu’on peut réinvestir. Le savoir-faire est présent, les produits, les solutions techniques sont là, les financements aussi. Il faut encore les mettre en oeuvre. »

Pour plus d’info :
www.greenbuildingplatform.be www.financementdesentreprises.be

EMMANUEL ROBERT

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