Benoît Lutgen consulte pour former une majorité alternative. "Antidémocratique", entend-on parmi les citoyens. © NICOLAS MAETERLINCK/Belgaimage

Derrière les affaires et la crise francophone prolongée, la colère du peuple

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Les mouvements citoyens regardent, sidérés, le spectacle offert par leurs élus depuis le début de la crise francophone. Plus que jamais, ils réclament autre chose. Quitte à se réfugier dans les bras du PTB ou chercher un autre destin dans une Wallonie souveraine.

Le décompte a commencé. La crise francophone se prolonge, après la décision de Benoît Lutgen, le 19 juin dernier, de faire éclater les coalitions avec le PS. La faute à Ecolo et DéFI, qui réclament de profondes réformes de gouvernance, jusqu’à en faire un préalable à toute discussion pour les verts ?  » Olivier Maingain ne cesse de se faire désirer « , grommelle-t-on au MR, où  » l’arrogance  » du président de DéFI commence à en ulcérer plus d’un. De même, l’attitude  » ambiguë  » du CDH, qui continue à engranger avec le PS dans les majorités, interloquait, en début de semaine :  » A quel jeu jouent donc les humanistes ?  »

 » Il faut que l’on trouve une solution rapidement, glisse une autre source libérale. La première semaine, tout le monde était sous le choc. La deuxième, on a pris le temps de nouer le dialogue. Mais cette semaine-ci, il est urgent de concrétiser.  » D’autant plus urgent que  » le sentiment antipolitique ne cesse de croître « . Sondage à l’appui, montrant l’explosion du PTB. Après la vague des affaires, dans la tourmente d’une crise que beaucoup ne comprennent pas, les élus reçoivent des messages très virulents. Le ressentiment est énorme.

Un drapeau wallon lors de la marche organisée par Jean-Luc Mélenchon à la Bastille, le 18 mars dernier.
Un drapeau wallon lors de la marche organisée par Jean-Luc Mélenchon à la Bastille, le 18 mars dernier.© Nicolas Messyasz/ISOPIX

« Les gens n’y croient plus »

 » Les gens sont très pessimistes face aux solutions envisagées, ils n’y croient plus, résume Stéphane Michiels, créateur du mouvement citoyen Belvox, fondé pour tenter d’apporter des réponses concrètes aux affaires des derniers mois. Quand nous venons avec des propositions positives en matière de gouvernance via notre page Facebook, ils nous rétorquent que cela ne marchera pas parce que les politiques ont toujours fait comme ça. Et parce que ce n’est pas dans leur intérêt de changer.  » Ils sont en colère contre Elio Di Rupo, président du PS, lorsque celui-ci affirme que Publifin était un  » accident « . Et voient dans cette crise quelque chose de systémique.

Et à vrai dire, ce père de famille, qui s’est engagé après que sa fille a été choquée d’entendre à la télévision le salaire démesuré de Stéphane Moreau, CEO de Nethys, n’est pas loin de partager ce sentiment après quasi trois semaines de crise intrafrancophone :  » J’étais persuadé qu’ils tiendraient un discours plus constructif après que Lutgen a tiré la prise. Mais ils sont tout de suite retombés dans leurs petites guéguerres, « ce n’est pas moi, c’est lui », « ce sera sans lui »… Tout fait l’objet de calculs à court terme, sans vision à long terme. C’est loin de ce que l’on attend.  »

Pour les citoyens, il est difficile de comprendre, aussi, que le CDH et Ecolo pilotent les discussions depuis le début, alors qu’ils ne représentent respectivement que 13 et 4 sièges sur 75 au parlement de Wallonie. Entendu à plus d’une reprise, aussi :  » Comment se fait-il que Benoît Lutgen soit maître du jeu alors que c’est lui qui veut faire tomber le gouvernement ?  »

 » C’est antidémocratique car ils n’ont pas reçu de mandat du peuple pour ça, acquiesce Stéphane Michiels. Les gens ne comprennent pas qu’il n’y ait pas d’élections anticipées.  » Allez donc expliquer que Benoît Lutgen est à la recherche d’une majorité alternative en vertu de la motion de méfiance constructive – une coalition ne tombe que si une autre peut la replacer – et vous obtiendrez quelques haussements d’épaules entendus…  » Les gens sont déboussolés, approuve Stéphane Michiels. Certains aimeraient voir émerger une majorité CDH – Ecolo – DéFI… sans savoir que ces partis, ensemble, n’ont pas la majorité. Mais le consensus général, tout de même, c’est que le PS doit se retrouver dans l’opposition.  » C’est davantage une expression de dépit que le fruit d’une réflexion.

« Démocratiquement irresponsable ! »

Christophe Van Gheluwe (Cumuleo) :
Christophe Van Gheluwe (Cumuleo) : « Il n’y a pas de volonté de changer de logiciel politique. »© JEAN MARC QUINET/Reporters

En attendant, quelle épreuve ! Les discussions politiques sur la bonne gouvernance patinent. Fondateur de Cumuleo, le baromètre du cumul des mandats, Christophe Van Gheluwe observe, sidéré, ce qui est en train de se tramer en Wallonie et à Bruxelles.  » La situation engendrée par le retrait du CDH aurait pu constituer une opportunité, entame-t-il. Mais je suis effrayé de voir le résultat. Benoît Lutgen a quitté les majorités régionales et communautaire pour des questions de bonne gouvernance, mais les avancées obtenues à ce jour sont minuscules.  »

C’est singulièrement le cas en matière de décumul, le clou sur lequel son association ne cesse de taper. PS et MR ont freiné des quatre fers : le premier sous la pression de ses fédérations s’est limité au décumul des rémunérations, le second veut le circonscrire aux communes de plus de 50 000 habitants.  » Pourtant, régler la question du décumul entre un mandat de député et une fonction locale, cela me semble l’évidence même en matière de démocratie et de bonne gouvernance, estime Christophe Van Gheluwe. Comment est-il possible que l’on discutaille à ce point sur un sujet aussi clair ? Les partis évoquent un décumul des rémunérations ? Mais c’est du populisme. Ils n’ont donc pas compris que ce cumul posait d’autres problèmes, notamment pour les conflits d’intérêts. Et c’est le minimum minimorum. Après, il y a toutes les questions des mandats privés, des avocats d’affaires…  »

Le mouvement citoyen
Le mouvement citoyen « la Wallonie insoumise «  » a été créé le 25 juin. Principale revendication: une assemblée constituante pour refonder le système.© Twitter

En ce début de vacances, son verdict est clair :  » S’il y a autant de difficultés au sujet d’une réforme aussi basique, cela montre à quel point il n’y a pas de volonté de changer le logiciel politique. Il y a un décalage complet entre le ras-le-bol des gens et cette réticence à réformer en profondeur. Ce qui se passe est effrayant et démocratiquement irresponsable !  » Le fondateur de Cumuleo se demande d’ailleurs si l’intention du CDH était bien de provoquer un électrochoc en matière de gouvernance ou, plus prosaïquement, s’il ne voulait pas empêcher l’adoption de la mesure radicale de décumul qui était sur la table du gouvernement wallon.

 » Le MR, lui, refuse de faire de la bonne gouvernance un préalable avant de négocier les futures majorités, poursuit Christophe Van Gheluwe. Mais, pour moi, il est évident que cela doit être un préalable. Si je devais décider demain, ce serait un tsunami en matière de gouvernance. Il faut faire de notre pays un modèle en la matière, en s’inspirant d’expériences à l’étranger. Il n’y a plus de confiance entre le monde politique et les citoyens. Comment voulez-vous mener des réformes structurelles sans cela ? Il n’y a pas de confiance sans transparence. Globalement, les gens se moquent aujourd’hui de savoir quelle nouvelle majorité va voir le jour. Ils sont convaincus que, quelle qu’elle soit, elle n’accomplira pas de vraies réformes, mais des arrangements à la marge.  »

Stéphane Michiels souligne combien le désir de changement est profond :  » Le sentiment général, c’est que ce qui est sur la table ne va pas assez loin, les citoyens souhaitent la mise en place d’un système plus participatif. Ils espèrent aussi l’émergence de nouvelles forces politiques.  » Ecolo et DéFi tentent d’élever le niveau des réformes adoptées en matière de gouvernance, au risque de faire échouer les négociations pour de nouvelles majorités. Mais en dépit de discussions amorcées, il n’y a pas encore l’ombre d’un En Marche ! à la française en vue du côté francophone.  » Ma crainte, c’est qu’au bout du compte, tout cela fasse le jeu du PTB « , confie le fondateur de Belvox. C’est ce que confirme le sondage réalisé par Dedicated Research à la demande du MR, publié le 1er juillet.

« La souveraineté au peuple wallon »

Stéphane Michiels (Belvox) :
Stéphane Michiels (Belvox) : « Les gens sont très pessimistes face aux solutions envisagées. »© DR

C’est dans un contexte de crises à plusieurs étages que vient de naître à Liège, le 25 juin dernier, un mouvement baptisé  » La Wallonie insoumise « , inspiré par La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon. Il prend ses racines dans la colère citoyenne nourrie par les affaires, la domination des multinationales sur l’économie ou l’humiliation permanente de la Wallonie par la Flandre.  » L’élément essentiel à l’origine de notre mouvement, c’est le fait que le peuple soit sans cesse maintenu à l’égard du processus, déclare l’un de ses fondateurs, Patrick Olczyk. Voilà pourquoi nous réclamons une assemblée constituante des citoyens en Wallonie et la révocation des élus. Le peuple doit reprendre le pouvoir face à la caste et l’oligarchie au pouvoir. Même le PTB ne va pas aussi loin car lui défend la structure existante des partis…  » Une telle assemblée déciderait une refonte radicale du système, la redéfinition du rôle d’élu du peuple, l’introduction de droits nouveaux…  » On peut miser sur un dégagisme soft à la Macron, mais voyez le résultat : quatre ministres ont démissionné depuis son arrivée au pouvoir. Nous, nous voulons changer en profondeur.  »

Singulièrement, La Wallonie insoumise s’inscrit déjà dans une perspective postbelge. Le mouvement s’inscrit dans une histoire wallonne riche en traumatismes et en rébellions depuis la Question royale après-guerre –  » dont on a oublié la gravité « , précise Patrick Olczyk – les grèves de 1960 contre la Loi unique et le mouvement syndical d’André Renard…  » Nous voulons rendre au peuple wallon sa souveraineté, enchaîne le responsable du mouvement. Aujourd’hui, il n’a même plus la capacité de décider ce qu’il veut faire de son budget. Nous voulons approfondir la démocratie, nourrir la conscience politique du peuple et remettre les compteurs à zéro. Il y a urgence car les gens sont dégoûtés. Or, quand les dégoûtés s’en vont, il ne reste plus que les dégoûtants… « , comme le disait Paul Vanden Boeynants.

Le mouvement compte quelques centaines de sympathisants. Mais il est confiant de toucher un public plus large : une action menée en marge de la venue du Tour de France en Belgique, ce 2 juillet, a suscité de nombreuses marques d’intérêt. Il n’exclut pas non plus de présenter des listes aux prochaines élections, communales en 2018, puis régionales en 2019.  » Jean-Luc Mélenchon est attentif à ce qui se passe en Wallonie, il l’a mentionné dans ses ouvrages « , précise Patrick Olczyk. Quitte à tout remettre à zéro, pourquoi ne pas envisager un rattachement à la France ?

Désabusés face aux comportements erratiques de leurs élus, des citoyens sont désormais prêts à toutes les aventures.

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