Didier Reynders © Belga

Droits des femmes et Arabie saoudite: Reynders se tortille, mais ne plie pas

Muriel Lefevre

Reynders est dans une position délicate suite à l’affaire de la validation par la Belgique de l’entrée de l’Arabie saoudite à la Commission des droits des femmes de l’ONU. Que ce soit une boulette diplomatique ou une décision qui pourrait avoir ses raisons, c’est peu dire que les explications au parlement de Didier Reynders étaient attendues ce mardi. Le point sur cette affaire qui plonge ses racines dans les méandres de la diplomatie.

Didier Reynders s’est retrouvé au coeur d’une polémique la semaine dernière suite au vote de la Belgique pour que l’Arabie saoudite puisse intégrer la Commission des droits des femmes de l’ONU. Celui que certains ont surnommé l’Houdini de la politique est depuis 18 ans ministre fédéral. Mais la semaine dernière fut rude.

Il a même, fait plutôt rare, été recadré publiquement et vivement par Charles Michel. Le premier ministre a dit regretter ce vote – « si c’était à refaire, on ne le ferait pas » – et a « donné des instructions afin qu’à l’avenir l’appréciation politique de ce type de dossier ait lieu au plus haut niveau ».

Pour tenter d’apaiser les remous, Didier Reynders est venu s’expliquer ce matin.

Plus de mission économique en Arabie Saoudite

« Personnellement, il n’y aura plus de mission économique du gouvernement fédéral en Arabie Saoudite tant que nous ne constatons pas d’évolution sur la situation de l’égalité entre les hommes et les femmes. Aux Régions de décider si elles veulent y aller de leur côté » va-t-il déclarer en guise de préambule. Il va ensuite enfoncer le clou en invitant la Belgique, au nom du gouvernement fédéral, à mettre à plat ses relations avec l’Arabie Saoudite en rouvrant le débat sur un embargo sur les armes, soit au niveau européen, ce qui prendrait du temps, soit en Belgique. Il y a aussi et surtout présenté ses excuses  » à toutes celles et tous ceux qui se sont sentis sincèrement heurtés à l’annonce d’une telle décision ».

Quoi qu’il en soit, malgré le fait que la Belgique est « profondément en désaccord » avec cet État sur la question du droit des femmes, notre pays ne s’est certainement pas démené en coulisse pour que ce pays ne soit pas élu à la commission en question.

Un vote à l’ONU

Ce vote quelque peu surprenant pourrait s’inscrire dans le cadre d’une stratégie diplomatique visant à décrocher pour la Belgique un siège au Conseil de sécurité des Nations unies en 2019-2020. Pour que ce soit possible, il faut obtenir l’appui des « cinq grands » et une majorité à l’Assemblée générale en faisant campagne. En veillant au passage à convaincre et surtout à ne fâcher personne.

C’est dans ce contexte bien précis qu’a eu lieu ce fameux vote du 19 avril à New York. La Belgique a, ce jour-là, diplomatiquement apporté son soutien à l’Arabie saoudite lors du renouvellement partiel des 45 membres de la Commission de la condition de la femme des Nations unies (CSW) lors d’un vote au Conseil économique et social. L’assemblé a nommé 13 nouveaux membres pour quatre ans. Cela aurait dû normalement se faire selon la procédure du « Clean State ». Soit autant de pays candidat que de poste à prévoir et donc une élection par consensus et sans vote.

Sauf que, cette fois-ci, les États-Unis ont demandé qu’il y ait un vote. Les mauvaises langues diront que c’était pour déstabiliser l’institution. Ce vote, bien que secret, a pris les diplomates par surprise. Ces derniers ont dû se décider promptement. Une poignée d’heure, ou plus. Le laps de temps exact reste flou.

« Si cela n’avait pas été le cas, nous aurions évidemment fait un choix qui n’aurait certainement pas été en faveur de l’Arabie saoudite. » dit encore Reynders. Par ailleurs, s’il ne s’est pas directement exprimé sur ce vote, c’est aussi « parce que les votes secrets ont vocation à le rester » dit Reynders. « Le secret du vote n’a plus de sens si on doit expliquer après à ses amis et ennemis comment on a voté, et cela ne fait qu’apporter un élément de tension supplémentaire et inutile au sein de l’ONU », a expliqué la semaine dernière le ministre.

On notera au passage que la Belgique n’a pas été la seule à voter en ce sens puisque 47 des 54 États membres du Conseil économique et social des Nations unies ont donné leur feu vert pour cette nomination. L’Arabie saoudite était par ailleurs l’unique candidat de cette zone géographie. Didier Reynders l’a encore confirmé ce matin au parlement : un autre vote « n’aurait pas empêché » que ce pays intègre ladite commission.

Une boulette diplomatique ou un choix stratégique ?

L’idée que ce vote serve de monnaie d’échange diplomatique est balayée par les intéressés : « Il n’est absolument pas question d’un échange : quand on sait que les votes à l’ONU se déroulent par paquet de pays, il est illusoire de croire que le vote belge était un moyen de pression pour obtenir un soutien. »

Il n’est néanmoins pas inutile de préciser que ce pays a les capacités de plomber les ambitions belges à l’ONU. Du coup, on pourrait être en droit de se demander pourquoi on irait se vautrer dans de l’esbroufe inutile quand en plus le vote est secret ?

Un vote qu’on aurait donc visiblement aimé le plus discret possible au vu du peu d’empressement à l’assumer. Au point que, dans un premier temps, on ne confirme rien, on finasse. « La Belgique ne s’est pas opposée à cette élection » furent les termes utilisés. Avant que les intéressés n’aient d’autres choix que de confirmer la chose en la noyant sous les regrets. À la fois Reynders et Michel n’en font pas mystère : ils ne se réjouissaient nullement de ce vote. Et d’en glisser la responsabilité sur les diplomates sur place qui n’auraient pas demandé de directives au ministre. Le cabinet de Reynders soutient en effet mordicus que le ministre n’était pas au courant et que le cabinet avait agi en son nom comme le veut la procédure.

Si c’est vrai, ce n’est pas une faute. Cela manque tout de même d’un peu de panache et va provoquer l’ire de l’opposition. D’autant plus que des mails confirmeraient que le cabinet Reynders a donné en personne son soutien aux Saoudiens à l’ONU. L’opposition, Ecolo en tête, se demande alors si Reynders ne s’est pas arrangé avec la vérité. Le sp.a et Ecolo-Groen pointent du doigt la responsabilité politique de Didier Reynders dans ce dossier.

« Collègues de la majorité, acceptons-nous qu’un ministre et le premier ministre donnent des informations qui ne correspondent pas à la réalité? « , a demandé Wouter De Vriendt (Groen) ce matin . « Aujourd’hui, il y a un problème de confiance. Votre cabinet, c’est vous. Assumez-en la responsabilité politique. Là vous n’assumez rien », a fustigé Gwenaelle Grovonius (PS). « Il ne devait pas nécessairement être au courant que pour assumer la responsabilité politique. Le gouvernement a commis une faute », a renchéri le président de la commission, Dirk Van der Maelen (sp.a).

Pendant ce temps le ministre des Affaires étrangères ne bougera pas sa ligne d’un iota. Il n’en démord pas, il ne s’agit ici que d’une procédure classique où on voit le cabinet agir en son nom. Un point de vue encore répéter ce matin à la Chambre. « Je n’étais pas au courant qu’un vote interviendrait, dès lors, le premier ministre non plus, c’est clair », a assuré le ministre des Affaires étrangères alors que l’opposition pointe une contradiction entre sa défense et celle du chef du gouvernement.

« Tous les diplomates, les services à Bruxelles et aussi mon cabinet ont suivi de façon professionnelle la méthode classique » a-t-il indiqué, expliquant les différences de délais entre l’annonce d’une procédure du vote à l’ONU et la réponse de la Belgique par la qualité des courriels échangés, tantôt formels tantôt informels.

Néanmoins, pour éviter de nouveaux dérapages, on utilisera désormais une autre procédure. Désormais, le ministre des Affaires étrangères et le gouvernement seront directement impliqués dans la décision.

Certains pensent au contraire que c’est une occasion en or

Avant d’être attisée par l’opposition, la polémique est née suite aux déclarations-chocs de Hillel Neuer, directeur exécutif de l’organisation UN Watch qui contrôle l’action des Nations unies. Basée à Genève, l’ONG est spécialisée dans le suivi des Nations unies et la défense des droits de l’homme. Comme pour son directeur exécutif, on a ponctuellement reproché à l’ONG sa proximité avec Israël et le Congrès juif mondial, explique la Tribune de Genève.

Neuer dit de l’élection de l’Arabie saoudite à la Commission des droits des femmes de l’ONU que « C’est comme désigner un pyromane chef des pompiers de la ville ». Cette organisation est très critique envers l’ONU, estime que l’organisation donne à penser que « les pétrodollars permettent de tout acheter, même un profit politique ».

Peut-être, mais tout le monde n’est pas de cet avis

Des organisations des droits de l’homme comme Amnesty International y voient surtout une opportunité. « Ne fut-ce que pour attirer l’attention internationale » dit Lore Van Welden, d’Amnesty International Vlaanderen dans De Morgen. « Ce siège est une façon de parler aux Saoudiens des droits de la femme. C’est une occasion en or. Avec cela, on peut faire pression au niveau international pour mettre le sujet sur le tapis. »

Marc Bossuyt qui est régulièrement engagé en tant qu’expert dans des commissions sur les droits de l’homme aux Nations unies nuance lui aussi toujours dans De Morgen. « Les Nations unies sont une organisation qui regroupe 193 pays et elle reflète le monde comme il est. Pas comme on voudrait qu’il soit. On ne peut établir des critères pour être membre des Nations unies. De la même façon, on ne peut faire des commissions qu’avec les pays bien sous tous rapports. D’ailleurs l’Arabie Saoudite n’est pas le seul pays à la réputation douteuse. Il y a aussi l’Iran, l’Érythrée ou Bahreïn. »

Cees Flinterman a fait partie de commission pour les droits de la femme. Il pense qu’un pays peut évoluer après avoir siégé dans des commissions de ce type. « Par exemple le Koweït qui a été très critiqué dans cette commission et qui a par la suite introduit le droit de vote pour les femmes. Une présence dans ce genre de commission peut donner du courage aux femmes saoudiennes pour continuer leur combat lorsqu’elles savent que le monde les regarde. Cela peut également servir de tête de proue à leur lutte et introduire le changement dans le pays, même si celui-ci est très lent » dit-il. « Enfin, les autorités saoudiennes sont d’une certaine façon mises face à leur responsabilité » précise-t-il enfin.

« C’est vrai qu’il est important que les femmes saoudiennes puissent exprimer leurs droits », dit Benoit Hellings, député écolo, « le problème, c’est que l’Arabie saoudite utilise sa présence dans ce genre de commissions pour redorer son blason. »

La condition de la femme dans ce royaume est en effet l’un des instruments favoris des autorités saoudiennes pour prouver au monde que ce pays évolue aussi dans le sens de la modernité. Bien qu’à l’heure actuelle, il ne s’agisse surtout de quelques gestes symboliques dans ce pays où les femmes sont considérées comme de perpétuelles mineures.

Élire au sein d’une commission censée s’investir dans « la promotion de l’égalité hommes femmes et l’autonomisation des femmes », l’un des pays les plus misogynes au monde a donc effectivement de quoi surprendre. Mais, après tout, la Chine a bien un siège au conseil des droits de l’homme.

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