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Discours royal: Philippe contre les « faux prophètes »

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Terrorisme, crises aux frontières, Brexit… Trois ans après avoir succédé à son père, le roi Philippe évoque, dans son discours de fête nationale, les « rudes épreuves traversées ensemble » ces derniers mois. Un appel à l’unité, à l’engagement et aux jeunes.

Comment ne pas tomber dans les propos convenus sur les drames de l’actualité ? Comment éviter aussi l’angélisme, le catalogue de bons sentiments ? Tels sont les défis auxquels sont confrontés les rédacteurs du traditionnel discours royal de fête nationale. Comme l’an dernier, l’intervention du chef de l’Etat n’a pas dépassé sept minutes. L’enregistrement du discours a été réalisé dans son bureau du palais de Bruxelles. Avec, bien en vue, les drapeaux belge et européen. D’habitude, pas de drapeau. Ou alors, seulement les couleurs nationales, comme lors de l’allocution du 22 mars dernier, quelques heures après les attentats de Zaventem et du métro de la capitale.

Cette fois, l’Europe est donc mise à l’honneur, crise du Brexit oblige. Philippe n’a pas manqué d’évoquer, parmi les « rudes épreuves traversées ensemble » – attentats, crises aux frontières de l’Europe… -, « les turbulences que traverse l’Union européenne suite au référendum britannique ». « Notre Union est plus que jamais nécessaire », assure-t-il, mais le projet européen a « besoin d’un élan ». Et le roi de féliciter les jeunes, qui ont très majoritairement voté en faveur du maintien de la Grande-Bretagne dans l’Union. Démonstration sous-jacente : les jeunes, c’est l’avenir ; les jeunes aiment l’Europe ; donc l’Europe, c’est l’avenir !

Plus largement, Philippe constate un changement de mentalité chez les jeunes : « Le sentiment d’appartenance et le besoin de participation s’expriment chez eux d’une manière nouvelle et créative ». Ils chercheraient « de plus en plus le bien-vivre ensemble, avant le confort matériel. » Ils ont appris « à s’ouvrir aux autres, à d’autres pays et à d’autres cultures. »

Le roi insiste aussi sur la « cohésion », indispensable face aux « fractures » sociales. Quelles fractures ? Celles entre riches et pauvres, entre générations, entre « ceux qui ont accès à l’information et à la connaissance et ceux qui en sont dépourvus ». Entre « ceux qui se sentent chez eux et ceux qui sont à la recherche d’un chez-soi ». Il appelle dès lors à se méfier des « faux prophètes », qui « jouent sur l’émotion » et « désignent des boucs émissaires ». Et il met en avant le courage, qui permet de surmonter les épreuves, de rejeter « le confort du défaitisme ».

En conclusion, le roi, symbole d’unité nationale, lance sans surprise un appel à « unir nos forces ». « L’unité dans la diversité anime la majorité de ceux qui vivent dans notre pays », estime-t-il. Une allusion discrète aux pressions politiques centrifuges qui menacent la Belgique.

Discours du roi à l’occasion de la fête nationale, 20 juillet 2016

« Mesdames et Messieurs,

Depuis le début de l’année nous avons traversé ensemble de rudes épreuves. Les attentats qui nous ont durement touchés nous laissent avec un sentiment d’insécurité. Les crises aux frontières de l’Europe et leurs effets à l’intérieur de nos pays ont créé un climat d’instabilité et d’incertitude. A tout cela s’ajoutent les turbulences que traverse l’Union européenne suite au référendum britannique.

Tous ces événements révèlent des fractures au sein même de nos sociétés. Entre riches et pauvres. Entre jeunes et moins jeunes. Entre ceux qui ont accès à l’information et à la connaissance et ceux qui en sont dépourvus. Entre ceux qui se sentent chez eux et ceux qui sont à la recherche d’un chez-soi. Entre ceux qui prennent les devants et ceux qui ont peur de perdre. Il faut éviter que de faux prophètes, jouant sur l’émotion, n’exploitent ces fractures et ces vulnérabilités. En désignant des boucs émissaires, ils ne font que creuser davantage les fossés entre religions, entre peuples, et finalement entre nous tous.

Dans un tel contexte je veux vous encourager à renforcer tout ce qui contribue à la cohésion et la justice dans notre société. Pour ce faire, nous disposons d’atouts majeurs.

Tout d’abord, nous avons une longue tradition d’ouverture et d’engagement. La recherche de l’unité dans la diversité anime la majorité de ceux qui vivent dans notre pays. Nous avons une culture de concertation et d’implication du citoyen dans la prise de décisions. Nous avons un tissu associatif et une société civile qui ont fait leurs preuves. Vous qui êtes les moteurs et les chevilles ouvrières d’associations, vous qui vous impliquez pour revitaliser votre quartier ou pour recréer des espaces publics accueillants, vous qui tendez la main à ceux qui aujourd’hui se sentent délaissés ou découragés, vous êtes tous les héritiers de cette tradition. La Reine et moi constatons quotidiennement votre bel engagement, à titre professionnel ou bénévole, à travers tout le pays.

Ensuite, le sentiment d’appartenance et le besoin de participation s’expriment d’une manière nouvelle et créative chez les jeunes. Vous les jeunes cherchez de plus en plus le bien-vivre ensemble avant le confort matériel. Vous aspirez à contribuer à quelque chose qui vous dépasse. Vous avez appris à vous ouvrir aux autres, à d’autres pays et à d’autres cultures. Vous savez que cela engendre l’échange d’idées, la créativité et l’innovation, l’enrichissement culturel et l’épanouissement personnel. Les plateformes sur lesquelles vous vous associez montrent un souhait de partage et une recherche innovante du bien commun. C’est ce même esprit que l’on retrouve dans la véritable pépinière de start-ups et d’entreprises sociales qui émergent dans notre pays. Et vous, les jeunes qui êtes encore à la recherche d’un nouvel élan ou d’un emploi, vous avez en vous une énergie latente que nous voulons vous aider à activer.

Enfin, nous disposons d’une troisième qualité importante : le courage. Le courage auquel je pense est bien plus que de la témérité. Il surmonte les épreuves en s’appuyant sur ce qui est beau et grand. Il exprime une force intérieure qui rejette le confort du défaitisme. La Reine et moi avons, récemment encore, été témoins de ce courage, après les attentats terroristes du 22 mars. Vous, les blessés et les membres des familles touchées, avez réagi à cette épreuve avec une infinie dignité. Vous les membres des services de sécurité et d’intervention, vous avez agi avec un dévouement extraordinaire. Ce courage nous est donné en exemple. Il permet de garder confiance – en nous-même, dans les autres, et dans nos institutions – quand les crises se succèdent et ébranlent nos certitudes.

C’est de ce même élan dont a besoin aujourd’hui le projet européen. Ce n’est pas un hasard si les majorités les plus fortes en faveur du maintien de la Grande-Bretagne dans l’Union européenne se sont exprimées chez les jeunes. Ils ne se sont pas laissé confondre par le faux dilemme entre Union européenne et Etats-membres. Les deux sont complémentaires. Et notre Union est plus que jamais nécessaire. Là aussi, il faudra du courage pour la défendre et pour continuer à l’améliorer.

Mesdames et Messieurs,

Prenons conscience des atouts qui sont les nôtres. Unissons nos forces, en Belgique et en Europe. Ayons confiance en l’avenir. La Reine et moi vous souhaitons une belle Fête Nationale.

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