Armand De Decker © Belga

Dossier Chodiev-De Decker : que fait la justice belge ?

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Malgré l’avancée de l’enquête française et les appels du pied des magistrats de Paris, il n’y a toujours pas de vraie enquête en Belgique sur le Kazakhgate. Pour l’instant, le libéral Armand De Decker n’est inquiété par aucune procédure judiciaire belge.

Dans le dossier Sarkozy-Chodiev-De Decker, la justice française a mis en examen quatre personnes en septembre dernier, et elle vient de demander la levée de l’immunité du sénateur Aymeri de Montesquiou, descendant de la famille de d’Artagnan, pour une cinquième mise en examen. Une des infractions retenues dans l’enquête hexagonale est celle « de corruption d’agent public étranger ». Or le seul agent public étranger connu dans cette affaire est l’ancien président du Sénat Armand De Decker (MR). Les deux juges d’instruction parisiens en charge du dossier semblent donc nourrir des soupçons à l’égard du libéral belge. Lequel, tout en restant sénateur, avait repris ses activités d’avocats en 2011 pour rejoindre l’équipe de Me Catherine Degoul qui défendait le milliardaire kazakh, empêtré dans le dossier Tractebel.

De Decker aurait-il influencé le processus parlementaire pour que la loi sur la transaction pénale élargie soit votée juste à temps et puisse permettre à son richissime client d’échapper in extremis à un procès en correctionnel ? Et ce à la demande de l’Elysée, occupé par Nicolas Sarkozy, dont un gros contrat en armement avec le Kazakhstan était conditionné à cet épilogue judiciaire ? Le bourgmestre d’Uccle s’en défend vigoureusement, tout comme il conteste le montant de 734 346 euros versé par Chodiev, pour ses services, que révèle pourtant une note des juges parisiens, publiée par Le Canard Enchaîné. Ce montant (comme d’ailleurs les autres cités dans l’article de l’hebdo satirique) a été repéré, dans le cadre de l’enquête, par Tracfin, la cellule française de traitement des circuits financiers clandestins, soit l’équivalent de la CTIF belge.

En juin 2014, les Français ont diligenté une commission rogatoire à Bruxelles. Menée par la police judiciaire fédérale, elle s’est terminée en septembre. Armand De Decker nous dit ne pas avoir été interrogé dans le cadre de cette commission. Le 26 février dernier, les deux magistrats français se sont déplacés à Bruxelles pour rencontrer des représentants du parquet général et du parquet fédéral. But de la visite : examiner ce que Français et Belges pouvaient faire ensemble. Une telle initiative démontre, pour le moins, leur intérêt pour le volet belge du dossier.

Aucun devoir d’enquête

Peu après cette rencontre, le parquet de Bruxelles a communiqué que, côté belge, une information judiciaire avait été ouverte en 2013, mais qu’à ce stade aucun élément ne permettait d’impliquer Armand De Decker. La date n’est pas exacte. Il y a un bon mois, le ministre de la Justice Koen Geens (CD&V), répondant à une question de Georges Gilkinet (Ecolo) à la Chambre, indiquait qu’une information judiciaire contre X avait été ouverte fin octobre 2014. C’est suite aux révélations du journal Le Monde sur les mises en examen par la justice française que des enquêteurs de l’OCRC (police anti-corruption) ont rédigé un PV initial, le 31 octobre 2014, à l’intention du procureur du roi de Bruxelles, dans l’espoir que la justice belge enquêterait, elle aussi, sur l’affaire. Un PV initial entraîne automatiquement l’ouverture d’une information pénale. Ce qui a eu lieu. Mais, selon nos informations, aucun devoir d’enquête n’a été demandé, depuis lors, aux hommes de l’OCRC qui ont pourtant rédigé des PV de rappel. L’enquête du parquet de Bruxelles n’a donc jamais réellement démarré…

Depuis quelques jours, des discussions répétées ont lieu au parquet fédéral, sous la houlette du magistrat de référence en matière de corruption, Jean-Pascal Thoreau, pour voir s’il serait opportun d’ouvrir une instruction judiciaire, d’autant que les Français s’apprêtent, semble-t-il, à introduire une demande formelle d’entraide judiciaire. Bref, depuis les premières révélations du Canard Enchaîné, en octobre 2012, la justice belge se tâte toujours.

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