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Egypte: 5 choses à savoir sur le coup d’éclat du président Morsi

Le président égyptien Mohamed Morsi apparait lundi en position de force après avoir écarté le puissant chef de l’armée, le maréchal Tantaoui, et annulé les larges prérogatives politiques dont bénéficiaient les militaires. Explications.

En annulant des dispositions qui accordaient de vastes pouvoirs à l’armée et en écartant le maréchal Tantaoui, le très puissant ministre de la Défense, le président Mohamed Morsi rebat une nouvelle fois les cartes politiques en Egypte, 18 mois après la chute de l’ancien président Hosni Moubarak.

Un nouveau rebondissement dans le désordre constitutionnel égyptien Rappel des précédents épisodes du feuilleton constitutionnel égyptien: les premières élections législatives libres de l’histoire de l’Egypte de l’hiver 2011-2012, largement remportées par les Frères musulmans (47% des voix) et les partis salafistes (24%), ont été invalidées en juin par la Haute cour constitutionnelle, dont la plupart des membres ont été nommés à l’époque de Moubarak. L’armée a alors dissous le parlement et, par le biais d’une « déclaration constitutionnelle », publiée à la veille du second tout de l’élection présidentielle, le 17 juin, s’est arrogée le pouvoir législatif.

Dans le même temps, le Conseil suprême des forces armées (CSFA) a dissous l’Assemblée constituante élue par les parlementaires (mais suspendue au mois d’avril). Les Egyptiens ont donc voté pour élire un président sans savoir quelles seraient ses attributions. S’en sont suivies plusieurs passes d’armes entre le président élu Mohamed Morsi et l’establishment issu de l’ancien régime: une fois investi, le 30 juin, le chef de l’Etat a annulé, le 9 juillet, la dissolution du parlement, décision aussitôt suspendue par la Haute cour constitutionnelle. Morsi remporte donc cette dernière manche avec l’annulation de la « déclaration constitutionnelle » qui accordait les pouvoirs à l’armée.

Le timing: après les critiques portées à l’armée sur la gestion du Sinaï Ce coup de théâtre politique survient alors que l’Egypte fait face à une grave crise dans le Sinaï, où 16 gardes-frontières ont été tués le 5 août près de la frontière avec Israël et Gaza. L’armée est depuis engagée dans une offensive d’envergure pour reprendre le contrôle de ce vaste territoire où elle est confrontée à des « éléments terroristes » accusés d’avoir mené ou soutenu l’attaque.

Les résultats de cette reprise en main sont mitigés. Des témoins sur place se disent sceptiques sur la réalité des « succès » revendiqués par les forces de sécurité dans la région. Le prestige de l’armée qui n’est pas parvenue à maintenir la sécurité dans le Sinaï est donc écorné.

Morsi reprend la main dans le cadre du bras de fer historique Armée/Frères musulmans

Depuis son investiture, le 30 juin, Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans, et premier civil à accéder à la magistrature suprême, a alterné compromis et bras de fer avec l’armée pour tenter de s’imposer. En annulant, dimanche 12 août, les dispositions qui accordent de vastes pouvoirs à l’armée et en écartant les principaux dirigeants de l’armée, en poste depuis l’ère Moubarak, le président revient sur une situation ou l’armée détenaient, de fait quasiment tous les pouvoirs.

Outre le pouvoir législatif, les généraux gardaient un droit de veto sur toute nouvelle loi ou mesure budgétaire et se réservaient aussi un droit de regard sur la rédaction de la future Constitution. La décision du président Morsi a au moins le mérite de briser cette situation de blocage… et inverse la donne. Avec sa propre « déclaration constitutionnelle », dimanche, Mohamed Morsi récupère le pouvoir législatif et s’octroie le droit, si l’actuelle commission constituante ne peut « achever son travail », d’en former une nouvelle « représentant toutes les composantes de la société égyptienne ».

Ce que cela change pour l’armée

La mise à l’écart de plusieurs hauts gradés de l’armée égyptienne est une relative surprise, mais, se défend le président, elle n’a pas eu lieu sans que l’institution militaire en soit informée. Dans la soirée de dimanche, Mohamed Morsi s’est défendu de vouloir « marginaliser » l’armée, invoquant la nécessité d’injecter « du sang neuf longtemps attendu ». Les militaires qui sont de fait aux affaires depuis le départ de Moubarak en février 2011, se sont largement disqualifiés par leur gestion hasardeuse de la transition et ont perdu une bonne part du soutien populaire ils bénéficiaient au début du soulèvement contre l’ancien régime. L’armée est responsable, pour nombre d’observateurs, du chaos institutionnel actuel, et de la profonde instabilité qui en résulte. C’est pourquoi « Il n’est pas impossible qu’existe, parmi les officiers, un courant qui voulait en finir avec Tantaoui, un représentant de l’ancien régime et de sa corruption et qui cherche à trouver un nouvel équilibre entre l’armée et le pouvoir civil « , relève Alain Gresh, auteur du blog Nouvelles d’Orient.

Pour l’analyste égyptien Issandr el Amrani, les annonces de dimanche sont plus une reconfiguration de la relation entre les Frères musulmans et l’armée qu’une marginalisation des militaires. « Le départ de Tantaoui, âgé et devenu très impopulaire, était inévitable », relève l’analyste. Si l’incertitude provoquée par ce « séisme » est suivie de très près en Israël, elle ne semble pas inquiéter outre mesure les États-Unis. « Il s’agit d’un changement générationnel », analyse le Washington Post qui souligne que le général bdel Fattah Al-Sissi est bien connu aux États-Unis où il a été en partie formé.

Une décision assez largement saluée

La presse égyptienne juge ce lundi « révolutionnaire » la reprise en main du pouvoir par le président « Morsi met fin au pouvoir du CSFA », écrit Al-Chorouq (indépendant). Le journal observe que les mesures constitutionnelles annoncées, notamment la prise du pouvoir législatif par le président qui détient déjà l’exécutif, lui donnent « des prérogatives plus importantes que celles de Moubarak ». Mais Morsi n’avait pas vraiment de solution de rechange, relève Issandr el Amrani qui souligne que ces pouvoirs exorbitants n’existent pour le moment que « sur le papier ».
« Les Frères officiellement au pouvoir », titre en revanche le journal indépendant al-Watan. Bien entendu, les partisans des forces armées sont moins enthousiastes. Un hebdomadaire proche des chefs du CSFA mis à l’écart, Al-Ousboua, dénonce « la dictature des Frères ».

La décision a également été saluée par une partie de la classe politique dont le candidat à la présidentielle Abdel-Moneim Abul-Fotouh et plusieurs activistes de la place Tahrir, rapporte le quotidien Ahram online. Quelles seront les prochaines orientations de Mohamed Morsi? La désignation du nouveau vice-président, Mahmoud Mekki, plaide pour le moment en sa faveur. Ce magistrat, connu pour son indépendance, a joué un rôle dans la fronde des juges en 2005 contre la fraude électorale pendant le scrutin présidentiel qui s’était terminé par une victoire écrasante de Hosni Moubarak. Ce choix pourrait d’ailleurs renforcer la position de Morsi face à l’appareil judiciaire, juge Issandr el Amrani qui espère que le président égyptien « fera usage de ses nouveaux pouvoirs avec sagesse ».

Par Catherine Gouëset

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