Le Premier ministre et le président du CD&V, Wouter Beke, resteraient incontournables au fédéral en 2019. Mais peut-être sans la N-VA... © Bart Dewaele/id photo agency

Et si la Belgique basculait en 2019? Exit une N-VA trop populiste?

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Une nouvelle page politique pourrait s’ouvrir au lendemain du scrutin régional et fédéral de mai prochain. Exit une N-VA devenue trop populiste ? Ecolo-Groen en faiseurs de rois ? Retour du PS ? MR et CD&V incontournables ? Ceci n’est peut-être pas une fiction dans notre complexe royaume.

Quelque chose est en train de basculer sur la scène politique belge. Le scrutin communal et provincial a enclenché une dynamique nouvelle. Qui laisse augurer de la possibilité d’un virage majeur, à l’issue des élections du 26 mai 2019. Tout dépendra, bien sûr, du résultat des urnes ce soir-là. Mais les déclarations des uns et des autres depuis le 14 octobre, les angoisses et tensions au sein de la suédoise, le rôle pivot que veulent s’octroyer les écologistes, le revanchisme de la gauche francophone et la fébrilité de la N-VA semblent de nature à rebattre les cartes.

 » Au vu des simulations que nous avons faites au départ des résultats d’octobre (voir infographies plus bas), la suédoise aurait besoin d’un partenaire supplémentaire en vue d’une éventuelle reconduction « , constate Jean Faniel, directeur du Centre de recherche et d’information socio- politiques (Crisp). L’apport le plus vraisemblable serait celui du CDH, mais on connaît la réticence de son président, Benoît Lutgen, à gouverner avec la N-VA. L’Open VLD serait en outre indispensable, ce qui n’était pas le cas en 2014. L’hypothèse d’une suédoise II a peut-être du plomb dans l’aile.  » Ce qui frappe, au-delà de ce constat, c’est la multitude d’alternatives possibles « , précise le politologue. De quoi donner du grain à moudre au désir de revanche exprimé par le PS dont le président, Elio Di Rupo, n’a jamais avalé la pilule de son éviction, en octobre 2014, et des politiques  » antisociales  » menées depuis.  » L’objectif doit être de dégager la N-VA du fédéral en 2019 « , tonnait, le 19 novembre, dans LeSoir Ahmed Laaouej, chef de groupe socialiste à la Chambre. Un avertissement. Un appel à une alternative progressiste. Et une volonté de polariser la campagne qui n’est pas sans déplaire… à la N-VA : l’interview a significativement été retweetée par Theo Francken. Pourtant, le parti nationaliste flamand pourrait vivre des moments difficiles.

« La N-VA peut perdre une élection »

Chez les libéraux francophones, le malaise est palpable depuis le tassement inattendu en Wallonie et le recul prononcé à Bruxelles, aux communales d’octobre.  » C’est comme si nous étions de retour en 2014 « , grince-t-on au MR. Où on a le sentiment de devoir tout reprendre à zéro alors que, jusqu’ici, le renouvellement de la suédoise au fédéral était le souhait exprimé par tous les ténors, y compris le président Olivier Chastel. Bien sûr, le MR continue de dénoncer la partialité de la presse, des syndicats et des associations du côté francophone, accusées de caricaturer la coalition. Mais Richard Miller, député et patron du Centre Jean Gol, exprime désormais l’exaspération du parti à l’égard de la N-VA et de Theo Francken, écarté du podium sur RTL-TVI en raison de son arrogance dans le dossier du Pacte de l’ONU sur les migrations.  » Le MR ne suit pas la N-VA comme un petit chien « , peste-t-il. Tout en saluant Elio Di Rupo, qui a reconduit la majorité PS-MR à la province du Hainaut. Un signe ?

Le MR cherche à se démarquer des nationalistes flamands, accusés de manquer de respect à Charles Michel.

Le MR cherche à se démarquer des nationalistes flamands, accusés de manquer de respect à leur Premier ministre, Charles Michel. C’est manifeste. Ce revirement est aidé par les résultats du dernier scrutin local. En 2014, la suédoise avait vu le jour de façon inattendue, en réaction à la décision du PS de former des coalitions avec le CDH (et DéFI) en Wallonie et à Bruxelles. Il y avait alors eu un signal fort de l’électeur flamand : par rapport au scrutin régional précédent, la N-VA avait explosé dans les chiffres. Pour le CD&V, le parti nationaliste était alors incontournable. Ce pourrait ne plus être le cas dans sept mois même si, arithmétiquement, la N-VA reste de facto le premier parti de la Chambre.  » Les simulations issues des communales montrent que le N-VA peut perdre une élection, s’exclame Jean Faniel. C’est un fait nouveau !  » A la Chambre, les nationalistes perdraient dix sièges. Le  » divorce  » MR – N-VA pourrait en outre être consommé en raison des enjeux européens : le ralliement de la N-VA aux thèses des populistes hongrois ou italiens passe mal dans les rangs libéraux. Comme au CD&V.

Sur le fond, la remise en question libérale se manifeste, ce dimanche 25 novembre, par une matinée de réflexion à Louvain-La-Neuve pour remettre les troupes en ordre de bataille avant la campagne des fédérales, régionales et européennes. Là où le parti du Premier ministre comptait sur son bilan en matière d’emploi et de sécurité, il se sent soudain contraint de regarder davantage vers la  » qualité de la vie « .  » Il n’est pas question d’un virage dogmatique mais de mieux communiquer sur certaines thématiques « , nous précisent plusieurs responsables MR. La matinée en question prévoit des ateliers en matière de mobilité, d’alimentation, d’environnement/économie et de pouvoir d’achat. Exit la suédoise fédérale et l’orange bleue wallonne (MR-CDH), qui n’auraient plus les majorités nécessaires ? Les ballons d’essai s’envolent.  » Le prochain gouvernement devra combiner économie et écologie « , lance le ministre régional Jean-Luc Crucke.  » Oui, la majorité MR-Ecolo que nous venons de mettre en place à Uccle pourrait constituer un laboratoire « , reconnaît, au Vif/L’Express, le bourgmestre Boris Dilliès, qui avait été le premier à reconnaître la  » tôle  » subie par son parti dans la capitale et à réclamer un virage vert.

La caricature tweetée par Theo Francken le 14 novembre, qui irrite le MR : elle conforte l'image d'un Charles Michel aux ordres de la N-VA. Case 1 : -
La caricature tweetée par Theo Francken le 14 novembre, qui irrite le MR : elle conforte l’image d’un Charles Michel aux ordres de la N-VA. Case 1 : –  » La N-VA ne signera pas le Pacte de l’ONU sur la migration.  » –  » Le texte doit être plus court et moins compliqué ! J’ai ici une proposition dans un langage clair.  » Case 2 : Francken : –  » Fermeture des frontières !  » Michel : –  » C’est le titre ?  » Case 3 : –  » Non, c’est tout le texte. « © twitter

« Ecolo peut être le faiseur de rois »

Etant l’un des principaux vainqueurs du scrutin, Ecolo est conscient du pouvoir d’attraction qui pourrait être le sien au soir du 26 mai. Le nouveau coprésident du parti, Jean-Marc Nollet, a déclaré à La Libre que l’enjeu pour Ecolo et Groen consistait à  » battre la N-VA à la Chambre « , car le parti nationaliste représente  » l’antimodèle  » des verts : conservateur et ethnocentré.  » Sans doute Nollet a- t-il lu attentivement les projections du Crisp qui donnent à la N-VA et à Ecolo-Groen un nombre équivalent de 23 sièges à la Chambre, sourit Jean Faniel. Trois partis se battaient pour devenir le pivot de futures majorités francophones : CDH, DéFI et Ecolo. Ce dernier a pris l’ascendant. Ecolo peut devenir le faiseur de rois, y compris en refusant de monter dans une majorité.  »

Pour le PS, 2019 doit être l’heure de la revanche, celle d’une coalition fédérale sans la N-VA.

Au vu des chiffres, la seule bipartite francophone possible, sans Ecolo, serait une alliance classique et laïque PS-MR. Ce n’est pas exclu : c’est celle qui vient d’être reconduite dans les provinces de Liège et du Hainaut – celle aussi qui a émergé à la Ville de Liège ou à Molenbeek après l’échec des discussions entre PS et PTB. Mais ce n’est pas forcément le plus probable.  » Ecolo serait en mesure de permettre l’émergence d’une majorité olivier (PS – CDH – Ecolo) ou d’une jamaïcaine (MR – CDH – Ecolo) « , complète le directeur du Crisp. L’olivier a eu la préférence de Paul Magnette à Charleroi et reste l’option préférée des socialistes aux velléités  » progressistes « . La jamaïcaine est la formule renouvelée à Namur en dépit des pertes subies par le MR. A Bruxelles, DéFI devrait faire partie de l’équation.

 » Ce qui me paraît clair, à l’issue des communales, c’est que personne n’a voulu mettre tous ses oeufs dans le même panier, ajoute le politologue. Et qu’il existe bien des formules possibles, y compris des coalitions totalement inédites à ce jour. Il risque d’y avoir un travail important à mener pour un formateur ou un informateur au lendemain des élections.  » Même un blocage digne de la plus longue crise politique jamais connue, ces fameux 541 jours de 2010-2011, semble envisageable.

Et si la Belgique basculait en 2019? Exit une N-VA trop populiste?

« Difficile sans le MR et le CD&V »

Pour le PS, 2019 doit être l’heure de la revanche, celle de la mise en place d’une coalition fédérale sans la N-VA. Quitte à rendre la monnaie de leur pièce aux libéraux en installant au fédéral un gouvernement  » de gauche « , de type olivier, fusse-t-il minoritaire du côté flamand ?  » En 2014, Elio Di Rupo et Paul Magnette avaient pris les devants en installant des majorités dans les Régions, rappelle Jean Faniel. Ce faisant, ils avaient toutefois respecté les règles du jeu implicites, ce que n’a pas fait le MR en installant au fédéral une coalition suédoise ultraminoritaire du côté francophone. Cette fois, le PS pourra donc se dire qu’une telle formule, fortement minoritaire dans une communauté linguistique, est autorisée. Mais au vu des résultats du 14 octobre, une coalition progressiste ne serait guère viable en Flandre. La gauche y reste faible même si elle a globalement amélioré son score, les progressions de Groen et du PvdA dépassant les pertes du SP.A. Il est difficile d’imaginer une telle majorité face à un tir groupé de la N-VA, du Vlaams Belang et de l’Open VLD. En outre, l’aile gauche reste minoritaire au sein du CD&V. Il y a donc peu de chances…  »

En Flandre, la gauche reste faible même si elle a globalement amélioré son score.

Alors ? Pour mettre la N-VA de côté, comme le veut le PS, reste l’hypothèse d’une tripartite fédérale.  » Mais ce serait potentiellement l’alliance de trois formations qui ont bu la tasse et elle pourrait ne pas avoir de majorité en Flandre « , dit Faniel. Ou d’une quadripartite.  » Mais il s’agit d’une formule difficile à manier et qui n’a guère de raison d’être s’il n’y a pas une réforme de l’Etat au menu.  » Malmenée, la N-VA pourrait, pour sa part, être tentée, ou forcée, de se replier au gouvernement flamand – des rumeurs évoquent déjà le vice-Premier fédéral actuel, Jan Jambon, à la ministre-présidence et Theo Francken à l’Enseignement. Elle relancerait alors son rêve confédéral.

 » Vu les formules possibles, aucun parti ne semble vraiment incontournable, estime le politologue. Sauf peut-être le MR et le CD&V.  » Le MR formerait toujours, avec l’Open VLD, la première famille du pays, au regard des chiffres extrapolés des communales. Quant au CD&V, il est depuis toujours le  » faiseur de rois  » fédéral, celui qui noue et dénoue les majorités, fréquentable par tous, modulable aux appétits de chacun. En 2014, l’axe Charles Michel – Wouter Beke (président du CD&V) s’était d’ailleurs imposé, en campagne déjà, comme la charnière de la future suédoise. Les deux hommes se respectent, s’apprécient et se font confiance. Aujourd’hui, sans renier le bilan de la coalition, ils donnent le sentiment d’être agacés par l’arrogance à répétition de la N-VA. Ce n’est pas encore l’annonce d’une exclusion. Mais c’est le signe qu’en 2019, un virage est possible. Même si, nous confie-t-on depuis les hautes sphères du parti réformateur,  » si on peut repartir cinq ans sans le PS au pouvoir, on n’hésitera pas.  »

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