Carte blanche

Évaluations dans l’enseignement supérieur : si on faisait confiance aux étudiants ?

« J’ai l’impression d’être en blocus depuis 5 semaines à cause de la surcharge de travail », « Je vis dans un logement social extrêmement bruyant, avec un wifi très lent, ce qui m’empêche d’étudier correctement ». Ce sont deux témoignages parmi les dizaines rapportés chaque jour depuis le début de la crise du coronavirus. Ils traduisent la grande détresse dans laquelle sont plongés de très nombreux étudiants, entre l’impact psychologique de l’isolement, l’incertitude pour l’avenir et l’accentuation des inégalités sociales. Et ces inquiétudes légitimes ne font que grandir à l’approche des examens de fin d’année.

Pour tenter de répondre aux enjeux inédits auxquels se trouve confronté le monde de l’enseignement supérieur, des mesures de clarification ont été prises par le Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Parmi celles-ci, saluons notamment l’augmentation de plus de 2 millions des subsides sociaux, mais aussi l’obligation pour les établissements de communiquer les modalités d’organisation de la fin d’année pour ce 27 avril au plus tard et ce, après concertation avec les étudiants et les autres acteurs au sein de chaque établissement.

A la veille de cette échéance alors que nous écrivons ces lignes, il nous paraît toutefois nécessaire de questionner la manière dont les situations aussi difficiles que variées vécues par les étudiants ces derniers mois seront réellement prises en compte lorsqu’il s’agira de les évaluer. C’est la préoccupation majeure qui doit guider l’ensemble des décisions attendues ce lundi et mises en oeuvre dans les prochaines semaines.

On ne peut en effet se contenter de transformer un examen présentiel en examen à distance, sans prendre en considération toutes les difficultés rencontrées par les étudiants au cours des deux derniers mois. Nous sommes bien conscients de la complexité du débat. Mais nous plaidons pour des évaluations fondamentalement adaptées, basées sur la souplesse et la confiance aux étudiants. Tant dans les conditions de réalisation de l’examen que dans leur contenu.

Des conditions d’examen respectueuses de chacun·e

Une chose est certaine : il sera impossible d’organiser les examens de juin à grande échelle dans des amphis bondés. Cela ne signifie pas pour autant qu’aucun examen sous forme présentielle n’est envisageable, moyennant évidemment le respect des règles sanitaires en vigueur.

Un étudiant qui n’est pas en mesure de passer un examen à distance dans des conditions acceptables, soit en raison de difficultés techniques, soit en raison de l’inadaptation du lieu où il doit passer cet examen, doit passer l’examen en présentiel. Dans ce cas, la réalisation de l’examen dans les locaux de l’établissement doit être rendue possible. Il serait en effet intolérable que les difficultés déjà rencontrées pour suivre correctement les apprentissages se doublent de l’impossibilité de participer à l’examen de façon optimale.

C’est tout le sens du délai laissé aux étudiants pour prévenir leur établissement de l’impossibilité qui est la leur de réaliser un examen à distance. Il est essentiel que les étudiants soient clairement informés de cette possibilité.

Quant aux autres étudiants réalisant leurs examens à distance, ils doivent eux aussi bénéficier de conditions de travail optimales. Il n’est dès lors pas acceptable, selon nous, que leur soit imposée la présence d’un logiciel espion qui prendrait le contrôle de leur ordinateur ou qu’on impose une caméra avec une série de règles aussi intrusives qu’inutiles (cheveux dégagés…) pour s’assurer qu’ils ne trichent pas. Ce type de mesure pose non seulement question sur le plan du respect de la vie privée, mais est en outre extrêmement problématique en termes philosophique et psychologique.

Pourquoi ne pas axer les évaluations autour de la compréhension et de la réflexion, plus que sur la restitution de matière apprise par coeur ? Il est ainsi tout à fait possible de travailler davantage l’esprit critique, la réflexion et la prise de recul par rapport à la matière. Cela se pratique déjà avec succès dans de nombreux autres systèmes éducatifs de par le monde. Ne serait-ce pas l’occasion de faire progresser notre enseignement supérieur dans cette direction ?

Un tel système basé sur la réflexion, à cours ouvert et assorti d’un délai limité, rendrait pratiquement impossible, et sans doute inutile, toute forme de fraude. Et même s’il parvenait quand même à tricher, il s’agirait alors d’un très mauvais calcul pour l’étudiant dont les lacunes seraient inévitablement révélées à un moment ou l’autre de son parcours.

Cette nouvelle façon d’envisager les évaluations permettrait en outre de mieux prendre en compte les difficultés rencontrées ces derniers mois par les étudiants dans le suivi et l’assimilation de la matière puisqu’il ne s’agirait précisément pas d’en restituer par coeur des pans entiers.

Et surtout rassurer…

Enfin, quelle que soit la méthode d’évaluation choisie, les conditions extraordinaires dans lesquelles se déroule cette fin d’année demandent de garantir aux étudiants la continuité de leur cursus. Il nous paraît ainsi important que la réussite ou l’échec des examens qui s’annoncent ne conditionne pas la possibilité pour un étudiant de se réinscrire l’année prochaine..

Le risque est en effet réel de voir des étudiants abandonner leurs études ou en être exclus en cas d’échec. Evitons qu’ils se transforment en victimes collatérales du coronavirus et rassurons-les sur ce point également, via une bonne dose de dialogue, de créativité et de confiance mutuelle. Et cette responsabilité-là, elle est largement partagée !

Manu Disabato et Rodrigue Demeuse, députés Ecolo de la Fédération Wallonie-Bruxelles

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