Carte blanche

Dénoncer, pour ne pas sombrer dans l’indifférence

Ces jours-ci, en Belgique, un homme est mort en s’enfuyant, effrayé par la police. Pour autant qu’on sache, ce n’était pas un criminel, c’était juste quelqu’un qui n’avait pas les bons documents pour se trouver sur le territoire belge. Un homme décède et un ministre appelle cela un « incident regrettable ».

Ces jours-ci, en Belgique, le débat fait rage pour savoir si l’on peut ou non perquisitionner le domicile de personnes qui n’auraient fait qu’ouvrir leur porte. On menace des libertés fondamentales et un secrétaire d’État affirme que son « travail juridique est concluant ».

Ces jours-ci, en Belgique, le gouvernement fédéral se retranche derrière sa popularité pour justifier sa politique de refoulement, quel qu’en soit le coût humain.

Ces jours-ci, en Belgique, même parmi les policiers, certains estiment l’action des forces de l’ordre disproportionnée.

Ces jours-ci, en Belgique, on projette d’ouvrir un nouveau centre fermé dans la région de Charleroi, et de construire une nouvelle aile au centre de Steenokkerzeel pour y enfermer des familles avec enfants, au mépris du bon sens et des sanctions infligées par le passé à la Belgique par Cour européenne des droits de l’Homme.

Ces jours-ci, en Belgique, les gens qui réclament une politique migratoire juste et solidaire subissent des pressions et des insultes. On les accuse, à tort, de ne rien proposer de concret. Pourtant, des solutions ont été maintes fois énoncées : mettre en place un centre d’accueil et d’orientation efficient, réviser les règles de Dublin et appliquer les mécanismes de relocalisation et de réinstallation de manière proactive, se doter d’une vraie politique de migration économique à l’échelon européen, investir dans des politiques d’intégration et d’installation (en soutenant notamment l’intense travail associatif), en finir avec les centres fermés (dont l’efficacité n’a jamais été démontrée et la radicalité maintes fois dénoncée), proposer davantage de canaux de circulation sûrs et légaux… Ce ne sont que des idées parmi d’autres, qui ne résoudront certes pas tout, mais qui existent et que d’aucuns refusent ne fût-ce que d’envisager.

Débattons-en, au lieu de nous écharper sur le poids présumé de l’immigration sur notre économie – argument qui n’a jamais été étayé par aucun organisme sérieux – ou sur de prétendus risques pour notre culture ou notre identité, comme s’il s’agissait de dimensions homogènes et figées.

Quand bien même l’on se contenterait de dénoncer, sans proposer, cette posture n’en est pas moins salutaire par les temps qui courent : l’indignation est un moyen de lutter contre l’indifférence. « L’indifférence est apathie, elle est parasitisme, elle est lâcheté, elle n’est pas vie », affirmait Antonio Gramsci (enfermé de nombreuses années dans les geôles fascistes en raison de ses prises de position).

Par bonheur, ces jours-ci, en Belgique, l’espoir persiste et s’incarne dans des chaînes humaines, des cartes blanches et de multiples gestes concrets d’ouverture et de tolérance… malgré les peurs et les points d’interrogation.

Ne nous y trompons pas ! L’enjeu est bien plus vaste que de mettre fin aux dérapages verbaux de politiciens, qui polarisent l’opinion publique tout en concentrant l’attention sur eux. Le défi d’une politique migratoire juste est primordial. Si nous fermons les yeux aujourd’hui devant les atteintes aux droits des personnes migrantes, nous les fermerons aussi devant d’autres formes de discriminations (envers les femmes, les chômeurs, les SDF, les personnes âgées…). C’est là le véritable enjeu : parvenir à créer les conditions pour que chacun.e s’épanouisse, quelle que soit son origine, la couleur de sa peau, son sexe, sa religion, son âge…

Renato Pinto

Animateur en éducation permanente

Membre du Collectif « Solidarité 6000 migrant.e.s »

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