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Elections 2014: tout le pouvoir aux partis ou à l’électeur ?

Le Vif

Supprimer le vote en case de tête et la liste des suppléants : ces projets de réforme du système électoral se bousculent au nom d’une « transparence » un poil hypocrite. Mais l’évolution est inéluctable.

L’autonomie constitutive lui va si bien, à la Région de Bruxelles-Capitale. Depuis le 1er janvier en effet, en application de la 6e réforme de l’Etat, la Région peut s’organiser comme elle l’entend, et cette faculté nouvelle suscite bien des initiatives. Après le forcing d’Ecolo pour obtenir, comme au parlement wallon, la limitation des cumuls entre Région et commune, voici que c’est au tour du FDF de mettre la pression et de déposer une double proposition d’ordonnance visant à supprimer, dès maintenant, et donc déjà pour les élections du 25 mai, les listes de suppléants ainsi que le vote en case de tête. Cela risque d’être chaud au parlement bruxellois… Le FDF a en effet surenchéri sur les propositions du CDH portant sur les mêmes modifications, mais à une échéance plus lointaine. Et le MR a bondi, revendiquant la paternité de l’idée, également défendue depuis longtemps par l’Open VLD.

Le poids des partis

Tous partagent les mêmes justifications : il s’agit de « rendre la démocratie plus lisible », de « réduire le poids des partis », de « renforcer le rôle de l’électeur ». C’est déjà dans cet état d’esprit que, depuis les élections de 2003, l’effet dévolutif de la case de tête a été divisé par deux : seule la moitié des suffrages exprimés en tête de liste sont désormais reportés, en cascade, sur les premiers candidats. Si cet effet est complètement supprimé, les élus seront ceux qui auront fait le plus de voix de préférence. Et avec la suppression de la liste distincte des suppléants, les élus seraient, en cas de décès ou d’entrée dans un gouvernement, remplacés par les candidats non élus les mieux classés, toujours en fonction du nombre de voix de préférence. Comme dans les communes et au parlement de la Communauté germanophone.

Il faut bien admettre que notre système électoral a beaucoup été abusé ces dernières années, avec la multiplication de candidats qui se présentaient à une élection tout en sachant qu’ils ne siégeraient pas et que leur mandat serait réservé à un suppléant soigneusement sélectionné par le parti (le report du « pot » des votes en tête de liste est déterminant pour le classement des suppléants). Ce sont les candidats-fantômes, les vedettes qui de scrutin en scrutin occupent les avant-postes, et se font successivement élire à la commune, à la Région, et au fédéral ou à l’Europe, jusqu’à ce que le carrousel recommence, et qui peuvent se permettre de décider dans quelle assemblée ils iront user leur fond de culotte. Les élections de mai prochain vont un peu nettoyer ce terrain malsain : dorénavant en effet, les élections régionales, fédérales et européennes seront organisées à la même date, avec interdiction de se présenter à différents niveaux, et obligation de siéger là où on a été élu. Elio Di Rupo, en se présentant à la Chambre, est bien obligé de renoncer cette fois au parlement wallon où il ne pourra donc pas envoyer de suppléant. Rudy Demotte, en se présentant au parlement wallon, ne pourra plus se présenter à la Chambre où il ne devra donc pas être remplacé.

Un fédéralisme mûr ?

Les différents parlements compteront donc moins de députés suppléants. Ils sont 21 sur 75 à Namur (dont 14 sur 29 au PS !), 15 sur 89 au parlement bruxellois ou encore 22 sur 62 dans le groupe francophone de la Chambre.

Il est d’ailleurs étonnant qu’on ait pu laisser s’installer une telle dérive. Lorsque les élections régionales et fédérales ont été pour la première fois découplées (fédérales en 2003 et régionales en 2004), tout le monde a salué la maturité de la nouvelle Belgique fédérale. C’était oublier un peu vite les stratégies partisanes : aux élections fédérales de 2003, la toute grande majorité des ministres et chefs de files régionaux, en Flandre, à Bruxelles comme en Wallonie, se sont présentés à l’électeur. Et en 2010, tous les membres des gouvernements wallon, bruxellois et flamand, à de rares exceptions, figuraient sur les listes fédérales. C’était une tromperie, une mystification de l’électeur, une démocratie en trompe-l’oeil, d’autant que de nombreux députés régionaux étaient également candidats.

« Toutes ces propositions législatives vont dans le sens de l’évolution récente, qui veut donner plus de poids à la prise de décision directe du citoyen, explique Jean-Benoît Pilet, politologue à l’ULB et spécialiste des systèmes électoraux : la possibilité de voter pour plusieurs candidats de la même liste, la division par deux de l’effet dévolutif de la case de tête, l’élection directe du bourgmestre en Wallonie… Depuis les années 1990, les voix de préférence prennent de plus en plus d’importance, et cela va s’accélérer : les gens qui vont légiférer sur ces questions sont en effet ceux qui fonctionnent bien dans ce système, qui ont bénéficié de l’accroissement du poids de l’électeur, et n’ont donc aucune raison de changer de cap. »

Télé, sports, syndicats Il y a toutefois des risques d’effets pervers, souligne-t-il, notamment la personnalisation des candidats et la recherche de faiseurs de voix potentiels issus de la télé, du petit monde sportif ou encore – c’est le must pour 2014 ! – des syndicats. On assistera également à une modification des comportements personnels. Si les votes nominatifs sont les seuls à être pris en compte, la compétition va s’installer au sein même des listes, au détriment d’un esprit d’équipe. La mise en valeur de sa petite personne plutôt que la discipline de parti. La relation aux questions locales, sous-régionales, et non la gestion de dossiers d’intérêt général.

Finalement, cette réforme risque d’aboutir au contraire de ce que prétendent vouloir ses promoteurs, qui visent, disent-ils, la diminution du dirigisme des instances des partis. Car si Olivier Maroy ou Claude Rolin sont élus (ce qui ne fait mathématiquement guère de doute), ce ne sera pas sur la base de leurs compétences en politique (nulles à ce stade évidemment) mais bien grâce au choix des présidents de partis qui les ont démarchés.

« Actuellement, les partis jouent la carte de la pipolisation, poursuit Jean-Benoît Pilet, mais ils se réservent néanmoins une marge de manoeuvre pour placer des candidats très compétents, même s’ils sont peu populaires. » Pour reprendre la célèbre expression de Louis Tobback, le bourgmestre S. PA de Louvain, « vous choisissez la couleur de la maison, et moi je choisis les peintres ». En Italie, en Espagne ou au Portugal, les listes sont fermées, ce qui veut dire que si le parti X emporte trois sièges, ils iront aux trois premiers. « Veut-on des représentants, ou des partis et des programmes ? »

La liste fermée et les suppléances, intimement liées, permettent un renouvellement des candidats, de nouvelles personnes qui pourront ainsi s’installer et émerger. Herman Van Rompuy par exemple a pu siéger à plusieurs reprises grâce à des suppléances. « Le système permet aussi aux partis de tendre vers un équilibre géographique dans la circonscription, ou entre les différents courants internes, souligne Jean-Benoît Pilet. La suppression de la case de tête diminuerait en outre les chances des femmes, mais aussi des plus jeunes, de tous ceux qui n’ont pas de notoriété locale ou qui n’ont pas construit leur espace électoral, comme l’ont fait les communautés turque ou marocaine. Mais l’évolution actuelle est inéluctable. »

Par Michel Delwiche

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