Jorge Lübbert © Capture d'écran

El Color del Camaleon: Le lourd secret de Jorge Lübbert

Muriel Lefevre

Dressé pour être une machine à tuer sous le régime de Pinochet, il réussit à s’enfuir avant de refaire sa vie à Louvain. Il se marie, devient cameraman de guerre, a deux enfants sans que personne, ou presque, ne sache rien de son passé. Jusqu’à ce que son fils déterre le secret de famille.

Dans son documentaire, El Color del Camaleon, Andrés Lübbert raconte ce long voyage entre passé enfui et quête initiatique qui a permis aux deux hommes de se retrouver. Apportant, au passage, un peu de paix à chacun.

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La quête d’ Andrés Lübbert dans les méandres du passé de son père aura englouti douze ans de sa vie. Il voulait comprendre ce père si souvent parti. Ce père au comportement étrange et qui semblait chercher le danger en partant filmer les territoires en guerre. Un père que sa si importante part d’ombre rendait insomniaque et dépendant. « J’ai été comme obsédé par son passé » dit Andrés dans le Standaard. « Je voulais tout savoir, les détails les plus horribles, chaque souvenir pénible. Je devais le faire. Chemin faisant, je me suis aperçu que cette quête était aussi une recherche de mon identité. Tout ce que je suis devenu, je le dois à mon père. »

Une machine à tuer

Jorge Lübbert a à peine fini ses études de dessinateur industriel, qu’il est enrôlé comme agent secret par l’entremise d’un voisin. Lors de sa formation basée sur des techniques tout droit sorties d’Orange mécanique, on va régulièrement l’enlever, le torturer et lui passer en boucle des images les plus brutales. On va aussi lui montrer des corps de personnes exécutées. Le but ? Briser toute humanité en lui, en faire une machine à tuer sans âmes et sans scrupules. Mais avant que sa formation ne soit terminée, il réussit à fuir vers Berlin avant de rejoindre la Belgique un an plus tard.

« Lorsque j’étais jeune, j’ai longtemps cru que mon père était un opposant politique qui avait dû fuir la dictature. C’est mon oncle qui m’a appris la vérité. Quelques années plus tard c’est encore lui qui m’a donné les retranscriptions des séances que mon père avait eu avec Jorge Barudy, un thérapeute en Belgique qui aidait les réfugiés chiliens » dit Andrès.

Dans De Morgen, Andrés Lübbert lit un extrait de ces documents qui datent de 1979. Son père y évoque son entraînement si particulier. « Je ne vais pas dire ce que l’on m’a fait. Par contre je peux vous dire que l’homme est un animal. L’entraînement que l’on m’a donné visait à détruire tout ce qu’il y avait d’humain en nous et notre personnalité propre. J’ai connu des prisons secrètes, des prisonniers rendus fous, parmi lesquels des anciens militaires. Ma vie était devenue un enfer. » Jorge avait alors 22 ans.

Sonné par ces révélations, Andrés décide de confronter son père lors d’un trajet en voiture. Coincé par l’habitacle, il était bien obligé d’écouter. « Il s’est complètement fermé. J’ai alors compris combien tout cela le touchait encore »

« Si je n’ai jamais rien dit à mes enfants, c’est parce que se taire et oublier me semblait la meilleure stratégie de survie. Ma femme n’était pas cet avis et elle avait raison, mais je n’étais tout simplement pas prêt. » précise Jorge dans De Standaard.

Il faudra attendre 2013 pour que Jorge accepte de retourner au Chili avec son fils. Il y avait alors tout juste quarante ans, la dictature de Pinochet s’installait au Chili. Celle-ci a provoqué une fracture profonde dans la société au Chili et reposait en grande partie sur la terreur qu’inspiraient les services secrets. De nombreux Chiliens furent arrêtés, brisés ou disparurent.

Malgré les nombreuses conversations, Jorge dit dans le Standaard que son fils ne sait pas encore tout. « Ils ont réveillé la bête qui est en moi. Certaines choses sont trop graves pour être dites, trop intimes. » Andrés dit pourtant qu’il a la preuve que son père n’a jamais tué personne. Il s’est enfui à temps. C’est d’ailleurs pour lui l’un des messages les plus importants de son documentaire : « Mon père a prouvé qu’il est possible de combattre le système. »

Au Chili, le sujet reste sensible et divise le pays. Certains tortionnaires n’ont jamais été poursuivis. Comme le voisin enrôleur qui s’est révélé être l’un des gardes du corps de Pinochet et qui deviendra plus tard le chef des troupes commandos.

Le documentaire El Color del Camaleon sera diffusé à partir du 7 mars dans divers cinémas.

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