Maggie De Block © Morgan Milan

De Block trouve un nouveau bâton pour taper sur Francken

Tex Van berlaer
Tex Van berlaer Collaborateur Knack.be

Une enquête effectuée à la demande de la ministre de l’Asile et de la Migration Maggie De Block a apporté un nouvel élément dans l’affaire des visas. Quelque 121 personnes qui ont demandé et reçu un visa humanitaire de Theo Francken, son prédécesseur, semblent avoir disparu sans laisser de trace. On risque de lui rabâcher ce chiffre jusqu’à l’écoeurement durant la campagne électorale.

« C’est un peu comme un quiz, mais je ne suis pas sûr. J’aimerais pourtant en être certaine, car cela m’inquiète quand même. » Voilà comment Maggie De Block (Open VLD), par la magie d’une petite phrase, est parvenue à créer un peu de tension dans une conférence de presse un peu molle jusque-là. Celle-ci avait pour sujet le rapport de l’enquête interne sur ce qu’on a appelé l’affaire des visas. Pour rappel, Melikan Kucam, conseiller municipal de la N-VA de Malines, est soupçonné d’avoir demandé de grosses sommes d’argent en échange d’une place sur la liste des visas humanitaires du cabinet Francken. L’affaire va largement éclabousser Theo Francken, qui va vertement se défendre. Si la passe d’armes avec celle qui a repris ses fonctions suite à la chute du gouvernement sera moins tonitruante, Maggie De Block n’avait visiblement pas dit son dernier mot.

Comme promis alors, elle a demandé à ses services une enquête en interne sur la procédure qui a été suivie par le cabinet et treize intermédiaires, mettant l’administration hors-jeu. Et l’enquête a trouvé des choses surprenantes. Après de longues et laborieuses recherches – que De Block a qualifié de  » puzzle  » – ils ont pu découvrir combien de personnes ont finalement reçu des visas humanitaires sous le régime de Francken. Il y en a 1 502 au total. Ces personnes, principalement des Syriens, sont entrées dans le pays par diverses procédures. Et l’une de ces procédures est les fameuses listes d’intermédiaires qui ont tant fait parler ces derniers mois.

« Vouée à l’échec »

Tout le long de la conférence, De Block n’aura de cesse de souligner à quel point, selon elle, la procédure de Francken (qui consistait en des listes collectives de visas humanitaires préparées par des intermédiaires) est mauvaise. « L’ex-secrétaire d’Etat Theo Francken (N-VA) a ouvert un canal de migration opaque, n’offrant pas les garanties d’un traitement équitable et ne répondant pas au prescrit habituel en matière de sécurité, selon un rapport de l’administration. Cela en favorisant dès 2015, mais surtout à partir de la fin de l’année 2017, et durant toute l’année 2018, le recours, en dehors de l’administration, via treize intervenants particuliers, à des procédures collectives d’octroi de visas humanitaires concernant 1.502 chrétiens de Syrie, pas nécessairement les plus vulnérables ». Pour elle, « les abus sont une conséquence inévitable de cette procédure, qui était vouée à l’échec. »

« Alors que des règles spécifiques existent permettant la réinstallation collective, avec le HCR et le CGRA, de réfugiés en Belgique, la relocalisation de personnes qui ont demandé l’asile dans un autre pays de l’Union européenne ou l’octroi à titre individuel, par l’Office des étrangers, d’un visa humanitaire, le cabinet Francken a initié des listes collectives de visas humanitaires préparées par des intermédiaires. Une telle procédure est envisageable à titre exceptionnel, et si l’urgence l’impose, à condition qu’un contrôle soit rendu possible, dans un cadre offrant un maximum de transparence (permettant de garantir la sécurité) et avec des critères pertinents (vulnérabilité). C’est ce qu’il s’est produit lors de deux opérations contrôlées par le gouvernement en 2015 et en 2016, observe le rapport. Ces opérations ont été réalisées avec des organisations habilitées, avec, au final, un taux de reconnaissance de la protection internationale oscillant entre 90 et 100% », selon le rapport.

Toujours selon le rapport, « à partir de la fin de l’année 2017 et durant toute l’année 2018, l’exception à la réinstallation est devenue la règle et un système collectif d’octroi de visas humanitaires a été mis en place, impliquant le cabinet et treize intermédiaires particuliers pour un total de 860 demandes de visas, dont 300 présentées par le seul Melikan Kucam. Le nombre de visas humanitaires a « explosé », passant de 200 par an en 2014 à plus de 2.000 en 2018. »

« Les visas humanitaires sont ainsi devenus un canal de migration particulier, ce n’était pas l’objectif », a encore commenté Mme De Block. « L’administration contournée, la porte était ouverte au risque d’abus. Les personnes concernées n’étaient pas tenues de s’enregistrer et pas invitées à demander la protection internationale. Les garanties ne pouvaient plus être offertes en termes de traitement équitable (vulnérabilité) et de sécurité. Il est clair que le système a dérapé en cours de route et que les abus qui ont été mis au jour n’en sont que la conséquence », précise encore la ministre Open Vld.

De Block et son équipe ont dû reconstruire toutes les listes sur la base de courriels provenant d’un cabinet qui n’existait plus. « Pas une sinécure ». Seul un nombre limité de courriels de son cabinet ont été trouvés au ministère de l’Immigration (DVZ). « Ils étaient très courts. Les courriels disaient simplement qu’il fallait rajouter les noms figurant sur les listes sur la liste des visas humanitaires. Ces listes ne contenaient que la mention de l’intermédiaire. Parfois, ils n’étaient même pas mentionnés par leur nom, mais seulement par l’endroit où ils vivaient. Pourquoi mettre en place un système aussi brouillon ? » se demande encore De Block.

Au total, 179 visas n’ont finalement pas été octroyés et 121 personnes qui ont bénéficié d’un visa ont disparu de la circulation. Elles n’ont pas demandé l’asile. Les taux d’octroi de la protection internationale sont également bien plus faibles pour les visas humanitaires demandés par le truchement des intermédiaires particuliers: moins de la moitié même concernant les visas gérés par Melikan Kucam. Certains soupçonnent que ces personnes n’ont pas demandé l’asile parce qu’elles savaient simplement qu’elles ne l’obtiendraient pas. Contrairement aux opérations de sauvetage précédentes, la vulnérabilité des personnes figurant sur les « listes » n’a guère été vérifiée. C’est ce critère qui est d’une grande importance lors de l’octroi de l’asile. Nahima Lanjri (CD&V) est de ceux-là. « Qui sont ces 121 personnes sans trace ? Peuvent-ils représenter un danger pour la société ? Personne, pas même De Block, ne connaît la réponse à cette question. Qu’ils aient voyagé, qu’ils séjournent illégalement dans le pays ou qu’ils soient soupçonnés d’avoir commis des actes criminels : personne ne le sait. »

Elle peut attaquer Francken là où ça fait mal

Avec la sortie du rapport et le numéro de théâtre qui l’a accompagné, De Block a trouvé un nouveau bâton pour taper sur son adversaire électoral Theo Francken. Les deux se font face dans le Brabant flamand. Au cours de la campagne, elle pourra se targuer, une fois encore, comment, elle, en tant qu' »administrateur responsable », elle a envoyé à la poubelle cette méthode de travail douteuse.

De plus, elle peut attaquer Francken là où ça fait mal. La N-VA s’est en effet toujours vantée d’une politique  » stricte, mais juste « , qui devait en même temps combler les  » lacunes « . Sauf que maintenant que l’on se rend compte que 121 personnes semblent avoir pris la poudre d’escampette, cette image a pris un coup dans l’aile.

On peut cependant se demander si l’électeur est encore préoccupé par l’affaire des visas. Même De Block aurait soufflé dans les couloirs que « ce rapport serait déjà une vieille nouvelle lors de la campagne ». De plus, le Vlaams Belang n’est pas très enclin à attaquer Francken sur ce dossier et Dries Van Langenhove se tient coi. Et Francken peut toujours s’en sortir par une pirouette en citant son mantra :  » La pire chose que j’ai faite dans ma vie, c’est de faire confiance aux gens. La meilleure chose que j’ai faite dans ma vie, c’est de faire confiance aux gens »

En faisant passer cela comme un abus de confiance, la N-VA tente d’échapper à la discussion sur la responsabilité politique. Autant d’éléments détermineront dans quelle mesure De Block a trouvé avec ce rapport un gros bâton ou une petite latte pour taper sur Francken.

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