Des églises non seulement délaissées mais coûteuses à restaurer. © hatim kaghat pour le vif/l'express

Eric de Beukelaer: « La bonne nouvelle de Jésus-Christ n’est pas soumise à des formes politiques »

L’effondrement du CDH est-il le symptôme de l’attrition catholique ? Plutôt le boomerang de l’affaire Publifin…

 » Vous allez disparaître !  » La prédiction d’un Liégeois politique et maçon à Eric de Beukelaer(1) a inspiré au chanoine de la cathédrale de Liège sa chronique dans La Libre du 23 juillet dernier.  » Beaucoup de gens ont réagi avec émotion à ce que je n’avais pas écrit, tempère-t-il. Je constatais un état de fait qui nous ramène à l’essentiel : l’Eglise, comme toute entreprise humaine, aura une fin, mais l’Esprit de Dieu continuera à s’exprimer. On aurait pu croire les chrétiens perdus quand l’Empire romain les persécutait. Celui-ci s’est converti, le royaume de Dieu ne s’est pas réalisé. Beaucoup de chrétiens ont cru à la fin du monde lorsque les Wisigoths ont pris Rome ? Saint Augustin a écrit La Cité de Dieu. La vérité, c’est que la bonne nouvelle de Jésus-Christ n’est pas soumise à des formes politiques.  »

Tandis que l’Eglise et ses supports traditionnels s’évaporent, plus de 60 % des Belges francophones se disent catholiques (68 % en Wallonie, 40 % à Bruxelles). La quasi-disparition du CDH sur la scène liégeoise (trois sièges au lieu de sept) semble valider la prophétie de l’ami maçon de l’ancien porte-parole des évêques de Belgique. Une prophétie autoréalisatrice ? La franc-maçonnerie est très présente en politique, principalement au PS et au MR, dans la culture aussi. L’anticléricalisme de nombre de ses membres s’appuie sur l’historiographie de l’ancienne principauté de Liège, ecclésiastique pendant mille ans, un pouvoir fort auquel se sont opposés les citoyens liégeois qui ont voté le démontage de la cathédrale Notre-Dame et Saint-Lambert en 1793. Paradoxalement, cet épisode entretient une relation d’amour-haine avec le passé.  » Les francs-maçons se sont tellement battus contre une religion d’Etat que certains risquent d’en reprendre le schéma, prévient le chanoine de Beukelaer. Toute religion ou philosophie doit avoir sa place dans la cité.  » Or, les Liégeois restent attachés à la spiritualité : le culte de Marie et les messes en wallon d’Outremeuse ne relèvent pas du folklore, le village de Noël a un vrai curé, les drames collectifs se vivent dans des églises ouvertes, priantes.

Eric de Beukelaer:
© alexis haulot pour le vif/l’express

La majorité communale qui se dessine aura-t-elle un impact sur la défense des intérêts matériels et immatériels de l’Eglise ? Au niveau national, le pilier dit chrétien (enseignement, mutualité, syndicat, associatif) a diversifié ses relais, notamment auprès d’Ecolo (Vert ardent) qui, à Liège, maintient ses huit sièges. Lors du virage à gauche du MR, une partie de la bourgeoisie catholique s’était ralliée au MR (dix sièges au lieu de onze) ; des mandataires humanistes l’ont rejoint encore dernièrement. Quant au CDH, il est atomisé.  » Ses électeurs ont sanctionné le double langage de Benoît Lutgen qui s’est accommodé du maintien ou du retour de Dominique Drion dans Ogeo Fund, Le Travailleur chez lui, Crédis et Finanpart « , avance l’un de ses membres.

Le contraste entre les péripéties de Publifin/Nethys et la contribution des catholiques à l’histoire de Liège est frappant : défense du monde ouvrier au début du xxe siècle (abbé Pottier), protection des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale (Mgr Kerkhofs), engagement de nombreux prêtres dans la Résistance ; dans un registre moins dramatique, redressement des finances de la Ville de Liège (William Ancion), participation à la reconversion économique de la région avec Meusinvest et l’aéroport de Liège (Jean-Pierre Grafé, Louis Smal, Josly Piette).  » Quand la principauté de Liège s’est écroulée, rappelle Eric de Beukelaer, les soeurs Ferdinande et Jeanne Haze sont revenues d’exil pour fonder les Filles de la croix, un ordre religieux dédié à l’éducation des jeunes femmes, aujourd’hui actif dans le monde entier « . Néanmoins, aucune institution ne vit d’amour et d’eau fraîche, admet le prêtre, que sa fonction de vicaire épiscopal chargé du temporel (économie) confronte au problème des églises délaissées mais coûteuses.

Olivier Hamal, président de l'asbl Site mémorial interallié de Cointe : pas inquiet pour l'entretien des églises, mais bien pour leur réaffectation.
Olivier Hamal, président de l’asbl Site mémorial interallié de Cointe : pas inquiet pour l’entretien des églises, mais bien pour leur réaffectation.© JULIEN WARNAND/belgaimage

En conflit avec Seraing

Depuis 2013, le bourgmestre de Seraing, Alain Mathot (PS), bloque le financement de l’entretien des quinze églises de sa commune, pourtant, une obligation légale. Il réclame la réaffectation totale ou partielle de plusieurs d’entre elles à d’autres usages que le culte et veut négocier un accord global avec l’évêché et les fabriques d’église pour ne payer qu’une somme forfaitaire pour leur entretien.  » Un terrain d’entente avait été trouvé, confie Eric de Beukelaer, mais mon dernier courrier n’a pas reçu de réponse, vu les élections et le changement de bourgmestre (NDLR : Francis Bekaert (PS) prend la tête de la commune). Il faudra voir comment la situation politique évolue. Je me veux raisonnablement optimiste, mais si ça ne va pas, je le dirai haut et fort.  »

L’Eglise de Liège s’est dotée d’un directoire, Objectif 2020, invitant les fabriques d’église de chaque commune à se concerter en plateforme et les caisses paroissiales à se fédérer en asbl d’unité pastorale.  » Entre le statu quo et la désaffectation, il existe des alternatives, pose le vicaire épiscopal. Comment faire en sorte qu’une partie de l’église reste affectée au culte, voire toute l’église, mais qu’en même temps, d’autres utilisations soient possibles ? Les catholiques doivent y réfléchir en concertation avec la commune et la population du voisinage.  »

Retiré de la politique en 2011, lorsqu’il a pris la tête du Syndicat national des propriétaires, Olivier Hamal (CDH, puis MR) est président de l’asbl Site mémorial interallié de Cointe. Le site de Cointe comprend l’église du Sacré-Coeur, désacralisée, mais dont la crypte est restée ouverte au culte. Politiquement, rien ne va changer, selon lui :  » Le CDH ne s’est pas particulièrement mouillé pour la défense du patrimoine religieux. A la Ville comme à la Province, il n’y a pas de problème majeur à l’égard de l’Eglise. Le patrimoine religieux fait partie de l’histoire de Liège et de l’attractivité du centre-ville. Je ne suis pas inquiet pour l’entretien des églises, mais bien pour leur réaffectation. Quand les lieux de culte sont vides, ils se détériorent, il faut des gens pour les faire vivre…  » Entre les lignes, l’ancien politique vise le manque de vision et d’engagement des catholiques eux-mêmes.

(1) Auteur, avec Bruno Colmant, du livre d’entretien, Le Prêtre et l’économiste, propos recueillis par Henri Deleersnijder, Renaissance du livre, 140 pages.

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