Eric Van Rompuy © Hatim Kaghat

Eric Van Rompuy (CD&V): « Je suis particulièrement déçu par le gouvernement Michel « 

Après quarante ans en politique, le député Eric Van Rompuy (CD&V), qui fêtera bientôt ses 68 ans, se montre impitoyable pour l’équipe du gouvernement, alors que son parti en fait partie. Entretien.

« Je suis traumatisé par le dérèglement des finances d’état de ma jeunesse qui allait imposer un endettement important aux prochaines générations. J’y vois des parallèles avec aujourd’hui et c’est pour cette raison que j’ose répéter ce que j’ai dit en 1987. Je suis particulièrement déçu par le gouvernement Michel, parce qu’il laisse monter le déficit de 5 à 6 milliards d’euros en 2018. C’est d’abord parce que le tax shift n’est pas financé. Tout comme Guy Verhofstadt dans les années quatre-vingt, le ministre des Finances, Johan Van Overtveldt (N-VA), souhaite faire baisser les impôts sans les compenser par de nouveaux revenus », explique-t-il à nos confrères de Knack.

Vous jurez par une politique budgétaire orthodoxe?

J’ai toujours privilégié un équilibre budgétaire, oui. Les économistes que sont Wim Moesen et Paul De Grauwe estiment qu’il est permis d’avoir un déficit, pour investir. Du coup, ils ont ouvert la porte à Charles Michel (MR). Savez-vous combien il a parlé du budget dans son State of the Union (NDLR : il sort le texte). Deux lignes. Deux. La formule banale « mettre de l’ordre dans les finances est une inquiétude permanente du gouvernement ». Est-ce le cas ? En 2018, le gouvernement Michel fournira un effort pour diminuer le déficit budgétaire d’à peine 0,3% alors que l’Europe exige qu’on atteigne les 0,6%.

Ce gouvernement a-t-il aussi réalisé quelque chose de positif?

Évidemment. Les baisses d’impôts pour les revenus bas et moyens, par exemple. Et le déficit a diminué de moitié, de 2,6 à 1,5%: on peut le dire. Mais ajoutez au moins que la hausse de l’emploi en est la raison principale. Et c’est tout de même surtout le mérite du ministre de l’Emploi CD&V Kris Peeters, non ?

L’ensemble doit concorder. Nous avons consenti au tax shift à condition qu’il y ait un impôt sur le capital. Cependant, l’élément fairness ne suit pas. La proposition CD&V pour un impôt sur la plus-value pourrait rapporter 80 à 100 millions d’euros, ce qui n’est pas un montant énorme. Nous n’imposerions qu’à partir d’une limite inférieure de 50 à 100 millions d’euros pour la vente d’actions par des grandes entreprises. Nous ne viserions pas du tout les indépendants et les petites PME. Et pourtant, la N-VA et l’Open VLD trouvent qu’on s’en prend trop durement aux entreprises. Les entreprises flamandes aussi ont protesté contre notre proposition. Cela m’agace.

« Notre image est trop à gauche », se plaint votre collègue Pieter De Crem.

Je ne trouve absolument pas qu’en défendant l’impôt sur la plus-value, je défends une position de gauche. Et je n’ai pas le sentiment non plus de participer à la destruction sociale. J’ai la nostalgie du temps où les pointures osaient encore défendre le parti. Unizo est contre notre fairness fiscal. Est-il injuste que quelqu’un qui possède un million d’euros sur son compte doive payer 1500 euros d’impôts ? Et le jour de Rerum Novarum, le président de la CSC Marc Leemans nous a reproché de perpétrer les horreurs sociales. À l’époque, c’était impensable.

C’est probablement la première fois que votre soeur Tine, membre du PVDA, est davantage d’accord avec le président de la CSC que ses frères CD&V.

Nous n’allons pas parler de ma petite soeur. (affable). En famille, nous ne discutons pas de politique. Je respecte les convictions de Tine – de toute façon elle ne se laissera pas convaincre.

Vous êtes l’un des rares députés à faire la une quand vous voulez.

J’ai bien retenu les paroles du ministre d’État chrétien-démocrate francophone Charles-Ferdinand Nothomb : « Il ne faut pas poser des questions, il faut poser la question. » Au parlement, il faut se montrer critique, oser. Parfois, je pose un regard légèrement ironique sur le travail de mes jeunes collègues, oui. Qu’est-ce que ce groupe de travail consacré à l’innovation politique a apporté, sauf que maintenant Bracke gagne 4700 euros nets de moins par mois. ? (rires)

Vous prenez parfois certaines personnes à partie. Vous avez dit un jour à Humo : « Je suis allergique à Bert Anciaux. » Et actuellement, il ne se passe pas un mois sans que vous vous preniez au Secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration Theo Francken (N-VA).

Theo Francken exploite la situation dramatique des réfugiés pour se profiler. Toute la N-VA s’en rend coupable. Bart De Wever a commencé en qualifiant la chancelière Angela Merkel de catastrophe. Et tous les jours, Francken agite un élément neuf pour montrer au public que les réfugiés sont un problème. « J’ai expulsé autant de Soudanais, « Médecins sans Frontières est complice des passeurs »… Tout le monde sait qu’en Flandre il y a un public pour ces messages : il n’y a pas très longtemps, près d’un quart des électeurs votaient pour les messages purement racistes du Vlaams Belang. Aujourd’hui, Francken et De Wever créent une atmosphère où l’ancien électeur Vlaams Belang qui les a rejoints, se sent bien.

Pourtant en tant que membre du gouvernement Michel, Francken conserve la confiance du parti.

Les déclarations de Francken, la perception qu’il crée, les tweets qu’il envoie – sur tout ça, je dis : pas en mon nom. Mais faire tomber le gouvernement, c’est encore autre chose.

Pas en votre nom, mais avec votre soutien politique ?

C’est comme ça non, dans un gouvernement de coalition?

Francken ne fait-il pas le sale boulot pour vous?

Le fait qu’il y a beaucoup moins de réfugiés n’a rien à voir avec Theo Francken. C’est dû à Merkel et au deal avec la Turquie, que critiquait aussi la N-VA.

Aux gouvernements flamand et fédéral et à Anvers, c’est la N-VA qui fait la pluie et le beau temps grâce au sage petit partenaire de coalition que vous êtes.

Je ne pense pas que Bart De Wever trouve que le CD&V ne pèse pas dans le gouvernement flamand – il suffit de regarder la ministre de l’Enseignement Hilde Crevits – ou que le Vice-Premier ministre fédéral Kris Peeters n’obtient ou n’empêche rien. Le CD&V joue son rôle dans ces gouvernements. Seulement, la perception que souhaite créer la N-VA sur la politique n’est pas la nôtre.

Le gouvernement Michel est une coalition de la raison, non du coeur. On l’a vite constaté. Mais nous n’avions pas pensé que nous allions si mal nous entendre.

Au fond de vous, n’êtes-vous pas jaloux? Aujourd’hui, la N-VA atteint les mêmes scores que le CVP à l’époque.

Jaloux? En quarante ans, je ne me suis jamais senti aussi chrétien-démocrate qu’aujourd’hui. Notre modèle de concertation est plus actuel que jamais. Si nous prenons des mesures, nous voulons le faire de manière équilibrée et sociale. C’est aussi notre rôle au gouvernement. Et enfin, nous recevons de l’appréciation pour ce que nous faisons : dans le dernier sondage, le CD&V atteint les 19,4%, un stimulant pour les élections de 2018.

Vous n’êtes pas vraiment un ami de la N-VA.

Je suis un chrétien-démocrate, et en tant que parti nous ne voulons pas avoir affaire à la N-VA. Le CD&V a toujours tiré la carte flamande, mais contrairement à la N-VA, nous faisons cela pour réaliser des objectifs concrets. Pour nous, José Happart ne pouvait devenir bourgmestre de Furnes – il n’a pas été nommé. Il fallait scinder la circonscription électorale Bruxelles-Hal-Vilvorde – elle a été scindée. À la N-VA, les choses restent abstraites. Aujourd’hui, le ministre-président flamand exhibe ses 40 milliards d’euros de compétences et de moyens flamands, mais deux fois il a rejeté cet argent. La N-VA l’a accepté volontiers qu’une fois que des partis comme le CD&V s’étaient mouillés. (Il s’énerve) C’est pourquoi je suis en colère contre la N-VA: depuis leur naissance, ils n’ont, même s’ils agitent aujourd’hui le drapeau catalan, pas contribué d’un gramme à l’autonomie flamande. Oui, la N-VA a dépassé le CD&V, mais uniquement à coup de slogans.

Herman et vous, vous vous querellez parfois à propos de politique?

Non, même si Herman applique la technique de mon père: quand il n’est pas d’accord, il se tait. (rires)

Vous êtes plutôt du type colérique.

J’ai mon caractère, mais je ne suis pas colérique, non ? J’ai toujours pensé ce que je disais, évidemment. Quand j’attaque Francken, cela vient du coeur. Je ne veux pas être tendre.

Vous savez, je ne me suis jamais trahi. J’en suis fier. J’ai été ministre pendant quatre ans, et ensuite je me suis réinventé comme député. Mais je ne veux pas me survivre. C’est pourquoi j’arrête en 2019. J’écrirai mes mémoires. J’ai déjà le titre : « I Did It My Way », d’après la chanson de Frank Sinatra. « Regrets, I’ve had a few / But then again, too few to mention / I did what I had to do / But more, much more than this / I did it my way ». Cela les résume bien.

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