Georgi Verbeeck

Du modèle politique aux histoires bataves

L’origine de l’instabilité politique est tout autre en Belgique qu’aux Pays-Bas.

Ceux qui prennent le train de Liège à Maastricht, ou d’Anvers à Dordrecht, passent une frontière importante. Celle qui sépare le nord et le sud de l’Europe. Ce sont surtout les citoyens néerlandais qui sont friands de cette image valorisante. Les Pays-Bas se sont toujours glorifiés de faire partie des pays du nord de l’Europe, avec l’Allemagne et les pays scandinaves. Les points forts de cette communauté d’Etats s’appellent la tolérance et l’hospitalité, le progressisme culturel, les rapports sociaux stables et une gouvernance politique de haute qualité. À force de (vouloir) passer pour une nation exemplaire, les Pays-Bas se sont attribué le rôle de donneurs de leçons. Les Néerlandais se font un plaisir de chapitrer les autres. En pleine crise de la dette européenne, ils étaient ravis de compter parmi les meilleurs élèves de la classe.
Or la chute du cabinet Rutte a gravement affecté l’autosatisfaction que les Néerlandais ont cultivée avec autant d’entrain. Ce bel optimisme a présenté pour la première fois une fissure lors de la montée en puissance de Pim Fortuyn. Cette année, on célèbre le dixième anniversaire de la révolution Fortuyn qui a changé la face du pays. Un substrat populiste s’est hissé à la surface et s’est introduit durablement dans la vie politique. L’identité nationale, la culture autochtone et l’obligation d’intégration – autant de thèmes nationalistes qui renvoient aux moulins à vent, aux sabots et aux délicieux fromages – ont envahi l’agenda politique. L’euroscepticisme s’y est greffé avec véhémence.
Or cette situation complexe s’explique par la tradition néerlandaise du consensus qui consiste à ne pas écarter les nouveaux venants, mais, au contraire, à les associer au pouvoir (contrairement à ce qui se passe en Belgique). Ce furent d’abord les héritiers de Fortuyn, assassiné le 6 mai 2002, puis Wilders qui ont été accueillis dans le cockpit du pouvoir. Il s’en est suivi de fragiles coalitions condamnées à une brève existence. Un populisme de droite de plus en plus pressant a modifié radicalement la physionomie politique des Pays-Bas. Peu nombreux sont ceux qui parlent encore de « modèle néerlandais ». Même loin des frontières européennes, l’impuissance du centre politique néerlandais et les histoires bataves sont évoquées avec une bonne dose d’incrédulité et de frayeur.
L’origine de l’instabilité politique est tout autre en Belgique qu’aux Pays-Bas. En Belgique, celle-ci est enracinée dans la structure même de l’État et des relations communautaires. Aux Pays-Bas, elle découle d’un modèle de consensus qui vise à intégrer les pôles politiques opposés. Beaucoup plus qu’en Belgique, le populisme aux Pays-Bas s’est incrusté au c£ur de l’establishment.
Au cours de la dernière semaine d’avril, les Pays-Bas ont échappé de justesse à une grave crise politique. Après que Geert Wilders, qui soutenait le gouvernement Rutte de l’extérieur, lui eut retiré son soutien, un plan d’économies de grande ampleur a été approuvé avec l’appui de certains partis de l’opposition du centre gauche. La « politique raisonnable » proeuropéenne a triomphé du « populisme déraisonnable ». Même si Wilders semble être sur le retour, de l’avis général, le fond populiste coriace qui frappe la société néerlandaise ne disparaîtra pas de sitôt. Il est hautement probable que la rhétorique anti-migration et antieuropéenne se déchaînera encore aux prochaines élections législatives.

GEORGI VERBEECK

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