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Discours royal : Albert II avait été mis en garde, pourtant

Le Vif

Dans Le Vif/L’Express du 14 décembre dernier, vingt personnalités belges écrivaient au roi, à notre demande et à l’occasion du centenaire de la lettre de Jules Destrée (« Sire, il n’y a pas de Belges… »). Parmi les vingt personnalités ayant pris la plume, Siegfried Bracke, député fédéral N-VA, et Bert Maddens, politologue et prônant le confédéralisme.

Bracke rappelait que le fossé entre Wallonie et Flandre (il n’est jamais question de Bruxelles, évidemment) « n’a jamais été aussi grand » et que « si vous croyez que les problèmes évoqués ici sont imaginaires, ou ne découlent que d’interprétations malveillantes, permettez-moi de vous répondre calmement et de vous prier de retenir la leçon de Thémistocle :  »Frappez, mais écoutez. » Sinon, la solution la plus radicale sera la seule possible. » Maddens, lui, plus clairement encore, assène : « Depuis 2007, vous vous êtes employés à mettre hors-jeu les nationalistes flamands qui forment aujourd’hui le courant politique le plus important de votre royaume. Vos mises en garde contre le séparatisme feutré et vos louanges éculées sur les mérites du modèle belge n’émeuvent plus du tout la Flandre. De plus en plus nombreux sont les Flamands convaincus que la Belgique est mûre pour subir une transformation radicale en une confédération de deux Etats souverains. Vous avez le choix d’accompagner cette évolution inévitable ou de continuer à la contrarier. Dans ce dernier cas, la sécurité d’emploi de vos descendants pourrait bientôt appartenir au passé. »

De toute évidence, vu le contenu de son discours ce 24 décembre (« En ces temps perturbés que nous vivons, soyons vigilants, et montrons-nous lucides face aux discours populistes. Ils s’efforcent toujours de trouver des boucs émissaires à la crise, qu’il s’agisse de l’étranger ou des habitants d’une autre partie de leur pays. Ces discours existent aujourd’hui dans de nombreux pays européens et aussi chez nous. La crise des années 30 et les réactions populistes de cette époque ne doivent pas être oubliées. On a vu le mal que cela fit à nos démocraties »), le roi n’a pas tenu compte des deux avertissements (les lettres lui ont été envoyées, par nos soins, et nous avons reçu accusé de réception et de lecture). De même, vu les réactions de la presse flamande et de la N-VA à ce discours de Noël, les prises de position « partisanes » d’Albert II émeuvent encore la Flandre, n’en déplaise à Bart Maddens. Au point d’accélérer sa désaffection pour et la Belgique et la monarchie ?

Dans tous les cas, voici les deux lettres.

SIEGFRIED BRACKE « Frappez, mais écoutez »

Sire,
Ma vérité – gênante – est suffisamment connue : il n’y a pas de Belges. Il y a un Etat, mais la nation fait défaut. Les Flamands, les Wallons, les Bruxellois vous connaissent comme leur roi, mais ne partagent pas un même espace public démocratique. Ils ont des partis politiques différents, des médias différents, des débats différents, des cultures différentes et, donc, des sensibilités différentes. Ce qui enthousiasme les uns laisse les autres de marbre. Et il y a les deux langues, encore que cela soit le moindre problème. Peu de Flamands se soucient de la qualité du néerlandais du Premier ministre, et encore moins de leur propre connaissance du français. Cette dernière réalité, je la regrette.
Sire, il n’y a donc pas de sensibilité belge, ce qui rend le fonctionnement de votre Etat de plus en plus difficile. Car, et c’est là une règle générale, si un Etat doit assurer la prospérité commune à deux peuples, aucun des deux ne peut se sentir lésé par l’autre partie.

Hélas ! Comme jadis les peuples vaincus payaient tribut aux vainqueurs, nous sommes soumis aujourd’hui à l’impôt de l’Etat. Or personne ne conteste plus que la Flandre offre davantage à l’Etat qu’elle n’en reçoit en retour. Voilà le problème fondamental de la pression fiscale. Pis, à Bruxelles et en Wallonie, l’argent flamand ne profite pas à une meilleure instruction publique, à de meilleurs équipements sociaux ou à une gouvernance plus efficace. Autrement dit : être solidaire ? D’accord ! Mais avec quoi ? Pour quoi ?

Reste la pire des choses. L’Etat nous prive de notre liberté. Si le Nord de votre Etat choisit blanc, et que le Sud opte pour le noir, c’est le noir qui gagne. Concrètement, si les syndicats wallons bloquent les chemins de fer, les trains ne roulent pas non plus en Flandre. Et cela se passe ainsi dans presque tous les domaines : les uns paralysent les autres, nous sommes tous à l’arrêt.
Les élections révèlent que le fossé n’a jamais été aussi profond. La Wallonie est toute dévouée au gouvernement. A peine y a-t-il de l’opposition. En Flandre, Di Rupo Ier n’a pas la majorité. Il est vrai qu’il y a aussi des socialistes en Flandre, et des libéraux en Wallonie. Mais s’il y a des canards et même des poissons volants, la règle est tout de même que les poissons nagent et que les oiseaux volent.

Et si vous croyez que les problèmes évoqués ici sont imaginaires, ou ne découlent que d’interprétations malveillantes, permettez-moi de vous répondre calmement et de vous prier de retenir la leçon de Thémistocle : « Frappez, mais écoutez. » Sinon, la solution la plus radicale sera la seule possible. Et ce serait très dommage.

Siegfried Bracke est député fédéral N-VA.

BART MADDENS « Transformation radicale » Sire,

Il n’y a pas de démocratie belge. Seules existent une démocratie flamande et une autre, francophone. Aux yeux de certains, vous êtes le ciment qui tient ensemble ces deux démocraties. Permettez-moi d’en douter. Depuis 2007 déjà, vous vous êtes employé à mettre hors jeu les nationalistes flamands qui forment aujourd’hui le courant politique le plus important de votre royaume. Et cela vous a bien réussi. Certains vous considèrent comme le sauveur de la Belgique. Or n’est-ce pas plutôt l’effet inverse que vous suscitez ? L’exclusion des nationalistes flamands n’a fait qu’accélérer le déclin de votre régime. Car cet isolement a conduit à une dislocation vraisemblablement fatale du système politique belge. Votre gouvernement repose sur une majorité écrasante du côté francophone, mais n’a pas la majorité en Flandre. Depuis quelques années, il n’y a plus le moindre rapport entre l’issue du scrutin en Flandre et la formation du gouvernement fédéral. Il fut une époque où les Flamands se résignaient à tolérer pareilles situations pour avoir la paix. Faut-il que je vous rappelle la suite donnée au référendum de 1950 sur le retour de votre père ? Or ces temps sont révolus pour de bon. Vos mises en garde contre le séparatisme feutré et vos louanges éculées sur les mérites du modèle belge n’émeuvent plus du tout la Flandre. De plus en plus de Flamands voient la Belgique comme une construction poussive et impraticable, qui ne réussit pas à rendre la Flandre plus florissante. La seule efficacité où excelle la Belgique, c’est de verrouiller la majorité flamande. Croyez-moi, de plus en plus nombreux sont les Flamands que cet état de fait exaspère. Ils sont convaincus que la Belgique est mûre pour subir une transformation radicale en une confédération de deux Etats souverains. Vous avez le choix d’accompagner cette évolution inévitable ou de continuer à la contrarier. Dans ce dernier cas, la sécurité de l’emploi de vos descendants pourrait bientôt appartenir au passé.

Bart Maddens est politologue.

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