Willy Borsus et ses ministres. © BELGAIMAGE

Entre Wallons et Bruxellois, la rupture est bien consommée

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Des majorités différentes gouvernent les deux Régions depuis cet été. Attention, danger pour les francophones ? Au-delà des considérations politiciennes, un enjeu crucial. Et une division plus profonde qu’il n’y paraît.

Entre la Wallonie et Bruxelles, rien ne va plus. Même si les jeux ne sont pas encore faits. La mise en place de la majorité MR-CDH à Namur, cet été, a consacré une rupture inédite entre les trois entités francophones. En Région bruxelloise, DéFI refuse toujours de faire tomber la majorité avec le PS, en dépit de la pression du CDH. Et la coalition PS-CDH se maintient à la tête de la Fédération Wallonie-Bruxelles, même si ses jours semblent comptés. Dans un entretien au Vif/L’Express, Olivier Maingain, président de DéFI, se présente comme le  » sauveur  » de la solidarité francophone et pose ses conditions à une entrée dans la majorité. En attendant, tout est fracturé.

« L’éclatement des francophones »

La décision prise par le CDH de débrancher la prise des majorités avec le PS, à la suite des scandales qui ont secoué le Sud du pays, fait peser de lourdes menaces sur la cohésion francophone.  » Il y a toujours eu, par le passé, une volonté d’harmoniser les stratégies d’alliances pour éviter que cela ne pose des problèmes, notamment face à la Flandre, souligne Charles Picqué (PS), président du parlement bruxellois. Mais depuis les élections de 2014, notre division, coupable, risque de nous affaiblir face aux desseins séparatistes de la N-VA. Ce qui se passe est du pain bénit pour Bart De Wever parce que cela illustre crûment l’éclatement des francophones.  »

Charles Picqué ne dément pas une responsabilité initiale de son parti, qui avait donné à Bruxelles le coup d’envoi de majorités en ordre dispersé, il y a trois ans, incitant ensuite le MR de Charles Michel à former la suédoise au fédéral. Mais ce sage de la politique bruxelloise a des mots très durs à l’égard de la posture actuelle du CDH.  » Benoît Lutgen n’a aucune stratégie concertée pour les trois institutions francophones, dénonce Charles Picqué. Il n’avait visiblement pas anticipé ce que son attitude impliquait pour les Bruxellois. C’est une décision wallonne, motivée par un besoin de survie politique.  » Benoît Lutgen, lui, ne cesse de marteler que son geste, sain, visait à se détacher d’un PS qui a un  » rapport malsain à l’Etat « , a-t-il dénoncé dans La Libre.

 » Le fédéralisme belge est décidément étrange, constate Jean Faniel, directeur général du Crisp (Centre de recherche et d’information socio-politiques). Dans un tel système, il n’y a, en théorie, pas de problème à ce qu’une entité fédérée vive sa vie distinctement des autres. Il serait même envisageable que des élections n’aient pas lieu au même moment. Mais en Belgique, cela n’a jamais fonctionné comme ça. Depuis 1985, les gouvernements wallon et bruxellois ont toujours eu, globalement, la même composition. C’est la première fois que l’asymétrie est à ce point importante.  » Un constat à nuancer : seule la Communauté française ne compte pas de parti membre de la majorité fédérale. A Bruxelles, Open VLD et CD&V font le lien, au même titre, désormais, que le MR en Wallonie. En Flandre, la coalition est constituée des trois partis présents au fédéral. De l’huile dans les rouages.

Du côté des socialistes francophones, le traumatisme est toutefois palpable après la rupture survenue entre la Wallonie et Bruxelles, à l’heure où les régionalistes de tout bord ont le vent en poupe.  » Si vous anéantissez l’institution qui fait le pont entre Bruxelles et la Wallonie, vous travaillez à l’affaiblissement de tous les francophones, met en garde Rudy Demotte, ministre-président de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Et puis quoi ? On aurait un programme scolaire différent en Wallonie et à Bruxelles ?  » s’indigne- t-il dans L’Echo. Si l’expression est un peu caricaturale, elle n’en reflète pas moins l’inquiétude qui prévaut à l’idée que Wallonie et Bruxelles s’éloignent.

Charles Picqué et Rudy Demotte, lorsqu'ils étaient ministres-présidents, ont créé la Fédération Wallonie-Bruxelles pour contrer les appétits flamands.
Charles Picqué et Rudy Demotte, lorsqu’ils étaient ministres-présidents, ont créé la Fédération Wallonie-Bruxelles pour contrer les appétits flamands.© Pascal Broze/Reporters

« L’urgence : reconvertir la Wallonie »

La rupture politique de cet été est le reflet d’un éloignement plus profond entre les deux Régions francophones du pays. C’est le fruit de l’histoire institutionnelle du pays. La conséquence, aussi, de réalités sociologiques différentes entre une capitale urbaine, métissée, au statut international et une Wallonie rurale, en quête de redressement. Plus que jamais, Bruxellois et Wallons font face à des défis politiques de natures très différentes.

 » Ces dernières années, l’évolution de l’identité bruxelloise a été bien plus importante que celle de l’identité wallonne, souligne Philippe Destatte, directeur de l’Institut Jules Destrée. Cela s’explique très simplement : les questions identitaires, en Wallonie, ont été dépassées par les « problèmes des gens », comme dirait Elio Di Rupo. En d’autres termes, l’absence ou la difficulté de reconvertir la Wallonie sont devenues les préoccupations premières. Car le constat est inquiétant : depuis plusieurs années, on se rend compte que le redressement économique wallon promis par les politiques n’a pas lieu. Les Bruxellois n’ont pas forcément conscience de cette urgence-là.  »

Selon ce régionaliste convaincu, il faut poser de nouveaux jalons intrafrancophones, comme le réclament d’ailleurs des personnalités d’envergure, tant au PS qu’au MR.  » Nous restons dans un modèle hybride, regrette-t-il. Nous n’avons jamais fait le choix entre les Régions et la Communauté. Or, des évolutions sont souhaitables. Prenons l’enseignement et le Pacte d’excellence. La Communauté française n’a pas les moyens d’assumer les dépenses supplémentaires qui s’imposent. Les Régions, elles, pourraient s’en charger. Depuis plus de dix ans, les entreprises disent qu’elles sont prêtes à abandonner des millions d’euros d’aide publique si l’on parvenait enfin à résoudre la question de la passerelle entre le monde de l’école et du travail. J’avais déjà plaidé, en 2014, pour un gouvernement réunissant les trois principaux partis politiques francophones. Pour transférer des compétences et donner une impulsion nouvelle.  »

A défaut, relève Philippe Destatte, la majorité MR-CDH va induire une nouvelle dynamique dans cette Région qui en a le plus grand besoin. C’est déjà ça…

« Sauver la Région bruxelloise »

Venue de nulle part, la Région bruxelloise a, elle, des préoccupations différentes. Elle doit faire face à une démographie qui explose, aux menaces posées par le terrorisme international, tout en veillant à préserver un fragile équilibre entre Flamands et francophones.  » On ne peut pas à proprement parler d’une rupture profonde entre la Wallonie et Bruxelles, nuance Jean Faniel. Mais on voit bien qu’au sein des partis, il y a des tirages et des incompréhensions. Quand le nouveau bourgmestre de Bruxelles, Philippe Close (PS), propose d’étendre le droit de vote des étrangers aux élections régionales, il ne parvient pas à convaincre son propre président de parti, montois ! Il suffit de voir aussi comment la gestion des scandales et de leurs conséquences est différente en Wallonie et à Bruxelles. Récemment, Rudi Vervoort (PS), ministre-président bruxellois, se demandait même si socialistes wallons et bruxellois étaient encore dans le même parti. Ce n’est pas rien.  » Des ténors de plusieurs formations politiques nous ont déjà confié les incompréhensions croissantes entre Wallons et Bruxellois lors des traditionnels bureaux du lundi matin. L’autonomie accrue des Régions, fortement renforcée par la sixième réforme de l’Etat, les amène à travailler en vase clos.

 » Les tensions entre régionalistes et communautaristes n’ont jamais cessé, chez les Wallons comme chez les Bruxellois, assène Charles Picqué. On a souvent insisté sur ce phénomène au PS avec les Collignon, Happart et Van Cauwenberghe, mais la tendance régionaliste a toujours été présente au MR aussi.  » Souvent pointée du doigt en Flandre pour son fonctionnement complexe et sa pléthore d’institutions, la Région bruxelloise tremble à chaque passe d’armes communautaire. C’est pour sauver Bruxelles que les ministres-présidents bruxellois et wallon de l’époque, Charles Picqué et Rudy Demotte, ont inventé la notion de Fédération Wallonie-Bruxelles, en avril 2008.  » Ce rapprochement entre Wallonie et Bruxelles a été perçu comme une agression par les Flamands, alors qu’il avait en réalité une vocation principalement défensive, poursuit le président du parlement bruxellois. Le mouvement régionaliste allait s’enflammer. J’ai passé des heures, à l’époque, à jouer de la flûte à Amay devant Robert Collignon ou à convaincre mes amis liégeois. Cette Fédération était indispensable pour être plus forts en vue d’une inéluctable réforme de l’Etat.  »

La désunion francophone actuelle survient, à ses yeux, au plus mauvais moment :  » La septième réforme de l’Etat va arriver, ce pourrait d’ailleurs être une réforme ultime car on risque de toucher davantage encore au tabou de la sécurité sociale. On oppose la thèse communautaire à la thèse régionale ? C’est une erreur. Il faut les deux ! Les francophones doivent avoir une identité communautaire leur permettant de veiller au rapport de forces face à la Flandre. Mais il faut aussi une stratégie plus défensive à Bruxelles parce que la situation y est complexe. C’est le tribu à payer pour faire fonctionner la Région. Evitons de nous racrapoter sur la Wallonie !  »

 » Bruxelles ne pourra jamais vraiment être une Région à part entière parce que les Flamands ne l’entendent pas ainsi, appuie Jean Faniel. La situation politique actuelle du côté francophone laisse à penser que la Belgique à quatre Régions l’emporte. Il est vrai que la sixième réforme de l’Etat a d’ailleurs posé des jalons en ce sens. Mais les Flamands ne laisseront jamais Bruxelles s’émanciper comme une entité qui fonctionne bien toute seule.  » Une clé à ne pas perdre de vue.

Rudi Vervoort (PS) et Céline Frémault (CDH) : la majorité bruxelloise en sursis.
Rudi Vervoort (PS) et Céline Frémault (CDH) : la majorité bruxelloise en sursis.© Philip Reynaers/PHOTO NEWS

Par-delà les guérillas de pouvoir…

Les tractations politiques se poursuivent pour tenter de trouver une issue à ces distorsions francophones. De toute évidence, l’enjeu dépasse le Stratego habituel.  » Il pourrait y avoir un scénario surprenant où DéFI rejoint le MR et le CDH à la Fédération, peut-être sans nous, pronostique Charles Picqué. Ce serait conforme au tropisme de DéFI : c’est le lieu où ils peuvent défendre la langue française. Pour nous, ce ne sera pas facile de retravailler dans l’immédiat avec le CDH. PS et DéFI pourraient préserver une spécificité bruxelloise. Le gros problème, c’est que nous n’avons pas la majorité dans le rôle linguistique francophone. Un scénario possible serait que certains CDH se détachent pour nous rejoindre. On pourrait aussi imaginer un apport extérieur. Mais au-delà de ces questions politiques classiques, nous n’échapperons pas au débat sur la force que nous constituons encore ensemble, Wallons et Bruxellois, en vue des prochaines négociations institutionnelles. Car la N-VA profitera, c’est sûr, de cette crise pour réclamer de nouvelles compétences et poser des pas supplémentaires à Bruxelles.  »

 » Mener des guérillas politiques entre niveaux de pouvoir, entre la gauche et la droite, ne serait pas compris par le citoyen, acquiesce Philippe Destatte. Par contre, il comprendrait que la simplification institutionnelle en cours en Wallonie, avec la suppression des provinces, s’étende à la Communauté française. Ce serait faire preuve d’innovation institutionnelle et de modernité. Cela obligerait DéFI – dont les observateurs semblent faire la clé de voûte de tout le système – à passer du discours passéiste d’Olivier Maingain à celui, plus pragmatique, de Didier Gosuin, et à faire monter le MR. Car il ne faut pas s’y tromper : il est plus important aujourd’hui pour la Wallonie d’avoir de bons rapports socio-économiques avec la Flandre, une des régions les plus dynamiques d’Europe, que de se lancer dans de nouvelles querelles ethno-linguistiques.  »

Au MR, on est désireux de saisir cette opportunité historique en installant des majorités libérales à tous les niveaux. Au-delà de 2019. Pour dissiper la crainte d’un écartèlement francophone. Sera-ce cela le nouveau paradigme francophone ?

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