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De la fête au cauchemar: retour sur un 11 juillet pourri pour la N-VA

Muriel Lefevre

La N-VA prétend n’avoir rien su de la vie privée chahutée de son Président du Parlement flamand. La gueule de bois après la démission de Kris Van Dijck n’en est que plus sévère. Retour sur une journée en enfer.

«  »What the fuck? », entend-on dans l’assemblée présente en ce 11 juillet dans l’hôtel de ville de Bruxelles. Coup de tonnerre en Flandre. Ce qui est traditionnellement un jour de fête a viré au cauchemar pour la N-VA. Juste après midi, des dizaines d’écrans de smartphones s’allument dans la salle où l’ambiance est légèrement assoupie par l’ennui. Alors que le président du parlement flamand s’exprime devant un parterre de personnalités politiques, à l’occasion de la Fête flamande, « P-Magazine » publie un article sur son site internet qui va faire l’effet d’une bombe. « Le président flamand du Parlement flamand a payé une fille de plaisir avec vos sous ». Regards surpris et messes basses remplies d’incrédulité s’échangent dans l’assemblée. On parle de l’homme qui se tient devant eux et pour qui c’est le moment le plus important de sa carrière. Et il est clair qu’il n’est au courant de rien.

Pendant qu’il déroule son discours, la presse et les politiciens présents découvrent effarés, sur leurs smartphones, les détails de la relation du Président du Parlement flamand avec une prostituée et la façon dont il serait intervenu en sa faveur dans un dossier de faillite frauduleuse. La prostituée, qui se fait appeler Escort Lynn, aurait bénéficié de la faillite de la société E-Media qui l’avait recrutée avant de rapidement mettre la clé sous le paillasson. Cette faillite devait, selon P-Magazine, lui permettre de bénéficier du chômage et d’une couverture sociale. « Escort Lynn » s’est adressée au FFE, soit le Fonds d’indemnisation des travailleurs licenciés en cas de fermeture d’entreprises, afin d’obtenir une indemnité de 26.000 euros. Elle a finalement reçu 5.239 euros. Dans ce dossier, M. Van Dijck est intervenu auprès du ministre de l’Emploi, Kris Peeters, fraîchement nommé, pour faciliter le traitement du dossier. Le magazine publie aussi le contenu de deux courriels entre M. Van Dijck et son amante qui évoquent cette intervention. L’ex-cabinet a confirmé, preuve à l’appui, avoir reçu un courriel du député flamand en novembre 2014, mais a assuré n’être jamais intervenu sur le fond du dossier, se bornant à lui transmettre en mars 2015 la décision prise par le FFE.

La fuite

Avant même que la presse ne le mette sur le gril, Kris Van Dijck va quitter l’Hôtel de Ville de Bruxelles précipitamment, à la seconde où il finit son discours. Dès cet instant tout le monde sait que sa carrière politique est condamnée. Il n’aura d’autre choix que d’annoncer sa démission quelque temps plus tard. « Les récents événements font qu’il m’est devenu impossible d’agir en tant que président du Parlement flamand (…) Je n’ai jamais rien fait qui n’aille à l’encontre de la loi. Ceux qui me connaissent un peu le savent. Les allégations de ce jour sont totalement incorrectes », a ainsi affirmé M. Van Dijck. Interrogée par VTM, l’épouse de M. Van Dijck indique que le couple déposerait plainte contre P magazine qui évoque abusivement, selon elle, le terme de « fraude ».

Visiblement, à la N-VA on ignorait tout ou presque de la vie privée de Kris Van Dijck. Pour preuve les visages de Theo Francken et de Ben Weyts qui reflétaient à la fois la surprise et la perplexité. Le parti semble à ce point estomaqué qu’il a pu donner l’impression d’avoir été légèrement à la dérive, alors que leur chef Bart De Wever est en Colombie. Pourtant, comme le fait remarquer De Morgen, la veille au soir, des rumeurs circulaient au sein de la N-VA à propos de Van Dijck, qui aurait outrepassé ses compétences. Mais personne n’a pris au sérieux ces ragots. La réaction de Pol Van Den Driessche, communiquant estampillé lieutenant loyal de Bart De Wever, l’atteste: lorsqu’on lui pousse l’article sous le nez : « je ne sais rien à ce sujet ».

Une semaine qui commençait déjà mal

C’est le second scandale auquel la N-VA doit faire face en moins d’une semaine. Mercredi 3 juillet, Van Dijck est contrôlé positif à l’alcool dans sa propre commune de Dessel. Avec un taux à 1,42 %, presque trois fois plus que ce qui est autorisé, il emboutit une remorque en stationnement. La nouvelle ne sera publiée que ce dimanche 7 juillet. Van Dijck s’excuse, promet de visiter un centre de réhabilitation pour les victimes de la route et la N-VA fait bloc derrière son Président du Parlement. Le mercredi 10 juillet, la tension monte d’un cran quand on apprend que plus de deux heures se sont écoulées entre la collision et le test d’alcoolémie. Ce qui pourrait indiquer que son taux d’alcoolémie était encore plus élevé. Dans son discours du 11 juillet, Van Dijck fera d’ailleurs à nouveau amende honorable. « Je m’excuse encore une fois pour mon comportement irresponsable », dira-t-il. « Je ne peux pas revenir en arrière. » Il a alors l’air sincèrement contrit, bien que transparaisse la fierté d’être là. Lui qui compte 24 ans de carrière en tant que député flamand, a acquis une excellente réputation tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du parti. Dans son style typique de maître d’école – il parle fort et de façon très articulée – l’ancien professeur appelle les négociateurs du gouvernement à donner au peuple flamand une politique décisive.

De la fête au cauchemar: retour sur un 11 juillet pourri pour la N-VA

Pourtant, lui ne pouvait ignorer que d’autres problèmes plus graves rodaient au-dessus de sa tête. Cela faisait déjà quelques jours que les rumeurs lui prêtaient une relation avec un call girl. Début juin, Het Laatste Nieuws avait publié un article sur deux politiciens qui étaient les clients de la fameuse Lynn. Ils ont été filmés en secret. Bien que l’affaire a été entendue à huis clos et que les deux hommes politiques eux-mêmes n’aient pas porté plainte, leurs noms n’ont pas été gardés secrets. Plusieurs journalistes et politiciens savaient depuis des semaines que le politicien Kris Van Dijck était l’un des clients. Mais comme rendre visite à une call-girl n’est pas punissable, cela n’a pas été publié par respect pour sa vie privée. Pas même lorsque Van Dijck est devenu président du Parlement flamand le 18 juin. Personne n’ignorait pourtant que ce n’était qu’une question de temps pour que cela éclate au grand jour. Le couperet est donc tombé hier, lorsque P-Magazine ajoute une dimension supplémentaire à l’histoire avec un mail montrant que Van Dijck avait facilité le traitement d’une faillite pour la femme en question.

Imprudence de la N-VA

Bien que, pour l’instant, il ne semble pas que Van Dijck ait fait quoi que ce soit de criminel, la combinaison de l’ivresse au volant et d’une relation avec d’une prostituée ça fait beaucoup. Trop pour pouvoir rester le premier citoyen flamand. Si la surprise au sein de la N-VA semble réelle, plusieurs parmi les politiciens s’étonnaient du manque de prudence du parti nationaliste. Après tout, c’est un poste de première ligne, et placer quelqu’un comme Van Dijck à la présidence du Parlement, c’était prendre beaucoup de risques même si ces rumeurs s’étaient avérées fausses.

La démission de Van Dijck n’est en réalité que la grosse cerise sur la semaine déjà moisie de la N-VA. Depuis une dizaine de jour, le parti a dû se résoudre à faire dépendre les négociations du gouvernement flamand à celle du gouvernement fédéral. Ensuite il y a eu l’attitude très critiquée de la nouvelle ministre présidente flamande, Liesbeth Homans, qui a eu le mauvais goût de traiter le drapeau belge de « chiffon ». Beaucoup vont lui reprocher son manque d’élégance. Au point qu’à la réception du 11 juillet, régnait une certaine nostalgie pour les prédécesseurs tels que Jan Peumans et Geert Bourgeois. La N-VA vient de connaître son 11 juillet le plus désastreux de son histoire. Le message en faveur d’une plus grande autonomie flamande a été complètement éclipsé par la démission de Van Dijck. « Le parti peut se réjouir que les élections soient terminées », conclut le professeur de sciences politiques Dave Sinardet (VUB).

Qu’est-ce que P-Magazine ?

Le scoop est venu d’une source inattendue. P-Magazine, un hebdomadaire autrefois populaire qui mélangeait bimbo, interview et reportages. La maison mère de P-Magazine est la société Mediageuzen, spécialisée principalement dans les formules publicitaires. Son rédacteur en chef et seul employé permanent est Stefan Lambrechts. Il est par ailleurs l’auteur de l’article sur Van Dijck. Le fait qu’il l’ait publié à ce moment est selon lui le fruit du hasard puisque bien qu’il ait l’info depuis longtemps, ce n’est qu’hier que le dossier a pu être bouclé. Attendre le vendredi pour publier n’était pas non plus possible puisque c’est le jour de la bimbo retro (sic). Ce n’est donc pas un média qui brille par respectabilité. Le scoop de Van Dijk sera d’ailleurs publié en même temps qu’un portfolio sur les bimbos du 11 juillet.

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