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Euthanasie: « Faut-il vraiment traiter les médecins comme des criminels devant un jury populaire ? »

Le procès de trois médecins accusés de ne pas avoir respecté, en 2010, les conditions légales pour l’euthanasie d’une femme de 38 ans, a débuté mardi devant la cour d’assises de Flandre orientale. « Il s’agit plus d’une erreur médicale que d’un meurtre par empoisonnement », déclare l’ancien psychiatre Ivo Uyttendaele.

Tine Nys (au milieu) et ses soeurs
Tine Nys (au milieu) et ses soeurs © VRT

« On ne peut presque jamais être sûr que la situation d’un patient psychiatrique est sans espoir », estime l’ancien neurologue et psychiatre Ivo Uyttendaele, qui a été vice-président de l’Ordre des médecins pendant de nombreuses années. « Si une telle personne désire mourir et demande l’euthanasie, dans bien des cas, ce n’est qu’un symptôme de sa maladie. En outre, le problème n’est souvent pas tant le trouble psychiatrique lui-même que ses conséquences ».

Uyttendaele, qui a déjà souligné dans son livre De wetstrijd (La lutte pour la loi) que la pratique de l’euthanasie atteint ses limites tant en Belgique qu’aux Pays-Bas, ne comprend que trop bien que les parents et les soeurs de Tine Nys, une femme de 38 ans euthanasiée en 2010, se soient adressés aux tribunaux. La famille doute que tous les traitements aient été épuisés et affirme que l’euthanasie a été pratiquée avec négligence. Les médecins sont accusés d’empoisonnement.

Il est frappant de constater que non seulement le médecin LEIF (NLDR : un médecin qui a suivi une formation spécifique sur la fin de vie) qui a pratiqué l’euthanasie doit en répondre, mais aussi le médecin généraliste de Tine Nys et le psychiatre-conseil.

Est-il devenu plus difficile pour les médecins d’évaluer une question d’euthanasie ?

Comme la loi est interprétée de plus en plus largement, au fil des ans, les médecins ont eu un impact beaucoup plus important sur son application. Avec un patient en phase terminale de cancer, il n’est pas si difficile de juger s’il souffre désespérément et insupportablement, comme la loi l’exige. Mais entre-temps, de nombreuses autres catégories ont été ajoutées. En plus du groupe de patients psychiatriques, qui n’est pas si grand, il y a maintenant aussi de plus en plus de patients qui souffrent d’une soi-disant polypathologie (NDLR : combinaison de différentes affections). Dans ces cas-là, il est beaucoup plus difficile de déterminer si quelqu’un souffre de manière constante, insupportable et inapaisable. On pourrait dire que seul le patient peut déterminer si sa situation est insupportable, mais l’absence d’issue – le fait qu’il n’y ait plus de traitements possibles – est essentiellement une question médicale sur laquelle un médecin doit se prononcer. Cependant, cela aussi a évolué au fil des ans.

En quel sens ?

Autrefois, les médecins ne donnaient pas suite à une demande d’euthanasie s’il existait encore un traitement ayant une réelle chance de succès. L’idée qui prévaut aujourd’hui, c’est qu’un médecin et son patient doivent arriver ensemble à la conclusion qu’il n’y a plus de solution raisonnable. Par conséquent, l’euthanasie est désormais pratiquée également lorsqu’une personne ne veut plus essayer de traitement supplémentaire parce qu’elle en a déjà subi tant. C’est particulièrement fréquent chez les patients psychiatriques. En psychiatrie, un bon contact avec un thérapeute est souvent plus bénéfique que la technique utilisée. En d’autres termes : les patients ne doivent pas tant chercher le bon traitement qu’un thérapeute approprié. Par conséquent, ils vont parfois de thérapeute en thérapeute et à la longue, ils ne veulent pas chercher plus loin. Certains finissent par demander l’euthanasie.

Il y a des médecins qui sont tellement empathiques qu’ils suivent ce raisonnement. Je m’attends d’ailleurs à ce les médecins qui comparaîtront en assises optent pour cette défense. « Il y avait peut-être d’autres traitements possibles, mais Mme Nys en avait tellement assez qu’elle ne voulait plus », diront les avocats. Ils mentionneront probablement aussi le fait que ce n’est qu’à la toute fin, lorsque sa question sur l’euthanasie a été examinée, qu’un nouveau diagnostic a conclu à l’autisme. La prise de conscience qu’elle n’avait jamais été traitée pour cela pendant toutes ces années était trop lourde pour elle », diront-ils.

L’autisme peut-il être un motif d’euthanasie ?

Selon le rapport de la commission belge de l’euthanasie, en 2017, cinq personnes ont été euthanasiées sur la base d’un trouble autistique – tout comme en 2015 d’ailleurs. Je peux donc imaginer que de tels patients entrent en ligne de compte dans des cas extrêmes, mais je m’interroge sur le nombre et aussi sur leurs traitements. Comme pour les autres troubles psychiatriques, on confond souvent la cause et l’effet. Lorsqu’un problème psychiatrique est invoqué pour justifier une question d’euthanasie, il s’agit en réalité souvent des conséquences du trouble sur le plan relationnel, professionnel, social et physique. Un patient qui traverse des épisodes maniaques, par exemple, se dispute parfois avec les gens qui l’entourent, ce qui l’isole et finit par lui donner envie de mourir. Lorsqu’on dit qu’un patient psychiatrique ne peut être traité, cela signifie parfois qu’on ne fait pas assez pour réduire les conséquences de son état. C’est pourquoi l’euthanasie a souvent été appliquée à des personnes chez qui cela n’aurait pas dû se produire. Sans parler du fait que certaines personnes n’étaient même pas capables d’exprimer leur volonté au moment de leur demande.

Comment ça?

Selon la loi, une personne qui demande l’euthanasie doit être capable d’exprimer sa volonté, mais dans la pratique, c’est souvent négligé. Il n’y a vraiment pas que les personnes âgées atteintes de démence qui sont en incapacité de jugement. Une étude américaine révèle que 26 % des personnes qui séjournent à l’hôpital parce qu’elles sont somatiquement – et non mentalement – malades ne sont pas capables de consentir à un traitement proposé. Je trouve incompréhensible qu’après vingt ans de loi sur l’euthanasie, on n’ait toujours pas réussi à mettre au point des tests permettant de déterminer objectivement la capacité de jugement.

Qu’attendez-vous du procès d’assises sur l’euthanasie de Tine Nys ?

Pour commencer, je trouve terrible que l’affaire passe devant la cour d’assises alors que même le kasteelmoord (NDLR : le meurtre du châtelain Stijn Saelens) a été traité par un tribunal correctionnel. Si les médecins impliqués sont reconnus coupables, à mon avis, ce sera à cause d’une erreur médicale plutôt que d’un empoisonnement. Il y a de fortes chances qu’ils aient commis deux erreurs : une mauvaise évaluation de la capacité de jugement de la jeune femme et une mauvaise évaluation des traitements possibles. Bien sûr, c’est inacceptable, mais cela ne veut pas dire que ces médecins devraient être traduits devant un jury populaire comme les plus grands criminels. Peut-être que les trois médecins se retrouveront avec un acquittement ou une peine avec sursis de quelques jours. J’espère néanmoins que le procès fera enfin réfléchir le monde médical.

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