La fondation Les Arbres du souvenir offre la possibilité de répandre les cendres des défunts autour de cet anneau mémoriel, dans la forêt de Soleilmont. © FRÉDÉRIC PAUWELS/HUMA

En crise, les cimetières se réinventent

Masson-Loodts Isabelle
Masson-Loodts Isabelle Journaliste indépendante, auteur, chroniqueuse

Saturés, pollués et ne correspondant plus aux attentes de tous les citoyens, nos cimetières sont appelés à évoluer. Mais alors que les cercueils en carton, enterrements en pleine nature et inhumations en linceul conquièrent tranquillement le nord de l’Europe, dans le sud de la Belgique, le pouvoir législatif se montre frileux par rapport aux nouvelles pratiques funéraires…

Tandis que nos cimetières sont pleins à craquer, ceux qui sont chargés de les gérer se trouvent confrontés à un problème inédit : le processus de décomposition des dépouilles des défunts, qui prenait autrefois de huit à dix ans, peut désormais s’étaler sur plusieurs décennies. Les origines de cette nouvelle résistance des cadavres sont multiples : excès d’étanchéité des cercueils, usage de pesticides dans les cimetières et d’autres substances nuisant à l’activité biologique, comme le formaldéhyde, lors des embaumements… Constatée pour la première fois en Allemagne en 2003, cette prolongation de la  » durée de vie  » des cadavres représente une source de pollution pour le sol et les nappes phréatiques. Bien qu’en Belgique, il n’existe à ce jour aucune donnée chiffrée sur cet impact, le phénomène mérite l’attention. Alors que depuis le décret de 2009, les communes, devenues gestionnaires des cimetières, sont confrontées à des problèmes de place, il leur faut récupérer les concessions dont le bail n’est pas renouvelé par les familles. Elles procèdent donc à des exhumations, au cours desquelles peuvent survenir de mauvaises surprises lorsque des pratiques funéraires ont nui à la bonne dégradation des corps…

Xavier Deflorenne,
Xavier Deflorenne, « Monsieur Cimetière » de la Région wallonne.© FRÉDÉRIC PAUWELS/HUMA

 » Le plus gros problème n’est pas environnemental, estime Xavier Deflorenne,  » Monsieur Cimetière  » de la Région wallonne : il s’agit plutôt des risques biologiques, chimiques et psychologiques bien réels que les fossoyeurs subissent, en raison de ces situations. Ces dangers sont reconnus par le service de prévention et de médecine du travail des Communautés française et germanophone de Belgique.  » Mais si en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Suisse, en Suède ou aux Pays-Bas, les pratiques funéraires ont déjà évolué pour faire face à ce problème, le changement se fait nettement plus lent chez nous.

Une lente métamorphose

Certes, depuis 2009, la législation wallonne interdit les cercueils en polyester et exige que les gaines dans lesquelles sont enveloppées les dépouilles soient biodégradables. Mais les cercueils en carton, pourtant admis en Flandre, restent interdits en Wallonie. Quatre ans après un premier rejet de ces cercueils alternatifs, Paul Furlan, ministre PS wallon des Pouvoirs locaux, semble désormais plus favorable à leur légalisation, sans pour autant s’engager dans un calendrier en ce sens… L’ensevelissement en linceul, quant à lui permis depuis 2004 dans le nord du pays, n’est accepté à ce jour ni en Wallonie, ni en Région bruxelloise, où il a pourtant été voté par le parlement en 2013, mais où son arrêté d’exécution se fait toujours attendre…

Pour aider les fossoyeurs à affronter les difficultés des exhumations, le Service public de Wallonie a mis en place une formation en collaboration avec l'Institut du patrimoine wallon.
Pour aider les fossoyeurs à affronter les difficultés des exhumations, le Service public de Wallonie a mis en place une formation en collaboration avec l’Institut du patrimoine wallon.© FRÉDÉRIC PAUWELS/HUMA

Pour Cédric Vanhorenbeke, fondateur de la coopérative Alveus, une des rares entreprises de pompes funèbres écologiques du pays, c’est le conservatisme de la corporation qui freine ces évolutions :  » Les marges bénéficiaires sur les cercueils classiques sont très élevées. La plupart des gens acceptent de payer ces prix, même lorsqu’il s’agit d’aggloméré ou de MDF, et non de bois plein, car ils ne sont pas bien informés. Ce ne serait évidemment pas possible de réaliser les mêmes marges sur un cercueil en carton.  » Lui-même issu d’une famille engagée depuis plusieurs générations dans ce secteur, le jeune entrepreneur n’hésite pas à épingler d’autres pratiques peu éthiques du lobby :  » Les thanatopracteurs continuent à utiliser des substances pourtant interdites hors autorisations spéciales. Il faut dire que les contrôles sont inexistants.  » Tout en admettant cette absence, la Fédération wallonne des pompes funèbres répond que l’embaumement est une pratique très peu répandue en Belgique, au contraire de pays comme la France ou la Grande-Bretagne.

Vive l’humusation ?

Le lobby funéraire n’endosse pas seul pour autant la responsabilité de l’inertie dans laquelle se trouvent les pratiques funéraires en Wallonie.  » Les changements dans ce domaine se produisent souvent avec un décalage d’une ou deux générations « , reprend Xavier Deflorenne. Alors que le plan  » Zéro phyto  » prévoit l’interdiction des pesticides dans les espaces publics d’ici à 2019, les communes wallonnes mettant déjà en place une gestion différenciée des cimetières en savent quelque chose : elles doivent faire face au mécontentement d’une part de la population qui, ayant toujours connu des espaces funéraires minéralisés, accepte difficilement leur végétalisation.

Certains citoyens rêvent de pratiques funéraires encore plus écologiques que les cimetières sans pesticides ou les cercueils en carton. Avec les autres membres de la fondation Métamorphose, Guy Basyn promeut l’humusation,  » un processus contrôlé de transformation des corps par les micro-organismes dans un compost composé de broyats de bois d’élagage « . Dans son testament publié sur Internet, ce retraité explique espérer que l’heure venue, son corps pourra être  » transmuté en humus dans le but de fertiliser et de régénérer la terre « . Pratiqué et recommandé officiellement au Canada pour les bovins et porcins, le compostage des dépouilles mortelles n’a jamais encore été utilisé pour l’homme… Après avoir réuni  » plus de 25 experts certifiant formellement que ce procédé permettra, en douze mois, de transformer les dépouilles mortelles en humus sain et fertile « , les membres de la fondation Métamorphose militent pour que la Région wallonne accepte d’accorder une dérogation à une commune pour un projet pilote permettant de tester cette méthode.

Plus de 9 000 personnes ont déjà signé une pétition en ce sens, et les communes d’Ottignies ou Namur ont marqué leur intérêt pour l’humusation. Le ministre Furlan déclare  » ne pas être opposé à l’idée que la commission des pouvoirs locaux, du logement et de l’énergie puisse être saisie de la question de l’ouverture aux nouvelles techniques de gestion des dépouilles « . En attendant cet examen, la Région wallonne montre plus d’entrain par rapport aux évolutions que connaît la crémation, seule alternative actuellement possible à l’inhumation.

Guy Basyn dans son potager. Cet adepte du compostage espère que l'humusation lui permettra de ne pas laisser de déchets derrière lui après sa mort.
Guy Basyn dans son potager. Cet adepte du compostage espère que l’humusation lui permettra de ne pas laisser de déchets derrière lui après sa mort.© FRÉDÉRIC PAUWELS/HUMA

Alors qu’en 1990, seul un Belge sur cinq (et un Wallon sur dix) choisissaient la crémation, le nombre d’incinérations a supplanté depuis 2012 celui des inhumations dans notre pays. Ces chiffres continuent à augmenter et, avec eux, le nombre et le type d’espaces dédiés à la crémation. A Welkenraedt, la zone naturelle qui sert d’écrin au plus récent des crématoriums de Wallonie tranche singulièrement avec les tristes pelouses de dispersion et columbariums d’autrefois.  » Cette intégration dans la nature sera encore plus poussée dans le projet de crématorium sur lequel nous planchons pour la province de Luxembourg, explique Philippe Dussard, directeur général de l’intercommunale Neomansio. Dans le bois de Soleilmont, à Fleurus, un autre site funéraire original est d’ores et déjà disponible pour  » ceux et celles qui cherchent une alternative aux columbariums et pelouses de dispersion des cimetières communaux, et pour qui la nature est représentative du souvenir qu’ils souhaitent laisser à leurs proches  » : au coeur des 11 hectares de forêt acquis dans le cadre de cette initiative citoyenne, la fondation Les Arbres du souvenir permet aux personnes endeuillées de disperser gratuitement les cendres des défunts autour d’un majestueux chêne communautaire, ou au pied d’un arbre choisi au préalable…

Bien qu’il existe de nombreuses forêts de mémoire au Royaume-Uni, en Suisse, en Allemagne, aux Pays-Bas, au Luxembourg, et ailleurs dans le monde, le concept demeure avant-gardiste chez nous.  » Il reste un important travail d’information à faire, constate Alexia Willems, cofondatrice des Arbres du souvenir. Les gens sont globalement peu au courant des possibilités qui s’offrent à eux concernant les cendres du défunt. Même les communes ignorent parfois que la législation permet que celles-ci soient inhumées ou dispersées dans un domaine privé, à condition d’obtenir une autorisation préalable du propriétaire.  » La proposition de décret, présentée le 18 octobre, au parlement wallon par les députés Véronique Salvi (CDH), Graziana Trotta (PS) et Philippe Knaepen (MR) vise à clarifier le régime juridique des cendres funéraires et à mieux en informer les communes. Une résolution proposée par ailleurs par les trois parlementaires prévoit l’usage d’un nouveau document permettant aux personnes faisant le choix de la conservation des cendres à domicile de préciser leur destination finale, dans le cas où elles choisiraient de ne plus les garder.  » Cela permettra aux familles de conserver la mémoire du lieu de destination finale des cendres, si l’urne passe d’un descendant à un autre, et sera utile aussi aux communes pour garder un oeil sur les restes humains qui ne sont ni dispersés, ni inhumés au cimetière, souligne Véronique Salvi. Il arrive en effet, plus souvent qu’on ne le pense que des urnes funéraires soient retrouvées dans des bennes à ordure ou même de brocantes…  »

Preuve s’il en est que l’évolution des pratiques funéraires doit être suivie de près par le législateur.

Avec le soutien du Fonds pour le journalisme en Fédération Wallonie-Bruxelles.

Par Isabelle Masson-Loodts/Huma – Photos : Frédéric Pauwels/Huma.

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