Elio Di Rupo avec, à l'arrière-plan, Emile Vandervelde, le référent. © OLIVIER PIRARD/ISOPIX

« Di Rupo se voit comme Vandervelde, on le perçoit comme Bouteflika »

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Le PS est comme obsédé par la figure mythique de Vandervelde -décédé il y a 80 ans-, et Elio Di Rupo se verrait bien, comme son prédécesseur, entrer dans la légende socialiste. Mais depuis qu’il a annoncé abruptement sa candidature aux élections législatives, c’est de plus en plus fort que certains des siens le comparent plutôt à Mugabe ou Bouteflika qu’au « Patron »…

Au boulevard de l’Empereur, un bureau de parti, un lundi de juillet 2014. Elio Di Rupo est encore Premier ministre mais plus pour longtemps. Le parti qu’il préside depuis 1999 sera bientôt dans l’opposition fédérale, et Paul Magnette, qui s’apprête à devenir ministre-président wallon, rend à Elio Di Rupo les clés d’un bureau présidentiel que le Carolo-régien n’aura pas fait mine de déranger, en une année et demie d’intérim. Il a trouvé un cadeau pour son président. Enfin, c’est Charles Picqué, qui l’avait retrouvé, au fond, paraît-il, d’une vieille caisse, à la Maison du peuple de Saint-Gilles, avait expliqué La Libre. Ce cadeau, c’est un chapeau.

Ce chapeau, c’était celui d’Emile Vandervelde, c’était celui du « Patron ».

« Elio, tu es le Patron », dit alors Paul Magnette à Elio Di Rupo, ému, qui promit de mettre la relique sous verre.

Mais, au fond, Elio Di Rupo est-il vraiment le « Patron »?

Le « Patron », normalement, au PS, c’est Emile Vandervelde. Un nom si grand qu’un toponyme universel: il y a, presque dans chaque village de Wallonie et dans chaque commune de Bruxelles, une rue, une place, un square, une station Emile Vandervelde. Une figure si large de ce socialisme soluble dans l’odonymie qu’il hante le PS jusqu’à l’obsession.

Un totem, incantatoire jusqu’au fétichisme.

Emile Vandervelde, au PS, ce n’est pas que ce couvre-chef qui se transmet. C’est aussi ce centre d’études que l’on constitue, ce bar provisoire que l’on baptise « Chez Emile ». C’est ce référent, permanent jusqu’à l’ânonnement. C’est ce totem, incantatoire jusqu’au fétichisme, c’est, enfin, ce « comme Vandervelde! » que jetait, tout un temps, Elio Di Rupo aux journalistes qui lui demandaient comment il voyait finir sa présidence. Protégé par ce totémique bouclier, le président se ménageait un confortable, pensait-il, refuge rhétorique. Purement rhétorique, même, parce que de ce qu’Elio Di Rupo pense, derrière l’incantation, de son illustre prédécesseur, les historiens de demain ne sauront que cette généralité fort pâle, extraite du livre d’entretiens qu’il publia aux éditions Racine, en 2011: « Etre à gauche, c’est souvent aller à rebrousse-poil: Mitterrand avec la peine de mort en est un exemple éclatant. Emile Vandervelde, le Jaurès belge, dénonçant le travail forcé ou instaurant le suffrage universel, en est un autre », y répondait-il au journaliste Francis Van de Woestyne. Le Vif/L’Express a voulu en savoir plus sur sa relation à Vandervelde. Il a accepté. Puis il a refusé. Il avait trop de choses à faire pour le moment, nous a-t-on dit au boulevard de l’Empereur, que se pencher sur la vie et la pensée de ce « Patron » mort il y a quatre-vingts ans et auquel il aime pourtant tant se parangonner.

Parce qu’au fait, Elio Di Rupo sait-il vraiment qui est le « Patron »?

Bien sûr, Elio Di Rupo et Emile Vandervelde auront longtemps incarné jusqu’à le résumer un Parti socialiste qu’ils auront dirigé pendant des lustres. Avec une remarquable constance, leurs critiques les ont accusés tous deux de renoncer à leurs valeurs par opportunisme ministériel tandis que les deux, le Vandervelde de 1916 comme le Di Rupo de 2011, justifiaient de la nécessité de sauver une Belgique en danger. Et les pétards et les huées portés par certains manifestants du 6 novembre 2014 à celui qui venait à peine de quitter le 16, rue de la Loi et qui, déjà, descendait dans la rue pour contester un gouvernement à peine formé ne résonnaient-ils pas comme ces insultes du lundi 11 juillet 1932, lancées par plusieurs centaines de communistes en colère à un Vandervelde retranché dans le Palais du peuple de Charleroi, coupable « de se rincer le gosier pendant que les ouvriers crèvent de faim », comme on le lisait dans la presse parisienne? Mais Elio Di Rupo, orphelin d’un prolétaire italien, venu aux lectures par le socialisme, sait-il qu’Emile Vandervelde, fils d’un avocat libéral, venu au socialisme par ses lectures, se dit marxiste jusqu’au bout? Qu’Emile Vandervelde défendit, contre son parti, la constitution du Congo en colonie belge? Qu’il prôna, contre l’avis de nombreux socialistes juifs eux-mêmes, l’installation d’un foyer juif en Palestine? Qu’il soutint, jusqu’au bout, que ses nombreux écrits et toute son action devait aider à l’édification d’une société socialiste, « incompatible avec le régime capitaliste, qui divise la société en deux classes nécessairement antagonistes », comme Vandervelde l’écrivit dans cette Charte de Quaregnon que le « Chantier des idées » de Di Rupo envisagea, un temps, de définitivement ranger dans la réserve précieuse de l’IEV, l’institut Emile Vandervelde? Se rend-il compte, Elio Di Rupo, que terminer « comme Vandervelde! », c’était se faire encoigner par deux socialistes à la fois plus à droite et plus jeunes que lui, comme le furent Henri de Man et Paul-Henri Spaak pour le « Patron »?

Mais après tout, Elio Di Rupo est-il vraiment le patron?

Le patron, normalement, au PS, c’est Elio Di Rupo. Mais au bureau de parti, un lundi de décembre 2018, Elio Di Rupo n’est plus Premier ministre depuis longtemps. Le parti qu’il préside depuis 1999 espère quitter l’opposition fédérale, et Paul Magnette, plus jeune mais pas nécessairement plus à gauche, s’apprête à prendre les clés d’un bureau présidentiel que le Carolorégien compte complètement ravaler d’ici à un an. Plus jeune et plus à droite que lui, Nicolas Martin l’a déjà contraint à céder son mayorat de Mons, et la transition nationale ne sera pas moins douloureuse que la montoise. Dans Le Soir du lundi 3 décembre, Paul Magnette a critiqué la décision d’Elio Di Rupo d’annoncer sa candidature comme tête de liste aux législatives dans le Hainaut, comme sortie du chapeau patronal: « On a vu que, dans les heures qui ont suivi, cela a suscité un certain nombre de réactions », a-t-il expliqué. Et si, lundi 3 décembre, ni en bureau du parti, ni au G9 convoqué à la hâte après « ce certain nombre de réactions » personne n’a osé prendre la parole, off the record, les courageux anonymes se déchaînent. Ceux qui, comme ce preux parlementaire, voudraient « discuter de la sortie de Mugabe à la RTBF », et ceux qui, comme cet autre impavide membre du bureau du parti, estiment que « la seule différence entre Bouteflika et Di Rupo, c’est que Bouteflika, lui, il n’a pas conscience qu’il est candidat ni qu’il finit par nuire à son parti ». C’est, au fait, après tout et au fond, la question que certains socialistes se posent sans oser le dire:

Elio Di Rupo pense-t-il vraiment qu’il est encore le patron?

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