Guy Martin

« École publique en danger: le gouvernement de la Communauté française cède son enseignement »

Guy Martin Citoyen de la région liegeoise

Le Parlement de la Communauté, à la suite du pacte d’excellence, va discuter d’un décret historique pour son enseignement déposé le 13 novembre 2018 et pour lequel le Conseil d’Etat a rendu un avis en date du 19 décembre. Ne met-il pas l’école publique en danger ?

L’école publique c’est l’enseignement de la Communauté, des provinces, des villes et communes. Elle est organisée par un Pouvoir public. Ce Pouvoir public a des élus choisis par tous les citoyens et un exécutif constitué en collège ou gouvernement. Les élus contrôlent l’exécutif. Et ce dernier est responsable devant les élus. Le citoyen peut sanctionner les élus aux élections. Il y a, dans l’école publique, un lien fort entre le citoyen et l’école publique. L’école publique est un service public organique. Le propriétaire de l’école publique ? Ce sont, in fine, les citoyens. C’est ce lien fort qui est une garantie de l’intérêt général.

L’école privée, elle, n’a pas ce lien. C’est le cas par exemple de l’école catholique ou islamique. Même si la cour d’Arbitrage du 9 avril 2003 reconnaît l’enseignement catholique comme un service public fonctionnel, il est organisé et est la propriété d’une personne morale de droit privé.

PUBLIC ET PRIVÉ

Le fonctionnement de l’école publique n’est pas le même que celui de l’école privée.

Pour l’école publique le Pouvoir organisateur c’est le Conseil des élus, c’est-à-dire les représentants de tous les citoyens (Parlement de la Communauté, conseils provinciaux ou communaux). Ce Pouvoir organisateur délègue la gestion quotidienne à un exécutif. Ce sont les Conseils provinciaux, communaux ou le Parlement de la Communauté qui adoptent et modifient les règles organisant les écoles dans le respect des lois et décrets. Et ce sont les élus des Conseils ou du Parlement qui contrôlent l’exécutif. Et, insistons, les citoyens par leur vote sanctionnent les élus.

Pour l’école privée le Pouvoir organisateur c’est une Assemblée générale, comme dans une entreprise privée. Le citoyen n’a pas le pouvoir de sanctionner les membres de l’assemblée générale. Et l’exécutif, c’est un Conseil d’administration composé d’administrateurs choisis par l’assemblée générale, comme dans l’entreprise privée. Les modalités de fonctionnement pour la prise de décisions sont différentes entre l’école publique et l’école privée.

MODIFIER LE FONCTIONNEMENT DE TOUTE L’ÉCOLE PUBLIQUE

Or, dans la suite du pacte d’excellence, un « décret spécial » propose le transfert de l’enseignement de la Communauté à un organisme parastatal. Le Gouvernement se débarrasse de son enseignement. Ce décret spécial exige pour être adopté la majorité des 2/3. Ce projet voudrait modifier la modalité de fonctionnement de l’école publique de la Communauté et la rapprocher de celle de l’école privée.

Il s’agit ni plus ni moins, au nom d’un modèle de pilotage (séparer les fonctions de régulateur et d’organisateur). de transférer l’école publique de la Communauté dans un organisme (parastatal) créé certes par le parlement (donc public), mais qui n’est plus dirigé par le Gouvernement. Les décisions sont prises par un Conseil (article 5 du projet de décret) composé de seize administrateurs assisté d’un administrateur général décidant en totale autonomie… comme dans le privé ! Ces dispositions ne sont pas étrangères au plan de David Cameron pour l’école publique en 2010 en Angleterre. Le Gouvernement établit entre ce Conseil d’administration et lui un contrat de gestion (article 38 du projet de décret). Il s’agit d’un rapport contractuel quasiment identique à une délégation de l’Etat ou d’une entité fédérée à un partenaire privé pour une durée déterminée. Et le statut de ce personnel travaillant dans cet organisme devient un « parastatal ». Certes, le Gouvernement a des comptes à rendre au Parlement. Mais, ce n’est plus lui qui organise…

Cela aura trois conséquences. Tout d’abord une tendance à aligner le fonctionnement de l’école publique de la Communauté sur celui de l’école privée. Ensuite d’estomper la différence entre public et privé. Enfin, de distendre (jusqu’à l’inexistence) la relation entre l’école publique (qui l’est de moins en moins) et les représentants des citoyens. Car ce n’est plus le Gouvernement qui organiserait l’enseignement de la Communauté mais bien ce nouvel organisme créé.

À brève échéance, resteront publiques, c’est à dire dans son sens le plus fort sous l’autorité d’élus par tous les citoyens, les écoles organisées par les communes, villes et provinces. Mais, l’ambition n’est-t-elle pas, rapidement, d’intégrer dans ce nouvel organisme tous les réseaux d’enseignement officiel pour ainsi fusionner des écoles, rationaliser et économiser au sein de la seule école publique ?

DÉRESPONSABILISER LE POLITIQUE

Le risque est grand, par les temps qui courent – et le patron de la CGSP Joseph Thonon l’a bien compris en annonçant fin novembre (voir notamment Le Soir) que son organisation était prête à monter aux barricades – de voir l’école publique suivre le même chemin que la poste ou la téléphonie. Parastatal d’abord, puis société anonyme, puis introduite en bourse avec des actionnaires privés.

Cette relation distendue entre l’école publique et les représentants des citoyens ne sera pas sans conséquences. Il s’agit d’un processus de déresponsabilisation des mandataires publics.

La responsabilité de l’école publique risque de leur être retirée rapidement, au motif qu’ils ne s’impliquent plus et controlent peu de choses. Et il est probable, ne décidant plus de grand-chose, que les élus du peuple investissent moins encore dans l’école publique au profit d’autres activités pour lesquelles ils conservent un pouvoir d’initiative. La déresponsabilisation facilitera une dépossession.

PRIVATISER L’ÉCOLE PUBLIQUE

Après avoir regroupé tout l’enseignement officiel dans cet Organisme public aux fortes modalités de fonctionnement privé, il sera alors commode, arguant de cet état de fait, de dessaisir les pouvoirs publics de leurs responsabilités et, tant qu’à faire, puisque ceux-ci financent moins, de transformer l’enseignement public en une structure de droit privé comme la poste (préparée par le processus d’estompement privé/public) pour permettre à des capitaux privés de participer à cette école, la financer et ainsi de piloter. C’est, parmi de nombreux exemples, l’évolution qu’à connue l’Ecole de Formation de la Sureté Aérienne (l’EASTI) en dix années à peine.

Cette privatisation complète, au grand mépris des pères fondateurs de l’école publique au XIXe siècle qui défendaient un libéralisme politique (et non économique, il ne faut pas confondre), assurera une primauté des intérêts privés sur l’enseignement. Et, dans la dynamique actuelle dominée par le profit sans respect de l’être humain, ne peut-on raisonnablement affirmer que ce ne sera pas au bénéfice de la plupart des citoyens ? En Suède à titre d’exemple, malgré une législation stricte arrêtée dans ces matières, un réseau privé a fermé ses portes, jetant à la rue du jour au lendemain 11000 étudiants pour des raisons de profitabilité.

Oui, l’école publique a de la valeur. Mais faut-il en faciliter la vente ?

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