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Els Ampe : « La N-VA emploie une rhétorique de guerre »

La députée bruxelloise Els Ampe (Open VLD) dénonce la volonté des nationalistes flamands d’éclipser Bruxelles. Mais elle lance aussi un avertissement : en matière de chômage et d’immigration, les différences de vision entre le nord et le sud du pays sont devenues intenables.

C’était le 11 juillet dernier, jour de la fête nationale flamande. Le discours du président du parlement flamand, Jan Peumans, une des pointures de la N-VA, était brusquement interrompu par une voix féminine venue du fond de la salle. « Cela suffit ! Vous salissez la réputation des Flamands avec votre nationalisme ! »

L’impudente qui osait troubler la cérémonie officielle ? Els Ampe, chef de groupe Open VLD au parlement bruxellois. Ostendaise d’origine, elle a débarqué dans la capitale pour entreprendre des études d’ingénieur en construction à la Vrije Universiteit Brussel (VUB). Elle n’en est plus repartie depuis lors. A 31 ans, elle exerce son deuxième mandat comme députée bruxelloise.

Le Vif/L’Express : Qu’est-ce qui vous a poussée à interrompre le discours de Jan Peumans, le 11 juillet ?

Els Ampe : Ce jour-là, Jan Peumans s’est comporté comme s’il était à la tribune d’un meeting de la N-VA, alors que la cérémonie du 11-Juillet aurait dû être festive, rassembleuse. S’il avait simplement demandé plus d’autonomie pour la Flandre, je ne l’aurais pas interrompu, car c’est là la position de tous les partis flamands. Mais, quand il a évoqué la nécessité pour la Flandre de se constituer en Etat-nation, il est clairement sorti de son rôle de président du parlement. Il y a une deuxième chose qui m’a choquée. Dans son discours, Jan Peumans a oublié Bruxelles. Enfin, oublié… En relisant son discours, j’ai bien vu qu’il défendait explicitement une Belgique bipolaire, articulée autour de deux Communautés, et non pas fondée sur trois Régions (Flandre, Wallonie, Bruxelles). Il nie tout simplement l’existence de la Région bruxelloise. Là aussi, il a parlé en tant que membre de la N-VA, et non comme président du parlement. Car cette idée d’une Belgique bipolaire n’est défendue ni par l’Open VLD, ni par Groen !, ni même par le SP.A.

Cette passe d’armes du 11 Juillet annonçait déjà l’un des enjeux centraux des négociations actuelles : quelle place pour Bruxelles dans la future Belgique (con)fédérale ? La tournure que prennent les négociations montre que j’avais bien saisi le projet de Jan Peumans et de la N-VA, et que j’avais bien toute ma tête le 11 Juillet – contrairement à ce qu’a laissé entendre un journaliste de Radio 1, selon lequel j’aurais divagué à cause de la chaleur. Ce qui m’a aussi fâchée, c’est que Jan Peumans a critiqué l’historien Marc Reynebeau. Au nom de quoi s’arroge-t-il le droit d’indiquer qui sont les bons et les mauvais historiens ? La N-VA procède toujours de cette façon : distinguer les bons et les mauvais Flamands. C’est une rhétorique de guerre, ça. Moi, je pense que tous les Flamands sont de bons Flamands.

Il est devenu rare, en Flandre, d’entendre des critiques aussi frontales à l’égard des nationalistes.
Personne n’ose mettre en cause un parti qui a gagné. Même mes collègues de l’Open VLD hésitent désormais à critiquer la N-VA. Cela dit, je comprends les raisons du succès de la N-VA. Les gens ont cette impression que la Flandre n’offre que des avantages et la Belgique que des inconvénients. La N-VA et le CD&V ont propagé cette idée. Il règne en Flandre un mécontentement énorme, sur deux sujets en particulier. Le premier concerne la politique migratoire. Sur les marchés, en Flandre, vous entendez sans cesse la même plainte : l’immigration menace notre sécurité sociale. Les Flamands ne sont pas racistes, ils n’ont rien contre les immigrés, mais ils veulent une gestion de l’immigration semblable à celle des Etats-Unis. Tout le monde est le bienvenu, mais à condition de travailler, de subvenir à ses besoins. Le deuxième sujet de mécontentement, c’est le chômage. La Flandre est beaucoup plus sévère avec les chômeurs de longue durée que la Wallonie et Bruxelles. Les Flamands veulent bien être solidaires avec ceux qui ont perdu leur emploi, mais ils en ont marre de payer pendant des années pour des gens qui ne cherchent pas de boulot. Sur ces deux dossiers, l’immigration et le chômage, les différences entre le nord et le sud du pays sont profondes. Les visions sont trop divergentes pour que ces dossiers restent gérés au niveau fédéral. Il faut donc régionaliser ces compétences-là. Voilà le débat qui doit se tenir maintenant !

Permettre une gestion différente des allocations de chômage entre le nord et le sud du pays, ne serait-ce pas toucher à la sécurité sociale, et détruire l’un des socles de la Belgique fédérale ?
Non ! Ceux qui détruisent la Belgique, ce sont tous ceux qui maintiennent ce tabou, comme Joëlle Milquet. Ce sont eux les ennemis de la Belgique. Les Flamands se sentent volés par la Belgique. Il faut changer ça ! Et pour cela, je ne vois qu’un seul moyen, même si on touche là à un tabou : permettre aux Flamands et aux Wallons de développer leurs propres politiques en matière de migration et de chômage. Tout le reste peut rester à l’échelon fédéral. Régionaliser l’impôt des sociétés, comme le veut la N-VA, c’est complètement absurde. Pareil pour les allocations familiales, les affaires intérieures, la santé ou le Code de la route. Ce serait débile d’enlever ces matières-là du fédéral.

Faudrait-il confier les nouvelles compétences aux deux Communautés (flamande et française) ou aux trois Régions (Flandre, Wallonie, Bruxelles) ?
Aux Régions ! Résumer la Belgique à deux grandes communautés, qui « cogéreraient » Bruxelles, c’est une idée folle. Un peu comme si la province d’Anvers et celle du Limbourg décidaient d’administrer ensemble le Brabant flamand… Aucun Bruxellois ne voudra être cogéré par Namur et Anvers. En politique, il faut des principes, et ils doivent s’appliquer partout. Les Flamands défendent le principe de territorialité ? Eh bien, ils doivent l’appliquer à Bruxelles. Car Bruxelles n’est ni francophone ni flamande.

Si on suit votre logique, il faudrait carrément supprimer les Communautés…

Non. Je ne demande pas la suppression des Communautés, je demande qu’on cesse d’élargir leurs compétences. Toutes les matières qu’on enlèvera à l’avenir à l’Etat fédéral doivent aller aux Régions.

Le refinancement de Bruxelles, réclamé par les partis francophones, est-il pour vous prioritaire ?

Oui. Bruxelles aurait besoin d’un grand réseau de métro. Avec l’argent aujourd’hui disponible, ce n’est pas possible. Idéalement, il faudrait doubler le réseau actuel, pour qu’il atteigne Grand-Bigard, Vilvorde, Zaventem… Le métro pourrait devenir une alternative efficace et rapide à la voiture. 350 000 navetteurs, dont 250 000 Flamands, font chaque jour l’aller-retour vers Bruxelles. Pour eux aussi, c’est important d’élargir le réseau de métro. L’autre priorité, c’est diminuer la pression fiscale sur les entreprises implantées à Bruxelles. Les taxes qu’elles doivent payer sont beaucoup plus élevées qu’en Région flamande. Du coup, de plus en plus d’entreprises fuient vers Diegem, vers Wemmel… Si on veut résoudre le problème d’emploi à Bruxelles, il faut changer ça. Mais pour compenser la perte de revenus liés à la fiscalité sur les entreprises, Bruxelles a besoin d’argent.

Combien d’argent ? Le ministre-président bruxellois Charles Picqué (PS) parle de 500 millions d’euros par an.
Si on veut résoudre les problèmes de mobilité, et faire baisser le chômage en diminuant la pression fiscale sur les entreprises, 500 millions, cela ne me semble pas de trop.

François Brabant

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