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Des courants terroristes sur le sol belge ?

Un gouvernement en affaires courantes, un Etat qui se délite, la Belgique pourrait-elle être le « ventre mou » d’attaques terroristes potentielles ? Et Bruxelles, capitale de l’Europe, qui abrite aussi le siège de l’Otan, une cible privilégiée ? Pas de courant terroriste actif pour le moment, selon les « services » belges. Mais la prudence et la vigilance s’imposent.

Quel impact les événements cumulés du Maroc et du Pakistan peuvent-ils avoir en Belgique ? La question, amorcée dès l’attentat de Marrakech, a envahi tout le pôle sécuritaire de notre pays à l’annonce de la mort de Ben Laden. « Répondre, c’est d’abord dresser un état des lieux des courants terroristes présents en Belgique », explique au Vif/L’Express un professionnel du renseignement. « Or il est apaisant. Certes, il faut toujours rester prudent dans la mesure où on ne parle que de ce qu’on connaît. Mais les dernières informations montrent qu’il n’y a pas de nouvelle mouvance active ici, pour le moment. Quant aux réseaux connus, ils ont été l’objet d’un suivi très sérieux. Ainsi, la filière tchétchène et marocaine démantelée à Anvers en novembre dernier était surveillée depuis quelque temps. Les enquêteurs glanaient des infos mais, dès qu’il y a eu un mouvement suspect, les arrestations ont eu lieu. Tout cela est traité de près. »

Aucune structure

Est-ce donc le calme plat ? « Non. Des informations circulent quasi en permanence entre les  » services  » au plan international, assez souvent au départ des Etats-Unis. Chaque fois, elles sont suivies par la Sûreté de l’Etat, la police et le parquet fédéral. Mais il est vrai que cela débouche très exceptionnellement sur du concret. Bref, le seul courant « belge » qu’on pourrait évoquer aujourd’hui concernerait éventuellement un certain salafisme à tendance djihadiste. Mais il n’existe aucune structure capable de fomenter des attentats sur sol belge, voiture piégée ou autre. » Pour cet interlocuteur, bien au fait des derniers développements, la Belgique n’est « de toute façon pas véritablement une cible potentielle. D’incertains projets ont parfois été évoqués, mais nous sommes privilégiés à cet égard ». Malgré tout, la présence en Belgique d’intérêts américains et de l’Otan ne peut-elle focaliser l’attention de l’une ou l’autre mouvance ? « Comme ceux d’Israël, ces intérêts sont l’objet de mesures de protections systématiques, sans qu’il y ait pourtant de menace précise. Les intérêts pakistanais sont eux aussi surveillés. Quant à l’Otan, aucun groupuscule qui serait établi en Belgique ne serait capable d’attaquer son siège d’Evere, trop protégé. » Des cellules dormantes ne peuvent-elles être réveillées ? « L’histoire de ces  » sleeping cells  » date de trente ans, mais aucun terroriste camouflé en brave homme ne s’est jamais « réveillé » ici », poursuit ce professionnel du renseignement.

Des émeutes ?

Un risque d’un autre type a aussi été évoqué dans les services de sécurité : celui que la mort de Ben Laden susciterait des réactions violentes dans une frange extrémiste de la communauté musulmane de pays occidentaux. « On n’y croit guère mais il faut attendre quelques jours pour être fixé », nous explique un policier spécialisé. « On ne peut exclure que des esprits échauffés se manifestent à Bruxelles mais, à première vue, il s’agirait de casseurs qui suivraient d’éventuelles émeutes à Paris ou à Londres, et pas de groupes organisés autour du terrorisme. »

C’est donc sans surprise que la première réévaluation de la menace par les « services » belges n’a pas conduit l’Organe de coordination pour l’analyse de la menace à proposer au Centre de crise de l’Intérieur de hausser le niveau d’alerte (resté au deuxième de ses quatre niveaux). « Or, à l’Ocam, nous dit une personne le fréquentant, la politique en matière de sécurité est tellement celle du parapluie, chacun se couvrant, que le moindre élément de doute ferait qu’on hausserait aussitôt ce niveau. » A suivre donc, mais sans panique ? « Le plus embêtant serait la réaction d’un individu isolé, comme on l’a connu récemment avec ce Liégeois d’origine tchétchène parti faire exploser une bombe à Copenhague, en septembre dernier. Ce genre de choses est imprévisible. »

Iran et Palestine avant Afghanistan et Irak

L’indifférence serait d’ailleurs de mauvais aloi car, même sans en être la cible, la Belgique a abrité de vrais courants terroristes. Historiquement, il faudrait remonter à 1984 pour déceler le premier : un réseau chiite iranien aurait fait de notre pays sa base arrière pour l’Europe, selon les aveux fournis en 1997 par un ex-membre dudit groupe, « El Rissali ». Mais rien n’a jamais été démontré. Bruxelles a ensuite connu, en 1989 et 1990, des assassinats à vocation terroriste, dont celui du Dr Wybran (président des organisations juives de Belgique) et du recteur de la Grande Mosquée de la capitale, l’imam Abdullah al-Ahdal. Si le premier avait été revendiqué à l’époque par un groupe palestinien proche d’Abou Nidal, le Maroc a arrêté le Belgo-Marocain Abdelkader Belliraj en février 2008 en l’accusant d’en être l’auteur (ainsi que de quatre autres). Il a été condamné en juillet 2010 à Rabat notamment pour cela, mais le flou sur ces événements n’a jamais été levé.

Aucun doute, en revanche, sur la présence sur le sol belge, dans les années 1990, de structures logistiques opérant au profit de la mouvance des « GIA » (les sanguinaires Groupes islamiques armés), qui combattaient alors le pouvoir algérien. La Belgique a d’ailleurs connu trois « procès du GIA ». Figure de proue du premier, Ahmed Zaoui avait été condamné en novembre 1995 (son groupe recelait des armes à Bruxelles). Les frères El Majda, qui avaient blessé un gendarme à la grenade alors qu’ils transféraient nuitamment des fonds occultes et des armes, avaient ensuite été condamnés en avril 1998, à Neufchâteau. Enfin, Farid Melouk l’avait à son tour été, avec des complices, en octobre 1999, après avoir été arrêté en mars 1998 à Ixelles, en possession de détonateurs et d’explosifs. Melouk avait déjà été jugé en France pour sa participation aux attentats du RER parisien de 1995… Mais son groupuscule était moins centré sur l’Algérie et préfigurait une évolution.

Vers Al -Qaeda

Les liens des activistes « belges » allaient s’orienter vers la zone pakistano-afghane et ses camps d’entraînement, devenus le sanctuaire des candidats-djihadistes attirés par Al-Qaeda. Plusieurs dossiers naissent en parallèle, parfois dans la foulée immédiate des attentats du 11-Septembre. Ainsi, Nizar Trabelsi, un Tunisien établi en Belgique, est arrêté pour avoir projeté un attentat contre les militaires américains de la base de Kleine Brogel. Condamné en 2004 à dix ans de prison, il est en passe d’être extradé aux Etats-Unis. Tarek Maaroufi (qui a écopé de sept ans en 2004 aussi) avait pour sa part organisé, avec des complices, une filière de faux papiers destinée aux djihadistes. Elle avait permis à ses deux assassins d’approcher le commandant afghan Ahmed Shah Massoud, tué sur ordre de Ben Laden trois jours avant l’effondrement des tours du WTC. Parmi eux : Abdessatar Dahmane, premier époux de Malika El Aroud.

Avec d’autres complices et son second mari, Moez Garsallaoui, cette dernière allait être au c£ur d’une autre mouvance ancrée en Belgique, axée sur l’endoctrinement de candidats djihadistes et leur exfiltration (dont le jeune Français Hamza El Alami, tué au Waziristan). Elle a été condamnée à huit ans de prison en décembre 2010, à Bruxelles. Une autre mouvance, proche de la précédente, avait de son côté engendré l’existence d’une première kamikaze belge, Muriel Degauque, laquelle s’était fait exploser en novembre 2005 à Baaqouba, y tuant des policiers irakiens. Enfin, si l’on se souvient que les années 2000 ont été émaillées d’autres procès belges, notamment de membres du GICM (Groupe islamique combattant marocain) en 2004 et 2006, l’heure n’est certes pas à la panique, mais reste à la vigilance.

ROLAND PLANCHAR

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