Cyprien Devilers (à dr.), échevin MR à Charleroi, et Philippe Knaepen, président de la fédération MR et candidat bourgmestre à Pont-à-Celles : des destins liés ? © HATIM KAGHAT

En périphérie de Charleroi, la double tentation du MR

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Dans l’arrondissement, le MR veut consolider des positions gagnées en 2012, mais conserver de bonnes relations avec le PS. Après Courcelles et Seneffe, en 2012, il lorgne le mayorat dans des bastions socialistes comme Pont-à-Celles, Fleurus et Fontaine-l’Evêque.

L’enjeu : renverser le PS, mine de rien

Un dilemme traverse le Mouvement réformateur, plus saillant à mesure qu’on s’élève dans sa hiérarchie. Résumons-le. D’une part, le PS n’est pas dans la plus flambante forme de sa longue histoire, la sociologie lui est moins favorable que jadis, particulièrement dans le nord de l’arrondissement, et les affaires ont sali sa marque. Donc, certaines sections locales réformatrices sont saisies de la tentation courcelloise : en 2012, Caroline Taquin rompait le pacte réformateur avec le PS et s’associait avec écologistes et humanistes pour jeter, pour la première fois depuis des décennies, les socialistes dans l’opposition. Ils sont bien partis pour y rester, tant la bourgmestre, à qui est promis un siège de députée fédérale en 2019, a consolidé ses positions, et tant celles du PS, faible et divisé, se sont délitées d’autant plus que c’est précisément à Courcelles que le PTB présentera sa seule liste des treize communes de la périphérie de l’arrondissement de Charleroi. A Seneffe, Bénédicte Poll avait alors elle aussi profité de la division adverse. C’est ainsi que Fleur-U, une liste tricolore MR-CDH-Ecolo, se présentera à l’électeur fleurusien, même si le MR participait à la majorité sortante avec le PS, qu’à Fontaine-l’Evêque Mieux demain, de semblable composition, tentera de reprendre le pouvoir aux socialistes, ou qu’à Chapelle-lez-Herlaimont, il a uni ses forces à celles du CDH local pour y faire mieux que de la figuration.

Caroline Taquin, bourgmestre MR de Courcelles, favorite pour la reconduction de son mandat.
Caroline Taquin, bourgmestre MR de Courcelles, favorite pour la reconduction de son mandat.© HATIM KAGHAT

D’autre part, dans d’autres localités, on considère cette stratégie comme risquée : prôner l’alternance, c’est en effet se priver de la possibilité de gouverner avec les socialistes si ceux-ci maintiennent leur position de force. A Aiseau-Presles, par exemple, le MR local n’est pas entré dans la dynamique, ancienne déjà, du mouvement Ensemble piloté par un CDH flanqué de quelques (anciens) écologistes. Il espère se poser en arbitre, entre deux blocs antagonistes. Et, tout en haut de la pyramide bleue, dans son nouveau siège de la place Buisset, Ville-Basse, Olivier Chastel sait qu’une confrontation violente qui apparaîtrait comme coordonnée lui serait nuisible, à Charleroi-Ville comme ailleurs. Surtout qu’hormis la prolongation d’un échevinat à Montigny-le-Tilleul, où le règne libéral est séculaire (52 % en 2012 pour la liste menée par la défunte Véronique Cornet), le MR a peu à offrir au PS dans les quatre cantons que compte l’arrondissement. La situation personnelle du président de la fédération d’arrondissement MR, Philippe Knaepen, illustre le dilemme. Echevin de l’ancien ministre Christian Dupont (PS) à Pont-à-Celles depuis 2000, député wallon depuis 2014, il avait, en 2012, récolté plus de voix de préférence que son bourgmestre, reconduit car sa liste, en recul, avait néanmoins récolté plus de sièges que le MR (dix contre neuf). A 71 ans, Christian Dupont a décidé de se représenter. L’usure du pouvoir, autant que l’évolution socio-démographique d’une population pont-à-celloise qui s’embourgeoise lui sont défavorables. On l’imagine mal, défait, poursuivre six ans comme échevin d’un bourgmestre dont il fut le patron. Mais que Philippe Knaepen, soit le président réformateur de l’arrondissement, décide, s’il en a l’occasion, de reléguer un socialiste qui compte dans une humiliante opposition communale, pourrait entraîner des répercussions en cascade dans les localités voisines. Et donc, par ricochet, perturber les tranquilles certitudes carolorégiennes d’Olivier Chastel et Cyprien Devilers.

En déficit de renouvellement dans la ville de Paul Magnette, les socialistes le sont encore davantage en périphérie

La surprise : des socialistes qui se rebiffent

En déficit de renouvellement dans la ville de Paul Magnette, les socialistes le sont encore davantage en périphérie, où les résultats décroissent de manière presque continue dans les citadelles historiques (Courcelles, Seneffe et Pont-à-Celles, on l’a dit, mais aussi Châtelet, deuxième commune de l’arrondissement, ou Fleurus). La petite commune de Farciennes, la plus rouge au coeur du canton le plus rouge d’un des arrondissements les plus rouges, fait à la fois figure d’exception et d’exemple. L’actuel député européen Hugues Bayet, bourgmestre en 2006, a fait gagner 13 % au PS entre 2006 et 2012, le hissant de 66 à près de 80 % des suffrages, ramassant 19 des 21 sièges au conseil communal. Difficile de faire mieux, si bien qu’il fut un moment question, à gauche et à droite, de ne présenter qu’une seule liste au scrutin d’octobre prochain.

Loïc D'Haeyer (PS) espère renouer avec une majorité monocolore socialiste à Fleurus. Ambitieux ou téméraire ?
Loïc D’Haeyer (PS) espère renouer avec une majorité monocolore socialiste à Fleurus. Ambitieux ou téméraire ?© HATIM KAGHAT

Il n’en sera rien, mais que certains y aient pensé, dans les autres partis aussi, est suffisamment révélateur. Juste au nord de Farciennes, à Fleurus, un jeune échevin tentera d’imiter son voisin et aîné. Loïc D’Haeyer, 31 ans, ingénieur civil et haut dirigeant de l’ISPPC, clame son ambition de rendre aux socialistes fleurusiens la majorité absolue qu’ils choisirent de partager avec les libéraux en 2012, moins par esprit d’ouverture que parce qu’avec 14 sièges sur 27, ils n’auraient pas été à l’abri de défections – défections qui du reste se produisirent. Que son pari, ardu, échoue, que celui de Fleur-U (voir plus haut), dont les trois formations avaient envoyé 12 sièges au conseil en 2012 ne réussisse pas, et a cité des Bernardins pourrait se voir bloquée, le temps de sévères négociations. Ou de méchants débauchages. A Châtelet, à Aiseau-Presles, à Chapelle-lez-Herlaimont ou à Fontaine-l’Evêque, en revanche, les majorités absolues socialistes viseront plutôt à la conservation de leurs positions qu’à un plutôt hypothétique sursaut. Tout le monde n’a pas la chance d’être fleurusien. Ou farciennois.

Les scandales, partout et toujours

Philippe Busine, bourgmestre CDH de Gerpinnes, se verrait bien rempiler...
Philippe Busine, bourgmestre CDH de Gerpinnes, se verrait bien rempiler…© HATIM KAGHAT

Ce n’est pas parce qu’on est plus petit qu’on n’a pas sa dignité. L’adage, universel, vaut aussi pour les scandales. Car comme Liège avait Publifin, Charleroi a eu son ISPPC. Et comme Liège et Charleroi avaient leur esclandre, de plus petites communes ont semblé tenir à contribuer, à leur modeste échelle, au discrédit frappant la classe politique. Pour ne citer que les plus spectaculaires, à Farciennes, un échevin socialiste, Attila Demir, vient d’être inculpé pour faux, usage de faux et détournement. Il aurait détourné 200 000 euros des caisses de la Régie communale autonome, qu’il présidait. Echevin depuis 2006, il a démissionné en janvier. A Châtelet, le bourgmestre socialiste Daniel Vanderlick et une échevine ont été acquittés en février, dans une affaire de faux et de harcèlement envers un directeur d’école qui empoisonne, depuis plusieurs années, la vie politique communale. A Gerpinnes, c’est la receveuse communale qui, pendant douze années de service, puisait discrètement dans les caisses. En mars 2016, elle avouait avoir détourné 600 000 euros et était immédiatement incarcérée. Elle sera jugée en juin prochain. La région connut même une affaire qui n’en était finalement pas une. A Fleurus en effet, des accusations de détournement autour des cagnottes des écoles, colportées par des dénonciations anonymes, firent grand bruit à l’été 2017. Rien ne dit que l’information judiciaire qui a alors été ouverte ait dévoilé de graves malversations. Il n’empêche, cette enfilade de boules puantes, révélatrices de l’esprit de l’époque, montrent l’état de tension dans lequel se trouve le monde politique, y compris au niveau le plus local, au moins autant que la turpitude des moeurs politiciennes. On voudra y voir, non pas un signe que les politiques d’aujourd’hui sont moins honnêtes que ceux d’hier, mais sans doute plutôt la preuve que ceux d’aujourd’hui lavent moins leur linge sale en famille que ceux d’hier.

Le pari : Ecolo vers ses années collège

...Vincent Debruyne, secrétaire de la régionale Ecolo, est en cartel avec MR et PS pour l'en empêcher.
…Vincent Debruyne, secrétaire de la régionale Ecolo, est en cartel avec MR et PS pour l’en empêcher.© HATIM KAGHAT

Les difficultés des écologistes carolorégiens, dans une région de vieille industrie, de surcroît dépourvue d’université, sont connues de toujours. Elles rendent difficiles à la fois le recrutement et l’implantation électorale, comme le démontrent les difficultés, rencontrées à Charleroi-Ville, de se doter de nouvelles têtes d’affiche ( voir plus haut). Dans la périphérie toutefois, les verts firent parfois office d’appoint décisif, comme à Pont-à-Celles jusqu’en 2000, à Fontaine-l’Evêque entre 2006 et 2012, ou, on l’a évoqué, à Courcelles depuis 2012. Aujourd’hui, dans une régionale que Jean-Marc Nollet surveille comme une galette d’uranium dans un réacteur nucléaire, c’est-à-dire très minutieusement, mais derrière d’imperméables protections, les verts visent à généraliser cette stratégie de l’appoint, de façon à entrer dans le plus de collèges possible, ce qui renforcerait d’autant leur implantation locale et, par effet retour, rendrait le parti moins dépendant des grands mouvements d’opinion, de la crise de la dioxine à la lutte contre le réchauffement climatique. A Fleurus et à Fontaine-l’Evêque, les verts ont même annoncé la couleur en faisant liste commune avec libéraux et humanistes pour prendre ces citadelles socialistes. Mais, comme pour bien montrer que leur soif d’alternance ne s’abreuve pas que d’antisocialisme, à Gerpinnes, le conseiller communal et secrétaire politique de la régionale, Vincent Debruyne, s’est associé avec les sections socialistes et réformatrices locales pour renverser le bourgmestre humaniste Philippe Busine. Et, là où ils partiront seuls au scrutin, comme à Aiseau-Presles, à Pont-à-Celles, voire à Châtelet, ils espèrent s’imposer en utiles arbitres. Comme Christophe Clersy, président du CPAS à Courcelles et possible (probable ?) député wallon en 2019 le fit, avec Caroline Taquin, à Courcelles. Les verts y font désormais partie des meubles.

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