Denis Gérardy, directeur et programmateur du BSF, se défend de pousser les cachets à la hausse. © PHILIPPE CORNET

Denis Gérardy, boss de BSF

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Le sérésien Denis Gérardy est depuis seize ans programmateur du Brussels Summer Festival et depuis trois ans, son directeur : alors que débute l’édition 2017, il nous parle musique, politique et ville, trio par essence compliqué.

Denis Gérardy débarque en moto italienne à Flagey, courtois. Mécanique de défense yoga cool face aux critiques adressées au BSF (1), supposée créature du monde politique ? On penche davantage pour une  » honnêteté « , dixit le concurrent promoteur d’un autre grand festival bruxellois : terme pour le moins rare dans un milieu dopé au néolibéralisme. Marche ou crève, fais une surenchère pour avoir tel artiste ou tu te le feras faucher. Pour comprendre la méthode Gérardy, né le 18 octobre 1965 à Seraing, il faut rappeler les fondamentaux : parents de gauche ( » originaires de Flémalle, socialistes qui s’en sont un peu éloignés avec le temps et l’âge mais sinon, c’était rouge « ), instituteurs dans le bassin sidérurgique liégeois, et grands-parents ouvriers à Cockerill et au Val Saint-Lambert. Denis, lui, étudie la communication sociale à Liège puis à l’Institut du journalisme à Bruxelles, bosse comme chargé de reportages à Antenne soir (RTBF), tâte de l’info radio, fait des piges. Classiquement, la musique berce l’athénée liégeois et  » toute cette bande ayant formé des groupes comme Loop The Loop, Marketing Zo, Where Is China « . Avec une idée vite mise en pratique : faire du booking de jeunes groupes. D’où la rencontre, au club La Fraternité de Malmedy, de Jean Steffens, futur codirecteur des Francofolies de Spa, qui organise des thés dansants, tendance rock.

Les Trois Baudets

Via son asbl Musicolor, Denis Gérardy produit aussi des spectacles pour jeune public, cartonne avec Sam Touzani ou Mousta Largo et fait tourner en Belgique les Français de Sinsemilia ou La Grande Sophie. En 2013, il met fin à son travail d’agent et laisse partir, notamment, Zaz, sa perle commerciale :  » Je la vois chanter dans la rue à Montmartre, je lui donne ma carte de visite, je ne la connaissais absolument pas. Deux ans après, ayant signé un contrat discographique, elle me fait appeler pour savoir si on peut travailler ensemble. Je ne savais plus qui c’était. On a commencé par de toutes petites dates au Goupil Le Fol à Bruxelles, puis on a fait une Rotonde au Botanique, le Cirque royal et Forest. Et si je ne suis pas plus blanc qu’un autre, un moment, j’ai arrêté d’être agent de groupe en même temps que programmateur de festival, simplement parce que là, il y avait un conflit d’intérêts. « 

Début des années 2000, Marion Lemesre, alors échevine de la culture de la Ville de Bruxelles, lance Le Festival d’été de Bruxelles (devenu l’Euritmix en 2002) puis Brussels Summer Festival en 2007. Denis Gérardy devient le programmateur du BSF  » pour presque rien les cinq premières années, mais j’ai trouvé que c’était une belle expérience de travailler sur Bruxelles « , et ce malgré la  » froideur des Bruxellois par rapport à la chaleur liégeoise « . Reniflant le terrain musical, l’intéressé s’associe bientôt à deux entrepreneurs français pour présenter une candidature commune à la gestion des Trois Baudets, mythique salle parisienne où Brel, notamment, a usé ses premières chansons.  » On est en 2007 et pour constituer la société à responsabilité limitée par la Ville de Paris, qui organise l’appel d’offres, j’y mets 15 000 euros, mes économies. « Entre-temps, il a managé Pierre Rapsat de 1998 à sa mort, en 2002. Le chanteur verviétois et l’aventure des Trois Baudets façonnent son apprentissage du  » métier « .Avec sa boîte Libertad Music, sprl créée à la suite d’un contrôle fiscal, Paris est pour Denis Gérardy un investissement comme un moyen d’accueillir des artistes français en Belgique.

La recette propre du festival est de plus de 60 %, le reste provient de sponsors privés ou de subsides.
La recette propre du festival est de plus de 60 %, le reste provient de sponsors privés ou de subsides.© Philippe Cornet.

Où est la politique ?

 » Les Liégeois sont des débrouillards et j’ai essayé de trouver des modèles économiques qui pouvaient fonctionner, mais je n’ai jamais eu qu’un employé. Mes parents désespéraient que je devienne enseignant comme eux et ma soeur…  » Désormais salarié par le BSF à mi-temps et parallèlement indépendant, Denis Gérardy précise son statut lorsqu’on cite le nom de Philippe Close, le nouveau bourgmestre bruxellois très impliqué dans la politique culturelle de la Ville, via le Palais 12, La Madeleine, le feuilleton du Cirque royal (2) et, bien évidemment, le BSF par l’asbl Festival des musiques :  » Je ne suis absolument pas encarté et, depuis mes 23 ans, j’ai compris que je ne devais pas être attaché à un parti. Ma référence, c’est le premier septennat de Mitterrand, le personnage politique qui m’a le plus fasciné, avec aussi Jack Lang qui a donné à la culture quelque chose qu’on n’a jamais eu en Belgique. Alors, je suis peut-être de gauche, mais je n’ai jamais cru à la social-démocratie, c’est ce qui m’a un peu éloigné du mitterrandisme. Je ne crois d’ailleurs plus vraiment aux notions gauche-droite et ai apprécié de travailler avec Richard Miller (MR), qui a été un bon ministre francophone de la Culture. « 

Depuis mes 23 ans, j’ai compris que je ne devais pas être attaché à un parti

Lorsqu’on précise la question sur les rapports entre culture et politique, dans le contexte pour le moins électrique de la Ville de Bruxelles, le boss du BSF répond :  » J’ai appris à composer. Si les gens viennent avec des projets qui permettent d’avancer, en Belgique francophone, on n’a pas d’autre choix que de travailler avec les politiques. Ou alors, c’est le modèle flamand à la Herman Schueremans (NDLR : monsieur Werchter, patron de Live Nation Belgique) qui m’a dit un jour qu’il n’avait jamais eu un euro de subsides pour Werchter. Côté francophone, il n’y a pas de festival ou de centre culturel qui ne soit pas subsidié : qui dit subsides, dit rapports avec le pouvoir politique.  » Preuve peut-être qu’il se méfie de l’institutionnalisation, après trois mois de gestion du Palais 12 et de la Madeleine à l’automne-hiver 2016, Denis Gérardy décline le job à long terme :  » Le BSF nécessite beaucoup de boulot et puis, ce n’est pas le même métier, je ne suis pas fait pour gérer au quotidien des salles comme celles-là. Et c’est là que mon expérience de cinq ans aux Trois Baudets revient : c’est pour ça que j’aime tellement La Madeleine et ses 1 350 places. « 

Un moyen de ne pas être complètement vampirisé par le politique ?  » C’est un terme qui m’agace un peu… Où est la politique là-dedans ? J’ai toujours dit à Philippe Close, qui est un ami, ou à Charles Gardier (NDLR : copatron des Francos, membre du MR) : ne croyez pas que les événements ou les festivals vont vous permettre d’attirer des voix ! Je ne suis pas sûr que Carlo Di Antonio soit devenu ministre parce qu’il a fait Dour. Le citoyen s’en fout de savoir qui gère la salle. Jamais Brussels Expo ou Le Festival des musiques ne m’ont donné une ligne éditoriale à suivre et c’est une liberté qui n’a pas de prix. Et quand le BSF doit faire face à un déficit important en 2013, 400 000 euros, la Ville n’éponge pas ; il faut donc trouver une solution. Brussels Expo, qui rapporte de l’argent grâce aux salons, veut mettre des fonds, et il a du personnel : si on peut mutualiser les forces, pourquoi pas ? Donc, on a passé une convention avec Brussels Expo qui coproduit depuis lors le BSF avec l’asbl Festival des musiques, qui, elle, garde tout ce qui est artistique.  »

Le programme ne se veut
Le programme ne se veut « ni jeuniste ni alternatif ». « On doit proposer au public des choses qu’il écoute, comme des choses qu’il n’écoute pas ».© PHILIPPE CORNET

Contre la gratuité

 » Un moment, j’ai dit qu’il fallait arrêter les concerts gratuits, les spectacles offerts sur la Grand-Place. Il y avait peut-être une concurrence déloyale avec d’autres festivals, même si on n’avait pas les mêmes artistes, et la musique ne peut pas être gratuite : pour la Ville de Bruxelles, cette gratuité était bien sûr attractive puisqu’elle ramenait des gens.  » Mais la première année du nouveau système, en 2008, qui mêle payant et gratuit, est un échec : AaRON vend à peine 1 700 billets pour la place des Palais. Néanmoins, le rythme de croisière – payant – et le succès s’installent. Comme la rumeur : le BSF pousse les cachets à la hausse. Denis Gérardy dément :  » Non, ce n’est pas vrai mais lorsqu’on remplit la place des Palais, qui peut contenir jusqu’à 14 000 personnes – chose faite pour IAM ou Lost Frequencies -, on peut se permettre des cachets hors de portée des Nuits du Botanique, question de jauge. J’ai pour principe de ne pas dépasser les 100 000 euros, sauf cette année pour les Pet Shop Boys. J’ai une enveloppe artistique de 950 000 euros sur un budget de 2,6 millions : c’est moi qui ai voulu rendre les budgets publics parce qu’on a trop dit que le festival était payé par la Ville. La recette propre est de plus de 60 %, le reste provient de sponsors privés et de subsides, ces derniers représentant 450 000 euros, pas seulement de la Ville mais aussi de la Région bruxelloise et de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Avec cette dernière, le contrat-programme précise qu’on doit avoir un volet de musiques urbaines et engager un certain nombre de groupes issus de la FWB.  »

Répondant au choix d’un festival éclectique, voire  » fourre-tout « , Denis Gérardy défend une ligne qui se veut  » ni jeuniste ni alternative « .  » Et s’il y a de l’argent public, on doit aussi proposer au public des choses qu’il écoute, comme des choses qu’il n’écoute pas. Je m’inspire un peu du Paléo de Nyon où, un jour, j’ai vu Springsteen et le lendemain, Charles Aznavour. Ça a été un long travail de crédibiliser le BSF et, cette année, il y a de nombreuses exclusivités comme Feist sur la place des Palais.  »

(1) Le BSF a lieu du 6 au 15 août avec, entre autres, Pet Shop Boys, Feist, The Jesus And Mary Chain, Puggy, The Divine Comedy, Orbital, Jain. www.bsf.be

(2) Le 29 juin dernier, la cour d’appel de Bruxelles, à la suite de l’action en référé par le Botanique et son partenaire le Sportpaleis, refuse à Brussels Expo la reprise du Cirque royal, parce que la procédure entamée par la Ville de Bruxelles est « entachée d’irrégularités ».

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