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En termes de bonne gouvernance, Ecolo lave-t-il vraiment plus vert ?

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Les verts, chantres de la bonne gouvernance, limitent les ardeurs de leurs ouailles en leur interdisant d’aligner plus de deux mandats identiques de suite. La règle est globalement respectée. Certains cumulent toutefois les dérogations, ce qui fait tache…

Qui l’eût cru ? Voilà les verts en pointe sur un sujet qu’ils ont été très longtemps seuls à porter : la bonne gouvernance. Il fut même un temps, tout récent, où les autres partis se moquaient ouvertement d’eux et de leur obstination à vouloir laver plus vert que vert le sale linge éthico-politique. Les temps changent. Et changent vite. Les Ecologistes, plus convaincus que jamais d’avoir raison, retapent aujourd’hui sur le clou de la bonne gouvernance en défendant leurs 17 mesures d’assainissement de la vie politique auprès des autres partis.

Depuis toujours, Ecolo soutient qu’il n’est pas sain de faire carrière en politique, de devenir accro au pouvoir et d’ainsi empêcher le renouvellement et le rafraîchissement des élus. Au sein du parti, il est donc interdit d’aligner plus de deux mandats électifs de suite, à quelque poste que ce soit : député, ministre ou conseiller communal, depuis la mi-2016. Auparavant, changer d’assemblée permettait de remettre les compteurs à zéro. Voilà pour le principe de base. Dans les faits, des dérogations peuvent toutefois être décrochées par les élus qui en font la demande et justifient, devant l’instance supérieure à leur niveau d’action (la régionale pour les conseillers communaux, le conseil de fédération pour les députés), la prolongation de leur activité politique. Auparavant, la locale et la régionale concernées doivent s’être prononcées. Le vote est secret. Deux tiers des votants doivent approuver. Toutes les demandes de dérogation ne sont pas acceptées et tous les élus en bout de mandats n’introduisent pas non plus une telle requête. Les dérogations se justifient, par exemple, quand peu de députés Ecolo se présentent dans une circonscription. Les autres arguments avancés sont, sans surprise, la popularité à exploiter dans les urnes ou les projets encore à concrétiser.

Marcel Cheron, Jean-Marc Nollet et Evelyne Hyutebroeck, trois des piliers d'Ecolo.
Marcel Cheron, Jean-Marc Nollet et Evelyne Hyutebroeck, trois des piliers d’Ecolo.© JOHANNA GERON/belgaimage

Ce système frise-t-il l’hypocrisie ?  » La crédibilité d’Ecolo se mesure à la flexibilité de la règle qu’il a lui-même fixée, souligne le politologue Geoffrey Grandjean (ULg). Comme la dérogation est laissée à l’appréciation des militants, c’est du cas par cas. Les militants sont plus enclins à autoriser un mandat de plus lorsqu’il n’est pas ou faiblement rémunéré, comme au sein d’un conseil communal.  » Par ailleurs, dans d’autres partis, la règle de l’âge limite pour exercer n’est pas respectée non plus.  » Les exceptions prévues pour certains ne font que contribuer à la méfiance des citoyens à l’égard du monde politique « , relève le politologue de l’ULB Jean-Benoit Pilet.

Selon le tableau dressé par Le Vif/L’Express (voir plus bas), 5 des 20 élus francophones Ecolo actuels affichent plus de deux mandats similaires successifs et sont donc en régime  » dérogatoire « . Par ailleurs, 10 de ces mêmes 22 élus (les deux germanophones inclus) sont actifs en politique depuis plus de dix ans.

Entrer en politique à 25 ans et y rester jusqu’à 65 ans est un non-sens

Certes, chez Ecolo, on a déjà parlé de la fin des dérogations. Mais sans plus pour l’instant. Vu le contexte, il est toutefois probable que les dérogations passeront moins bien à l’avenir. Les prochaines requêtes devront être introduites, pour les mandats de députés, à la fin de 2018. Marcel Cheron, député depuis 1991, ne devrait plus se représenter, ni Muriel Gerkens.  » Je soutiendrai en suppléance, pour apporter des voix à la liste sans être élue « , précise la députée liégeoise. Quant à Isabelle Durant, elle quitte la vie politique belge pour devenir, à partir de septembre, secrétaire générale adjointe de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced).

 » Jusqu’en 2003, la règle était très strictement respectée et les carrières politiques des élus Ecolo étaient très courtes, rappelle Jean-Benoit Pilet. Mais après l’échec électoral de 2003, les verts ont commencé à être plus souples, conscients que, pour gagner des élections, il fallait des voix de préférence et pour décrocher celles-ci, il fallait des personnalités connues.  » Il importait aussi, lors des négociations d’après-scrutins, de disposer de mandataires finauds et roublards, donc assez expérimentés, pour ne pas que le parti se fasse rouler dans la farine.

Depuis lors, on voit, chez les écologistes, des personnalités qui s’y activent pendant dix ou quinze ans avant de disparaître, et d’autres qui durent ou ont duré, comme Isabelle Durant, Olivier Deleuze ou Marcel Cheron.  » Le nombre de longues carrières est très restreint, assure Charlotte De Jaer, qui préside le parlement interne au parti. On assure ainsi le renouveau des troupes sans se priver de l’expérience des plus anciens.  »

Depuis juin 2016, la règle s’est effectivement resserrée. Autrement dit, certains anciens d’Ecolo n’ont jamais dû demander de dérogation jusqu’à présent parce qu’ils ont changé d’assemblée au fil des scrutins. Ce ne sera plus possible à l’avenir. Et après deux mandats, il faudra une pause d’au moins une législature pour pouvoir à nouveau prétendre au poste convoité. En revanche, un mandat non complet, par exemple parce qu’un suppléant est soudain devenu effectif, ne compte pas dans le calcul.  » Ce fonctionnement permet à Ecolo de retisser du lien avec le secteur associatif et le secteur privé, observe Jean-Benoit Pilet. En y puisant des compétences, on rend la vie politique beaucoup plus mobile. Entrer en politique à 25 ans et y rester jusqu’à 65 ans est un non-sens.  »

Cette règle de limitation des mandats dans le temps s’applique aussi aux deux coprésidents, avec possibilité de prolongation d’un an si la fin du mandat coïncide avec l’arrivée d’élections.  » Plus la règle est appliquée strictement et plus le collectif prend le pas sur l’individuel « , relève Jean-Benoit Pilet. Pour lui, le choix ne devrait pas être laissé à l’appréciation des partis,  » la professionnalisation en politique apportant plus d’inconvénients que d’avantages.  » Qu’un seul parti porte une telle mesure de limitation des mandats dans le temps est insuffisant pour changer les règles du jeu politique. Mais  » il est acquis dans l’opinion publique que le cumul doit être évité, souligne Geoffrey Grandjean, sinon, il suscite un tollé « . Ecolo a aujourd’hui davantage de chances d’imposer ses balises en négociations.

Sur le terrain, la mesure porte ses fruits : une carrière de parlementaire Ecolo dure en moyenne six ans et dix mois. Si l’on y ajoute les ministres, la durée moyenne monte à sept ans et trois mois. Même si certains affichent une carrière nettement plus longue.  » La présence de garde-fous permet de contrôler les dérogations et de les accorder quand une large majorité au sein du parti le juge nécessaire ou justifié, analyse Emilie van Haute, politologue à l’ULB. Réviser ces dispositions reviendrait à renier les principes constitutifs du parti. Tant en interne qu’en externe, ce serait difficile à justifier.  » Surtout par les temps qui courent…

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