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Début du procès du meurtre de Sadia Sheikh ce lundi

Ce 21 novembre débute, à Mons, le procès des parents, du frère et de la soeur de Sadia Sheikh, une jeune femme charismatique qui échappait aux normes de sa famille pakistanaise.

C’est une histoire à la fois banale et terrible qui sera évoquée devant les assises du Hainaut, à Mons. Mahmood Sheikh Tariq, 62 ans, a vécu davantage en Belgique qu’au Pakistan, son pays natal. Arrivé à Bruxelles à l’âge de 24 ans, il est déjà en mesure, trois ans plus tard, de faire venir une épouse du Pakistan, Parveen Sahida, aujourd’hui âgée de 59 ans. Ses affaires tournent bien. Il ouvre plusieurs commerces à Schaerbeek, Ixelles, Etterbeek. Puis un car-wash, à Lodelinsart, où il s’installe. La famille compte à présent cinq enfants : deux filles mariées, un garçon, puis encore deux filles. Sadia – la victime du procès – est l’avant-dernière de la tribu, 20 ans, jolie, gaie, affectueuse mais tiraillée entre les traditions familiales et son émancipation apparente. Etudiante en droit à l’Université du Travail, elle ne porte pas le voile, est apparemment libre de ses allées et venues. Le 22 octobre 2007, son frère Mudusar, alors âgé de 23 ans, a tiré sur elle à bout portant. Elle décède deux jours plus tard, provoquant une houle d’émotion sans pareille dans le pays de Charleroi. Sadia devient ainsi le symbole des jeunes filles d’origine étrangère victimes du machisme de leur culture d’origine.

La jeune fille avait beaucoup d’amies et de confidents, qui suivaient pas à pas ses démêlés familiaux. Le petit ami pakistanais, la grossesse, l’avortement. Ses fugues pour se protéger des violences physiques et psychologiques infligées par des membres de sa famille. Son fort attachement à celle-ci. Puis les fiançailles cachées avec un jeune homme belge, Jean N., alors qu’elle est promise à un cousin pakistanais. Elle refuse ce mariage, malgré la cérémonie religieuse célébrée à distance par webcam. Sa « méconduite » compromet tout l’échafaudage familial – le mariage de son frère avec une jeune fille pakistanaise -, ainsi que la réputation des Sheikh, incapables de tenir leurs engagements et surtout leurs femmes. Après la mort de Sadia, les compteurs seront remis à zéro, le déshonneur effacé.

Un procès test

Avec l’arrivée de migrants issus de pays où les crimes d’honneur sont répandus (Turquie, Pakistan, Afghanistan…), plusieurs pays occidentaux (Danemark en 2006, Allemagne en 2010, et la province canadienne du Québec en 2011) ont connu de « grands » procès. En 2008, la police fédérale avait avancé qu’un crime d’honneur se commettait tous les quatre mois en Belgique. L’affaire Sheikh est-elle destinée à faire date dans l’histoire judiciaire de notre pays ? L’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, représenté par Mes Marc Preumont et France Blanmailland, s’est constitué partie civile et compte mettre en évidence la dimension discriminatoire de ces affaires dont, invariablement, les femmes sont les victimes. « La pratique du mariage forcé existe pour les hommes comme pour les femmes mais, dans l’hypothèse d’un refus, les réactions à l’égard de l’homme ou de la femme vont être différentes, expose Me Preumont. Pour les femmes, cela peut aller jusqu’à la mort. »

Le parquet général de Mons accuse les membres de la famille Sheikh d’avoir tenté de contraindre Sadia au mariage et d’avoir prémédité sa mort, en y procédant (dans le cas de Mudusar) ou en y coopérant directement, avec la circonstance aggravante que le « mobile du crime » est la « haine, le mépris ou l’hostilité à l’égard d’une personne en raison [ NDLR : suit une longue énumération de motifs de discrimination] de son ascendance, de son origine nationale ou ethnique, de son sexe […] ». Un procès test, selon Me Preumont : « C’est la première fois, à ma connaissance, que sera mis en £uvre l’article 405 quater introduit dans le Code pénal en 2007 et modifié en 2009, pour ajouter les convictions syndicales à la liste des mobiles de discrimination, qui peuvent constituer une circonstance aggravante ou une incrimination particulière. » On entendra également le Pr Simon Petermann (ULg), qui viendra souligner, notamment, la part que prennent les mères dans l’organisation des crimes d’honneur. « Qu’il y ait une dimension d’honneur dans cette affaire, je ne le nie pas mais le procès ne doit pas devenir un colloque sur les crimes d’honneur, s’agace Me Michel Bouchat, avocat de Mahmood Sheikh Tariq, le père de Sadia. En revanche, je conteste qu’il y ait eu un complot familial. »

Un faisceau de présomptions

L’hypothèse d’une entente familiale en vue d’éliminer Sadia repose sur plusieurs éléments : l’incohérence des témoignages de Mudusar et de sa s£ur Sariya, alors âgée de 18 ans, présente sur le lieu du crime ; les coups de téléphone échangés entre les membres de la famille ; l’aide apportée à Mudusar lors de sa cavale ; les déclarations de Nadeem Sheikh, le mari et cousin germain d’une s£ur aînée de Sadia : « Avec tout ce que j’ai entendu, a-t-il déclaré aux enquêteurs, je pense que le père de Sadia, pour son honneur, voulait éliminer le problème… », « … le fait que Sadia soit morte éliminait le problème », « Ce que je sais, c’est qu’ils ont incité indirectement Mudusar à faire ce qu’il a fait… »

De son côté, Mudusar, défendu par Me Michaël Donatangelo, revendique le caractère isolé et colérique de son geste. Dans une sorte de testament rédigé douze jours avant les faits, le jeune gradué en marketing et management gémissait : « Les filles doivent arrêter avec cela. Les GSM, les mails, les copains… Une fille doit être chaste… C’est un honneur pour le frère que sa s£ur soit chaste ! J’ai pensé à la scène et cela me fait froid dans le dos. Je ne veux pas devenir un assassin, après je partirai à Liège. La vie ici, c’est le paradis des non-musulmans, c’est le bas monde… Je serai recherché toute ma vie, quand on commet un crime, c’est normal de purger sa peine… J’emporte 500 euros avec moi. Je ne veux pas tomber dans le grand banditisme… Je romps tous les liens avec mon entourage… On oublie tout ce que nos parents nous ont enseigné ! Je veux mettre fin à ce scénario. J’ai pété un câble, je ne veux pas devenir un criminel ! Nous devons espérer Inch Allah que nous nous retrouverons tous au paradis… »

La manière dont Sadia aurait été piégée est détaillée dans l’acte d’accusation d’Alain Lescrenier, avocat général près la cour d’appel de Mons. C’est Mudusar qui a joué les intermédiaires pour encourager sa s£ur à reprendre contact avec sa famille (elle vivait en kot à Mons). Le 14 octobre, il avait appris l’existence du fiancé, Jean N., et, avec ses parents, ils en avaient longuement discuté dans la cuisine. Sadia passe le week-end des 20 et 21 octobre chez ses parents, dans l’espoir de leur faire accepter son mariage avec Jean. Lundi, elle doit encore revenir manger à la maison. Sur le coup de midi, Mudusar conduit ses parents chez leur fille Fozya (l’épouse de Nadeem), puis va chercher Sadia à l’Université du Travail. Sariya les attend à la maison. D’après l’enquête, la victime a été abattue dans un laps de temps très court, dès son entrée dans la maison. Elle portait toujours son manteau et son écharpe. Les blessures légères de sa s£ur Sariya ne peuvent s’expliquer, d’après les experts, que parce que la jeune fille se serait placée derrière Sadia pour l’empêcher de fuir, écopant d’une balle « ressuyée », c’est-à-dire ayant déjà traversé un corps. La cavale de Mudusar ne dure guère. Il est arrêté au lac de l’Eau d’Heure et il avoue les faits, sous son entière responsabilité.

MARIE-CÉCILE ROYEN

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