Jan Cornillie

Démission Milquet et Galant: « Voici comment supprimer les cabinets »

Jan Cornillie Directeur du bureau d'étude du sp.a

Les démissions de Joëlle Milquet et de Jacqueline Galant ont ravivé le débat sur le sens et le non-sens des cabinets ministériels . « Si on souhaite vraiment dégraisser les cabinets, nous devons bien nous préparer aux trois conséquences d’une telle décision », écrit Jan Cornillie (sp.a).

Il est rare que deux ministres démissionnent en une semaine. Dans les deux cas, leurs cabinets ont joué un rôle important. Après la démission de Joëlle Milquet, Marc Hooghe a plaidé en faveur de la suppression des cabinets dans le quotidien De Standaard. Il estime que la confusion entre l’intérêt du parti et l’intérêt public existera toujours. Selon lui, un code déontologique ou un statut plus indépendant pour les collaborateurs ne servira à rien.

La discussion me refait penser à 2009. À l’approche des élections, les hauts fonctionnaires flamands ont abouti à la conclusion que les cabinets entravent une meilleure gestion. Dans ce cadre, j’ai été invité à un débat de Movi, le réseau de management au gouvernement flamand, où je devais jouer le « bad guy » et je devais défendre les cabinets.

Ils étaient très étonnés d’entendre que pour moi aussi, la suppression était envisageable. Cependant, j’ai immédiatement ajouté que dans un tel scénario le rôle de hauts fonctionnaires et de ministres change du tout au tout. Si l’on souhaite que le dégraissage de cabinets soit vraiment un succès, nous devons contrer les trois conséquences d’une telle décision.

Sans cabinet, le ministre devra mieux gouverner

1. Sans cabinet, le ministre devra mieux gouverner

Pour entrer en ligne de compte comme ministre, il faut être un faiseur de voix et avoir du talent pour gouverner. À mon avis, sans cabinet, ce talent pour gouverner deviendra décisif.

Joëlle Milquet a dû démissionner après huit ans parce qu’elle a engagé des collaborateurs pour sa campagne électorale. Mais sans cadres pour compenser son chaos administratif, elle n’aurait probablement plus été ministre depuis longtemps. Jacqueline Galant a dû démissionner parce que son cabinet était bel et bien au courant d’un rapport dont elle a fait dire au premier ministre (!) que le gouvernement n’était pas informé. La question se pose si sans cabinet, elle n’aurait pas été mise en difficultés plus tôt suite à son conflit permanent avec le président du SPF Mobilité Laurent Ledoux.

Sans cabinet, un ministre doit s’assurer lui-même d’un bon soutien de la part des services publics. À première vue, un portefeuille de ministre peut paraître angoissant. Un politique est en effet élu pour son programme et sa personnalité, mais comme ministre il est jugé sur sa politique. Et pour cette politique, il faut retomber sur une équipe de managers d’état qu’il n’a pas choisie, et qu’il ne connaît peut-être pas.

D’après Michael Barber, qui a assisté le gouvernement Blair pour les résultats de sa politique, il faut trois à quatre ans pour qu’un nouveau ministre s’approprie la machine politique. C’est-à-dire en fin de mandat, il connaît les ficelles du métier. C’est cette constatation qui a mené à la création d’un « delivery unit » dans le second gouvernement Blair. Concrètement, cela signifie : « D’accord, vous promettez plus d’écoles, mais comment être sûr que le processus proposé par le service public mène effectivement à la construction de ces écoles ? » Sans cabinets, les ministres ont besoin de quelqu’un qui les assiste dans l’évaluation de procès politiques et de managers publics chargés des processus. Sinon, vous êtes livré à une machine politique sur laquelle vous n’avez pratiquement pas d’influence.

Mais même si les ministres dirigent très bien leurs cabinets sans départements, il est toujours possible d’avoir un conflit avec un ou plusieurs hauts fonctionnaires. À présent, les cabinets font le contrepoids de sorte qu’un ministre puisse tout de même gouverner et que le haut fonctionnaire puisse rester. Quand le ministre doit pouvoir compter sur leur loyauté et au besoin l’exiger, il y a une plus grande rotation de hauts fonctionnaires. Dans d’autres pays, un nouveau gouvernement entraîne automatiquement une nouvelle direction pour le service public ou une sélection parmi un pool de hauts fonctionnaires.

2. Sans cabinet, les hauts fonctionnaires devront faire plus de politique

Sans cabinets, les hauts fonctionnaires devraient faire plus de politique. Pas leur propre politique bien entendu, mais celle de leur ministre compétent. J’ai compris cela quand j’ai vu ce que faisaient nos collègues néerlandais. Brièvement expliqué : les managers d’état écrivent un rapport avec ce que le gouvernement devrait faire selon eux. En revanche, les fonctionnaires néerlandais écrivent trois liasses avec ce que feraient respectivement un cabinet de centre droit, de centre gauche et de centre selon les programmes de parti.

La primauté de la politique ne signifie pas nécessairement que l’on puisse gouverner avec ses propres gens, mais qu’on peut imposer sa propre politique. Et alors la conséquence est simple : sans cabinet les managers d’état ne peuvent rester neutres. On ne peut, en effet, être à la fois politiquement vierge et mère de décisions du gouvernement.

Deuxièmement: dans un paysage administratif cloisonné comme le nôtre, il faut des joueurs pour initier, rassembler, gouverner et structurer des décisions. Il faut coordonner les politiques, certainement dans la phase décisionnelle et particulièrement dans une coalition de plusieurs partis. En Belgique, il n’y a pas de service public porteur d’état, qui structure, coordonne et relie la politique du gouvernement en largeur et en profondeur. Dans d’autres pays, c’est la chancellerie du premier ministre, le ministère des Finances ou le président qui joue ce rôle. En Belgique, ce sont les partis. Le surmenage du MR prouve que l’occupation de nombreux postes ne suffit pas pour être porteur d’état. Le CD&V, qui lui est porteur d’état, ne peut ou ne veut pas jouer ce rôle dans la coalition. Sans cabinets, il faut un joueur administrateur fort qui puisse gouverner avec les autres services publics et tout le gouvernement.

3. Sans cabinet, il faut une autre approche pour acquérir de l’expérience

Le fait qu’autant de managers publics aient entamé leurs carrières aux cabinets n’est pas vraiment une question de relations politiques. En Belgique, c’est presque la seule façon d’acquérir rapidement de l’expérience politique.

Sans cabinets, cette expérience et la route rapide vers la responsabilité politique disparaissent. On ne peut espérer que de jeunes fonctionnaires attendent vingt-cinq ans pour grimper au sommet. En France vous avez l’École Nationale de l’Administration, dans d’autres pays on est promu plus vite. Sans cabinets, nos services publics devront développer de nouveaux instruments dans la guerre de la recherche des talents.

Pour moi, il ne faut pas nécessairement supprimer les cabinets, même s’il vaut mieux les dégraisser. Un mini cabinet de cinq collaborateurs devrait suffire. Les étapes pour y parvenir sont les mêmes : renforcez le talent administratif de ministres, faites en sorte que les hauts fonctionnaires participent à la politique de leurs ministres et créez un raccourci vers les hautes responsabilités pour les jeunes talents.

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