Guy Delsaut

Des majorités à géométrie variable pour plus de démocratie

Guy Delsaut Simple citoyen

Guy Delsaut, citoyen, propose de permettre des coalitions différentes pour chaque compétence ministérielle. « Nous renforcerions le fondement-même de notre système démocratique et peut-être pourrions-nous débloquer le pays. »

Depuis quelques années, à la suite des difficultés récurrentes pour former un gouvernement fédéral, et parfois même régional, on entend de nouvelles idées pour repenser notre démocratie et la rendre plus efficace. On imagine, par exemple, laisser le hasard désigner une assemblée citoyenne, on veut impliquer davantage la « société civile » ou on propose de demander aux citoyens de choisir la coalition qui gouvernera le pays, mais on oublie, il me semble, que la Belgique est une démocratie représentative. En confiant aux élus la formation du gouvernement et en permettant des majorités différentes pour chaque compétence ministérielle, nous renforcerions le fondement-même de notre système démocratique et peut-être pourrions-nous débloquer le pays.

Ne nous trompons pas d’élus

Rappelons-nous comment fonctionne une démocratie comme la nôtre. Tous les X temps, selon le niveau de pouvoir, les citoyens choisissent d’autres citoyens pour prendre des décisions qui concernent tous les citoyens d’un territoire donné (commune, province, région, pays, Europe). Aux dernières élections fédérales, nous avons élus 150 hommes et femmes. Parmi eux, citons Peter Buysrogge, Julie Chanson, Daniel Senesael ou Greet Daems. Ces noms ne vous disent rien ? Peut-être auriez plutôt cité Paul Magnette, Bart De Wever, Joachim Coens ? Erreur ! Ces personnes, qui passent beaucoup de temps à discuter des grandes orientations que doit prendre notre pays pour les cinq prochaines années, n’ont en réalité pas été élus à la Chambre des Représentants en mai dernier. Le cas le plus emblématique est celui de Joachim Coens qui n’a plus été élu dans un parlement depuis 1999 et c’était au Parlement flamand. Et pourtant, on a l’impression que ce sont eux qui décident non seulement de la coalition mais aussi des orientations du gouvernement et donc décident pour l’ensemble du pays comme si les élections leur avaient donné ce pouvoir. En réalité, leur seule légitimité est d’avoir été élus à la tête de leur parti. Mais qui les a élus ? Leurs militants, pas l’ensemble des citoyens.

Chaque élu selon ses convictions

Alors regardons réellement les élus du peuple. Récemment un article du Soir[1] montrait les différentes coalitions qui s’étaient formées pour soutenir les lois votées depuis les élections. Ces coalitions sont changeantes, en raison de l’absence de majorité. Et c’est comme ça que devrait fonctionner une démocratie. Chaque élu devrait voter en fonction de sa conviction personnelle, celle qu’il a pu exprimer devant les électeurs alors qu’il n’était que candidat. Il est évidemment loin le temps où on estimait qu’un groupe avait forcément l’avis l’inverse d’un autre groupe sur tous les sujets. L’opinion publique et donc le parlement sont nettement plus nuancés qu’avant. Pourtant, on a souvent l’impression que les députés votent selon leur appartenance à la majorité ou à l’opposition. Idéalement les députés ne devraient avoir de consigne de vote, ni du gouvernement, ni de leur parti. Les plus libres sont d’ailleurs ceux qui siègent comme indépendant. La démocratie ne peut pas fonctionner sur un mode manichéen où les élus ne défendent pas toujours les idées pour lesquelles ils ont été élus.

Le problème du système actuel, c’est qu’il permet à un parti de la majorité d’imposer son point de vue. Voyez le vote sur le Pacte mondial des migrations qui a fait tomber le gouvernement Michel : 107 députés le soutenaient, mais la N-VA était contre et a provoqué la chute de la majorité. Voyez le recul de l’âge de la pension : y avait-il vraiment une majorité au Parlement pour cela, alors que cela ne figurait pas dans le programme des partis ou un parti a-t-il troqué l’idée contre un autre point du programme gouvernemental ?

Nommer les ministres au sein du parlement

Alors si, en l’absence de gouvernement, on peut voter des lois avec une majorité différente selon la loi, pourquoi ne pas désigner les ministres de la même manière? Le Parlement déciderait collectivement des postes qui composeraient le gouvernement, puis, au sein du Parlement, des candidats se déclareraient pour telle ou telle fonction ministérielle. Chaque candidat pour un même poste présenterait son programme, en principe, calqué sur celui qu’il a présenté aux électeurs. Le candidat qui obtiendrait une majorité deviendrait ministre avec le programme qu’il a présenté. Un système à plusieurs tours où le candidat qui a le moins de voix serait éliminé à chaque tour tant qu’aucun candidat n’a obtenu la majorité est le système le plus juste. Entre chaque tour, les candidats encore en lice pourraient amender leur projet pour rallier de nouveaux députés. Dans ce système, le vote de chaque élu compte et les candidats devraient faire partie du Parlement.

Chaque ministre disposerait ainsi d’une majorité différente et le programme gouvernemental serait composé d’une addition d’accords pour lesquels il y a réellement une majorité et chaque élu a pu user de son influence. Cela renforcerait la démocratie et éviterait les marchandages du style « ok, on renforce le contrôle des chômeurs si on permet la gratuité des trains pour les plus de 65 ans ». D’autre part, les ministres pourraient travailler dès qu’ils sont élus par le Parlement. Pas besoin d’attendre un accord global. Le citoyen pourrait lui voir les débats et juger les compromis de chaque élu.

Le Premier ministre, lui, devrait être un élu dont les capacités à rassembler sont largement reconnues. Son rôle serait de faire respecter ce qui a été voté, de régler les conflits tout en gardant à l’esprit que c’est le Parlement qui garde le dernier mot. Le ministre du budget devrait davantage trouver un consensus avec l’ensemble des ministres, issus de partis différents, et donc avec l’ensemble des élus. Quant aux présidents de partis, ils ne devraient avoir aucun rôle dans les décisions, sauf s’ils sont eux-mêmes élus. Leur rôle devrait être d’aider les élus de leur parti à disposer d’outils qui leur permettent de prendre les bonnes décisions, de se charger de mettre en avant les idées de leurs élus et de leurs candidats. Ils sont au service de leur parti, ils ne dirigent pas la Belgique.

Modifier le mode de scrutin

Enfin, pour que les élus soient vraiment des représentants du peuple, il faut modifier quelques petites choses dans le mode de scrutin. À l’heure des médias et d’Internet, les circonscriptions n’ont plus lieu d’être. On devrait voter pour les idées d’un candidat, peu importe qu’il vive à 50 m ou 150 km. Chaque électeur doit disposer des mêmes listes pour un même parlement ou un même conseil. Ensuite, nous élisons des hommes et des femmes. La case de tête doit disparaître. Enfin, il faut une stricte proportionnalité. Certains citoyens ne se reconnaissent plus dans les partis actuellement représentés au Parlement, il faut leur donner la possibilité d’être représenté, même s’ils votent pour un petit parti. Il faut donc supprimer le seuil des 5 %. Il faut également que les citoyens comprennent les compétences de chaque niveau de pouvoir et puisse en débattre. Il faut donc séparer les élections. Certes, cela coûte plus cher mais la démocratie et le débat d’idées vaut bien ce coût. Actuellement, les citoyens belges sont totalement privés de débat sur l’Europe et ne comprennent plus très bien qui s’occupe de quelle matière. Il faudrait cependant que les élus soient obligés de siéger dans le dernier Parlement où ils ont été élus par respect pour leurs électeurs.

Ce système est peut-être utopiste ou irréalisable et j’ignore si un pays ou une région a déjà expérimenté un tel système mais, à mes yeux, il permettrait de remettre au centre du jeu les vrais élus et de combattre l’idée que quoi qu’on vote, ce sont toujours les mêmes qui décident. Il permettrait aussi de prendre la décision la plus proche de la majorité des citoyens pour chaque sujet.

Guy Delsaut, simple citoyen

[1] Xavier Counasse, Dans le bazar de la Chambre, Vivaldi sort du lot. Le Soir, 17 février 2020.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire