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Élections communales 2018: en Flandre, la haine est partout

Walter Pauli
Walter Pauli Walter Pauli est journaliste au Knack.

On a reproché un jour aux politiciens du nord du pays d’être coincés dans l’argile flamande. Aujourd’hui, ils se traînent mutuellement dans la boue, multiplient les attaques ad hominem, mènent un débat truffé de grossièretés et de brutalités où fusent les reproches et les insinuations – voir pire.

On ne peut plus le nier: à quelques semaines des élections communales du 14 octobre, la politique flamande est surchauffée, et particulièrement dans la plus grande ville de Flandre, à Anvers. Peeters insiste depuis quelque temps sur la « normalisation » de la situation à Anvers, mais De Wever ne cache pas qu’il ne veut pas de duel courtois. Le président de la N-VA refuse de considérer Peeters comme un adversaire « normal ».

Élections communales 2018: en Flandre, la haine est partout
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C’est apparu une nouvelle fois, il y a 10 jours, quand De Wever a lancé une nouvelle attaque contre Peeters dans le quotidien Gazet van Antwerpen : « Je ne fais absolument pas confiance à Peeters ». Ce mardi, il a ajouté que l’entourage de Kris Peeters était « très à gauche ». Il a rarement été aussi clair, dur, et impitoyable au sujet de son opposant. Le bourgmestre anversois explique à ‘l’électeur anversois que pour lui Peeters n’a pas à participer aux élections. Pourquoi ? D’après De Wever parce que Peeters ne vend pas sa villa à Puurs. Le président de la N-VA considère l’appartement anversois de son adversaire comme un pied-à-terre électoral, et non comme une habitation à part entière. « En tant qu’Anversois, je n’ai pas à accepter ça. »

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C’est un débat étonnant dans une ville où tous les ténors viennent d’ailleurs. Bart De Wever vient de Mortsel, Tom Meeuws (SP.A) de Roulers, Filip Dewinter (VB) de Bruges, Wouter Van Besien (Groen) de Haacht, et Philippe De Backer (Open VLD) de Kapellen. Seul le président du PVDA, Peter Mertens, est né et a grandi à Anvers. Effectivement, Kris Peeters possède un logement à Puurs. Tout comme Annemie Turtelboom était tête de liste Open VLD il y a six ans, et a déménagé de Puurs à Anvers, sans vendre sa maison pour autant. Dans le cas de Turtelboom, on n’en a à peine discuté. Tout comme personne – pas même la N-VA bruxelloise – ne s’est jamais demandé tout haut ce que Didier Reynders (MR) a fait de son immobilier quand il a déménagé de Liège à Uccle en 2012, pour pouvoir faire de la politique à Bruxelles. Manifestement, les moeurs ont fondamentalement changé entre 2012 et 2018.

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Moralement supérieur

Dans le passé, les attaques ad hominem étaient contraires à l’esprit belge et à la bonhomie flamande. Cependant, ces dernières années elles sont monnaie courante en politique. La N-VA donne le ton, mais d’autres partis participent activement au pugilat. L’opposition de gauche ne s’en sort pas toujours impunément non plus. Le PVDA a placé la lutte contre la « culture des grappilleurs » en haut de l’agenda politique. Ces critiques ne sont pas formulées en termes généraux, tels que « les parlementaires ont une plus belle pension que la plupart des habitants de ce pays ». Parfois, elles deviennent incontestablement personnelles. Le mois dernier, le PVDA louvaniste écrivait encore à propos de Louis Tobback (sp.a): « La politique des grappilleurs. Le Moniteur nous apprend que le bourgmestre Louis Tobback a encore relevé le nombre de mandats payés de 8 à 10. Alors que les logements sociaux manquent et que la pauvreté infantile a doublé en dix ans, c’est une claque. » Les politiciens voleurs : pour ce discours, il y a depuis la naissance de la démocratie un grand public, de chaque côté du spectre politique.

Bart De Wever assène des gifles, mais il doit aussi en encaisser. Il ne s’attendait pas à ce que Philippe De Backer, la nouvelle tête liste anversoise libérale, se mettrait en avant en affirmant que De Wever est « émotionnellement inapte » à être bourgmestre d’Anvers. Là aussi, on déplace la limite du politique au personnel, de la politique du politicien à son caractère. On peut corriger une politique, un caractère beaucoup moins, ce qui rend le jugement très définitif : « Il n’en est pas capable. » Et cela de la part d’un partenaire de coalition de la N-VA satisfait à première vue, à Anvers, mais aussi au gouvernement flamand et fédéral.

Monnaie courante

C’est donc la guerre ouverte entre la N-VA et le reste du monde. Cette guerre a commencé quand le site d’informations Apache a filmé la moitié du collège d’échevins, le bourgmestre Bart De Wever compris, à la fête d’anniversaire de son ami agent immobilier, Erik Van Der Paal. Également présents : une série d’avocats d’affaires et des lobbyistes du PS. Les images suggéraient une belle connivence entre tous les invités. De Wever a dû se justifier, selon ses dires d’avoir bu un Coca Zéro. Les images du bourgmestre d’Anvers la larme à l’oeil ont fait le tour du pays. Mais la lutte est devenue encore plus hargneuse, la discussion encore plus personnelle. Il y a longtemps qu’il ne s’agit plus de quelques jeunes imbéciles d’Ecolo qui ont affublé Theo Francken (N-VA) d’un casque allemand pour le dépeindre comme le nouveau nazi. Quels followers Twiiter et amis Facebook demandent encore des comptes aux auteurs de ces images ? Cela ne semble déranger personne, à une époque où les attaques personnelles sont monnaie courante dans le débat politique.

Élections communales 2018: en Flandre, la haine est partout
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« Je suis étonné aussi », déclare Fons Van Dyck, une autorité en communication stratégique et à la tête du bureau de marketing Think/BBDO. « Pour voir une situation similaire à celle d’aujourd’hui, je dois revenir à l’époque d’avant ma naissance. Les politiciens ne se considèrent plus comme des opposants, mais comme des ennemis. Du coup, il devient légitime d’attaquer ad hominem. »

« Le privé n’existe plus en politique. Les politiciens sont devenus des personnes, et donc les faits personnels deviennent politiques. C’est de là aussi que vient la recherche d’antécédents de leur passé. Ont-ils toujours été intègres ? Regardez l’Espagne, où les doctorats de ministres importants sont analysés des années après leur publication, et où l’on épluche si certains paragraphes n’ont pas été plagiés. »

La situation ne se limite pas à une opinion publique de plus en plus agressive ni à une culture politique où les politiciens tentent de s’atteindre personnellement. « Quand on incendie un véhicule de la N-VA à Louvain, je dois remonter loin pour trouver des images comparables. Cela date des années cinquante et soixante, l’époque de la question royale, la guerre scolaire, ou les querelles communautaires telles que la frontière linguistique, Leuven Vlaams et les Fourons. »

« Il ne s’agit pas que d’une accumulation de faits divers. Un tel échauffement du comportement politique intervient généralement en cas de glissement des rapports de pouvoir politiques. Généralement, cet état dure tant qu’il n’est pas clair de qui l’emporte et continuera à l’emporter. C’est ce qui se passe dans ce pays, avec l’enchaînement rapide des élections communales du 14 octobre et les élections régionales, fédérales et européennes en mai 2019. « 

L’arroseur arrosé

La N-VA porte une responsabilité considérable dans la détérioration du débat, mais le parti n’est pas seul, loin de là. Ainsi, début septembre, De Wever a accusé les autres partis anversois d’être sur le point d’être infiltrés par la maffia de la cocaïne. Une accusation loin d’être anodine. Une semaine plus tard, on apprenait que juste après les déclarations de Bart De Wever un certain Rediart Cankja avait été arrêté à la frontière française à bord d’une voiture contenant trois kilos d’héroïne. Cankja, qui en tant qu’interprète travaillait pour la Justice et la police, était candidat aux élections communales pour le CD&V à Anvers et dans le district Ekeren. Kris Peeters a admis que les mots de Bart De Wever « s’étaient révélés prophétiques ». Ses mots recelaient une double signification : les prédicateurs et les voyants sont généralement des charlatans. De Wever a nié être au courant de l’enquête sur le chrétien-démocrate flamand et jusqu’à présent, personne n’a pu prouver le contraire. Mais il y a de la méfiance, et de l’agacement aussi. Après les accusations de Bart De Wever à l’égard des autres partis anversois, le président du sp.a John Crombez a sorti une réplique. Lui aussi a opté pour le registre personnel en parlant de politiciens N-VA atteints d’un problème de drogue. À VTM, il spécifiait qu' »au sein de la N-VA anversoise il y a certainement deux personnes qui ont des liens très étroits avec le milieu de la cocaïne ». En même temps, Crombez exigeait que la N-VA révèle ces noms : « je veux de la transparence. Practice what you preach. » Avant d’ajouter sur Twitter: « Entre-temps, tous les échevins anversois et ministres peuvent céder un échantillon de cheveux pour analyse 😉 » Il est probable que le smiley indique une blague.

Le reportage Pano consacré à Schild & Vrienden a donné un élan supplémentaire à cette campagne électorale. L’affiliation de nombreux membres du club à la N-VA a terni l’image du parti. Jusqu’à présent, Bart De Wever était fier de son parti parce qu’il est l’interprète politique d’un nationalisme flamand propre, légitime et démocratique, et contraire au nationalisme non démocratique et raciste du VB. Depuis que Pano a dévoilé la réalité derrière Schild & Vrienden, cette assertion n’est plus tenable – ou du moins pas aussi catégoriquement qu’autrefois. Du coup, la N-VA est en train de perdre un de ses plus grands atouts. De Wever avait réussi à défaire la gauche de son aura de « supériorité morale » : dans de nombreux milieux flamands, « socialiste », « progressif » ou « Gutmensch » étaient redevenus des insultes, ou du moins des termes à connotation immédiatement négative. En continuant à chérir Schild & Vrienden, la N-VA devient l’énième parti à la frange pour le moins douteuse.

Le véritable enjeu

Finalement, c’est de cela qu’il s’agit aux prochaines élections: de l’existence même d’un modèle politique. Du PVDA-PTB au VB, ils luttent pour leur existence politique, leur survie. La N-VA veut survivre comme parti principal de Flandre, mais ce n’est possible qu’à condition que le CD&V soit définitivement battu. Et que restera-t-il de la socio-démocratie classique, le sp.a ? Il n’ s’agit plus d’un glissement de pourcentages ou de sièges, mais de la survie de partis et d’une culture politique. Fons Van Dyck: « C’est justement parce qu’aujourd’hui la politique est une lutte existentielle, le débat entre sous la peau de politiciens impliqués. C’est la raison aussi de toutes ces émotions. L’un lutte pour garder la tête hors de l’eau, l’autre pour ne pas être poussé vers le fond. C’est quelque chose de très intense. »

D’où la campagne dure. Noël Slangen, ancien conseiller en communication pour les socialistes, chrétiens-démocrates, et libéraux, craint même « la campagne la plus sale qu’il n’y ait jamais eue ». D’autres experts parlent d’une campagne « Trumpienne » ou évoquent une situation « à l’américaine ». Quoi qu’il en soit, il ne s’agit pas que d’une série de tweets douteux ou d’une déclaration fourbe. Comme le confiait un ténor politique à Knack : « Cela laisse des traces. » La campagne précédente s’était déroulée de manière assez correcte. Après une formation gouvernementale finalement assez facile, le pays s’est retrouvé malgré tout avec un cabinet de la dispute, et une politique parfois défaillante. Et vu la rhétorique guerrière d’aujourd’hui, le pire semble encore à venir.

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