Le contrôle de la production d'azote est effectué quand il est utilisé comme engrais, dont la quantité est strictement réglementée par hectare. © MICHEL GILE/GETTY IMAGES

Émissions d’ammoniac: la PAC, une réforme vraiment verte ?

Le Vif

En avril dernier, dans le cadre d’une enquête journalistique paneuropéenne, Le Vif/L’Express révélait le manque de transparence des autorités belges quant aux émissions d’ammoniac produites par les élevages porcins et de volailles. Nous avons également analysé les subsides de la politique agricole commune. Pourquoi des élevages intensifs polluants continuent-ils à recevoir des aides européennes ?

PARDELPHINE REUTER (1)

L’agriculture est le seul secteur économique en Europe qui soit intégralement financé par le budget de l’Union européenne. En 2016, plus de 700 millions d’euros de subsides ont été octroyés à des entreprises belges dans le cadre de lapolitique agricole commune (PAC). Depuis la dernière réforme de la PAC, ces aides ont notamment pour but de  » verdir  » les activités des exploitations agricoles, afin de minimiser leur impact sur l’environnement. En Belgique, les paiements effectués en 2016 reflètent ces décisions : là où, jusqu’en 2015, les agriculteurs recevaient la majeure partie de leurs subsides via les droits à paiement unique, cette aide fut ensuite découplée afin, notamment, de mettre en place le  » paiement vert « . Celui-ci est destiné à soutenir des pratiques agricoles bénéfiques pour le climat et l’environnement, comme le maintien de prairies permanentes en contrepartie de surfaces agricoles.  » La PAC permet à l’ensemble des citoyens européens de bénéficier d’un approvisionnement abondant et sûr en aliments de qualité, ainsi que d’un environnement et de paysages exceptionnels « , selon la Commission européenne.

Une politique agricole durable est-elle compatible avec le financement d’élevages intensifs aux activités polluantes ?

Une politique agricole durable est-elle compatible avec le financement d’élevages intensifs aux activités polluantes ? Dans son numéro du 26 avril dernier, Le Vif/L’Express publiait une enquête exclusive sur les émissions d’ammoniac des élevages porcins et de volailles. Comme tout Etat membre de l’Union européenne, la Belgique – via les autorités régionales – doit déterminer les émissions d’ammoniac de ces élevages et les rapporter à l’Agence européenne pour l’environnement, qui les publie en ligne dans le registre  » E-PRTR  » (European Pollutant Release and Transfer Register). Mais bien que ces données soient accessibles aux citoyens, les noms des exploitations agricoles belges sont volontairement gardés confidentiels. Cette opacité est à l’opposé des objectifs européens d’accès à l’information ayant trait à l’environnement.

Les principaux impacts environnementaux des élevages intensifs sont liés aux émissions d’ammoniac ainsi qu’aux émissions d’azote (notamment le protoxyde d’azote, un gaz à effet de serre) et de phosphore dans le sol, dans les eaux de surface et dans les eaux souterraines. Sans connaître ces informations, les citoyens ne peuvent prendre part au débat public sur la qualité de l’air, par exemple, ou l’extension des activités d’exploitations agricoles dont ils sont les voisins. Selon l’E-PRTR, 64 exploitations agricoles belges ont émis plus de 10 tonnes d’ammoniac dans le cadre de leurs activités en 2015. Sur la base des informations disponibles, Le Vif/L’Express a identifié les 20 exploitations flamandes répertoriées dans le registre E-PRTR, mais seulement 26 wallonnes sur les 44 déclarées. Nous avons ensuite analysé les subsides européens qu’elles ont reçus en utilisant le site des organismes payeurs belges, Belpa.

Au total, les exploitations que nous avons identifiées ont reçu 1,29 million d’euros en 2016. Dans cette enveloppe globale, les paiements verts représentaient presque 200 000 euros. Le groupement Huberty, un éleveur de volailles situé à Neufchâteau qui avait émis 31,6 tonnes d’ammoniac en 2015, est l’exploitation agricole qui a reçu le subside le plus important en 2016, d’après notre analyse : 159 011 euros. Dans cette enveloppe, le paiement vert s’élève à 11 436 euros. L’exploitation wallonne qui avait émis le plus d’ammoniac en 2015, Taveirne SA à Ploegsteert, avec 105 tonnes, a reçu 12 162 euros de subsides mais pas de paiement vert. La Société de la Munque SA, une exploitation voisine de Taveirne SA, qui a émis 46,6 tonnes d’ammoniac en 2015 a, elle, reçu 46 782 euros de subsides en 2016, dont 20 499 euros pour le paiement vert. En Flandre, la société Arkova, (qui avait émis un total de 80,8 tonnes d’ammoniac en 2015) et sa société mère, Danis, ont reçu en tout 145 240 euros de subsides PAC sur trois ans (2014-2016). Arkova ne semble pas avoir reçu de paiement vert. Enfin, les montants des subsides varient : la Société agricole de la Praule, à Hastière (19 tonnes d’ammoniac en 2015), a à peine reçu 1 660 euros en 2016. Les paiements verts, quand ils apparaissent, sont compris entre 374 euros (De Biest, un élevage de volailles à Lichtervelde qui a émis 12 tonnes d’ammoniac en 2015) et 29 040 euros (Société agricole Minne-Hock, à Perwez ; 23,1 tonnes d’ammoniac en 2015).

A la lecture de ces chiffres, il est difficile de percevoir l’impact du  » verdissement  » de la PAC sur la mise en place de mesures concrètes au sein de ces élevages particulièrement polluants. Fin 2016, la Cour des comptes européenne publiait un rapport dans lequel elle remettait en cause l’efficacité de la PAC quant au développement d’une agriculture durable en Europe. La Cour soulignait en particulier le manque d’harmonisation, entre les Etats membres, des règles définissant le principe de conditionnalité, en vertu duquel les aides européennes peuvent être retirées aux agriculteurs. Ces règles sont relatives  » à l’environnement, à la sécurité des aliments, à la santé et au bien-être des animaux, ainsi qu’aux bonnes conditions agricoles et environnementales « , selon la Cour des comptes, qui ajoutait :  » Une grande partie de la société s’attend à ce que les agriculteurs qui bénéficient de subventions de l’UE satisfassent à ces obligations.  » Or, lorsqu’il s’agit de vérifier le respect de ces règles par les exploitations agricoles,  » (d)ans des cas d’infractions similaires, les facteurs que constituent la gravité, l’étendue, la persistance et le caractère intentionnel ont été appliqués de manière très différente d’un Etat membre à l’autre « .

Les déjections des volailles produisent de l'ammoniac non soumis aux contrôles de la police de l'environnement.
Les déjections des volailles produisent de l’ammoniac non soumis aux contrôles de la police de l’environnement.© DENIS CLOSON/ISOPIX

Des contrôles renforcés sur l’azote

En Belgique, la production d’azote émanant des exploitations agricoles peut potentiellement mener à une coupure de subsides. Mais il ne s’agit pas de mesurer l’ammoniac rejeté dans l’air par les exploitations agricoles : le contrôle est opéré sur l’azote utilisé comme engrais.  » L’E-PRTR ne sert pas à sanctionner, explique Marianne Petitjean, directrice au Département des permis et autorisations du SPW Environnement. Ce qui compte pour la sanction, ce sont les infractions au permis d’environnement.  » Selon Pascal Petit, attaché au Service public de Wallonie, des sanctions peuvent être prises lorsque, lors de vérifications administratives, la Région wallonne détecte des situations où l’éleveur a produit plus d’azote qu’il n’y a eu d’épandage. La vérification administrative est basée sur un calcul entre le volume d’azote produit via les déjections des animaux et l’épandage, ainsi que les contrats passés entre exploitants afin d’épandre l’azote sur un autre champ – par exemple dans le cas où le fermier ne possède pas de champs attenant à ses bâtiments d’élevage.

L’azote est nécessaire aux plantes pour pousser, d’où l’interdiction d’épandre en hiver, afin d’éviter le ruissellement vers les eaux de surface et pour maximiser le rendement lorsque le printemps arrive. Trop d’azote risque de provoquer une pollution des eaux de surface ou souterraines. La Wallonie doit en cela respecter la directive nitrates, qui est appliquée au travers du Programme de gestion durable de l’azote en agriculture (PGDA). Les quantités à épandre sont strictement réglementées par hectare. De plus, la police de l’environnement, un service dédié au sein du Service public de Wallonie, effectue des inspections in situ et grâce à des images satellitaires pour vérifier que les agriculteurs respectent les conditions reprises dans leur permis d’environnement, qui décrit l’ensemble des mesures que doivent prendre les exploitants agricoles afin, notamment, de gérer l’azote.  » On parle de conditionnalité agricole, précise Philippe Nemry, inspecteur général au Département de la police et des contrôles du SPW Environnement. Pour pouvoir bénéficier des aides, les agriculteurs doivent respecter des règles, dont la conditionnalité nitrates. Si vous êtes pris en infraction de surépandage, vous risquez une réduction, voire une suppression totale des subsides.  »

Mais cette réglementation, bien que contraignante – la police de l’environnement peut sanctionner et, par procès-verbaux, saisir le parquet en cas d’infractions sévères – ne concerne que l’azote stocké, épandu, et cédé via contrats entre agriculteurs. Soit l’azote qui sort des sites d’exploitation. L’ammoniac, le gaz produit au sein des élevages porcins et de volailles par la dégradation de leurs déjections, et rejeté dans l’air par les cheminées des sites d’exploitation, n’est pas soumis aux contrôles de la police de l’environnement.  » Connaître les émissions d’ammoniac pour une ferme particulière exigerait de faire des mesures scientifiques pour chacune « , relève Philippe Nemry. Selon les données du SPW Environnement, les agriculteurs de Comines-Warneton sont ceux qui produisent le plus d’azote en Wallonie. C’est aussi sur cette commune que se trouvent les deux exploitations agricoles qui ont émis le plus d’ammoniac au sud du pays en 2015.

Par Delphine Reuter (1).

(1) Avec Mark Lee Hunter (France), Stefan Wehrmeyer (Allemagne), Nils Mulvad (Danemark), Matteo Civillini (Italie), Benedikt Narodoslawsky (Autriche), Patryk Szczepaniak et Julia Dauksza (Pologne), et Luuk Sengers et De Groene Amsterdammer (Pays-Bas).

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