François Brabant

Déchéance de nationalité : ne pas créer une catégorie de sous-Belges

François Brabant Journaliste politique au Vif/L'Express

Le gouvernement fédéral veut favoriser la déchéance de nationalité pour les djihadistes belges. Ce faisant, il s’aventure sur un terrain glissant.

Trois phrases malencontreuses au bout d’une interview qui portait sur un tout autre sujet, une comparaison foireuse, et bardaf, c’est l’embardée, la sortie de route politico-médiatique. Il n’a pas fallu douze heures pour que le Vervoort-bashing s’invite sur toutes les chaînes de télévision, dans tous les journaux, dans tous les partis, y compris au PS, où Paul Magnette et Rudy Demotte ne se sont pas privés pour cogner dur contre l’impudent (la politique est un jeu cruel). Voilà le ministre-président bruxellois dans de bien sales draps.

Pas question ici de soutenir que les propos de Rudi Vervoort étaient un monument de subtilité. Ils ne l’étaient pas. Mais tout de même : la légèreté avec laquelle certains membres du gouvernement fédéral projettent de faciliter le recours à la déchéance de nationalité devrait faire réfléchir tous les démocrates. La coalition de Charles Michel s’engage là sur un terrain très marécageux.

Deux précisions. Primo : à ce stade, le gouvernement n’a encore rien décidé, et les informations les plus contradictoires circulent sur ses intentions. Secundo : la législation actuelle permet déjà de déchoir de leur nationalité belge certains individus, à la condition qu’ils aient été naturalisés après leur naissance et qu’ils se soient conduit de façon gravement incivique.

Compte tenu de l’intensification des menaces terroristes, le gouvernement souhaite renforcer l’arsenal répressif. Why not. Une ligne rouge serait cependant franchie s’il devait autoriser la déchéance de nationalité pour des citoyens qui sont nés belges. En effet, si l’on y réfléchit bien, la déchéance de nationalité ne revêt pas du tout le même sens selon qu’elle s’applique à des étrangers devenus belges à un moment de leur vie ou à des personnes belges depuis leur naissance.

Au nom de quel principe des personnes nées belges pourraient-elles être déchues de leur nationalité ?

La déchéance de nationalité n’est jamais un procédé glorieux. On ne peut en aucun cas banaliser cet acte. Dans certaines circonstances exceptionnelles, pour des étrangers naturalisés belges, la décision peut toutefois se justifier. La sanction revient alors à dire à l’individu fautif : « Nous vous avons admis au sein de notre communauté. Malheureusement, par vos agissements, vous avez sali l’honneur du pays. Vous vous êtes placé vous-même en-dehors du corps national. Par conséquent, nous défaisons les liens par lesquels nous nous étions unis à travers le pacte de la naturalisation. »

Au nom de quel principe, par contre, des personnes nées belges pourraient-elles être déchues de leur nationalité ? Sous prétexte que leurs parents, leurs grands-parents ou leurs arrière-grands-parents ne sont pas nés à Zottegem ou à Rochefort, mais bien à Casablanca ou à Abidjan ? Accepter ce type de raisonnement reviendrait de facto à entériner l’existence d’une catégorie de sous-Belges, des gens qui portent la même nationalité que nous, mais qui, au fond, ne seront jamais admis de façon entière et irréversible au sein de la communauté nationale. Ce serait aussi induire l’idée dangereuse d’un corps national se purifiant de ses éléments déviants. Chaque société doit assumer ses délinquants, y compris quand ce sont des djihadistes sanguinaires, plutôt que s’aveugler en s’imaginant que ces « barbares » nés chez nous n’ont rien à voir avec nous.

Si le gouvernement Michel s’obstinait à mettre un doigt dans un engrenage aussi pernicieux, ce serait une terrible déchéance pour la démocratie belge, beaucoup plus que pour Rudi Vervoort.

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